chronique

Une pilule et une partie de quilles par jour !

À l’épicerie de mon quartier où je vais régulièrement, je croise souvent des gens seuls. J’ai beau les revoir ailleurs, dans la rue ou dans un parc, ils sont toujours seuls. Pas l’ombre d’un compagnon, d’un semblant de fils ou d’un ami à l’horizon. Pas même d’un chien-saucisse.

Ces gens sont âgés. Je les vois quitter l’épicerie en trimballant derrière eux leur chariot à roulettes qu’ils ont péniblement rempli à la caisse. L’autre jour, j’ai voulu engager la conversation avec l’une de ces dames seules. J’ai eu peur qu’elle ne me ramène une baffe. Elle n’était pas jasante, la solitaire !

En revanche, un monsieur à qui j’ai dit bonjour un dimanche après-midi a allègrement pris la balle au bond et m’a raconté sa vie en 10 minutes. « Ça, ici, mon cher monsieur, c’était des appartements de pauvres. Aujourd’hui, ça vaut une fortune. J’ai tout vu ça, moi ! Ils sont arrivés, ils ont rénové et paf ! Les prix ont monté. C’est effrayant de voir ça ! »

J’avoue que j’adore écouter ce genre de monologue !

Cette semaine, pour la deuxième fois en deux ans, Statistique Canada a publié des chiffres qui démontrent que les gens qui vivent seuls représentent le groupe le plus important au pays. Les « ménages » qui comptent une seule personne représentent maintenant 28 % de la population.

De façon globale, 14 % des Canadiens de 15 ans et plus vivent seuls. Cela représente 4 millions de personnes. Avec un taux de 18 %, c’est au Québec que l’on retrouve le plus de personnes vivant seules. Plutôt troublant quand on sait qu’au début des années 80, ce pourcentage était sous la moyenne nationale.

La solitude est devenue le mal de notre époque. Partout dans le monde, on s’intéresse à ce phénomène. On s’y intéresse parce que ça fait des ravages. 

« La solitude tue », révélait une étude danoise publiée l’an dernier. 

Entretenir la solitude ferait augmenter les risques de maladies cardiovasculaires et neurodégénératives. Plusieurs personnes vivant seules connaissent des problèmes de stress et d’anxiété.

Ce qui est étonnant, c’est que, selon les données compilées par les pays qui sont le plus préoccupés par le problème de la solitude (rappelons que le Royaume-Uni s’est doté d’un ministère de la Solitude en janvier 2018), on se rend compte que le phénomène frappe toutes les tranches d’âge. Beaucoup de jeunes vivent coupés des autres. Certains groupes, comme les personnes handicapées ou les immigrants, sont également très touchés par cela.

Qu’est-ce qui amène les gens à s’isoler ou à se retrouver seuls ? C’est la question ! Dans un récent article de L’actualité sur le sujet, on évoquait les nouvelles technologies, une plus grande mobilité géographique qui fait en sorte que l’on s’éloigne plus facilement de nos proches et, bien sûr, le télétravail.

Bref, les spécialistes tentent de trouver des solutions et des remèdes à ce « mal du siècle ». C’est ainsi que sont nées les « ordonnances sociales ». Des professionnels de la santé n’hésitent pas à prescrire à des personnes isolées des cours de cuisine, des clubs de lecture ou des parties de quilles.

Sortez ! Brisez l’isolement ! Communiquez ! Parlez ! C’est ce que recommandent ces professionnels qui voient débarquer des patients avec des bobos cachés sous le sparadrap de la solitude. Des centres communautaires en Ontario ont mené au cours des derniers mois des projets-pilotes (financés par le ministère de la Santé de l’Ontario). Inspiré par un programme britannique (encore les Anglais), ce projet a pris la forme d’une prescription à aller voir une exposition ou à suivre un cours de yoga.

Mais bon, c’est facile de dire aux gens seuls d’aller au Swing Cat’s Corner danser les claquettes avec des inconnus et que leurs problèmes disparaîtront aussitôt. Beaucoup de gens qui vivent seuls s’isolent parce que les signaux biologiques qui les poussent à interagir avec les autres sont devenus dysfonctionnels. Ça, c’est un autre problème.

Des chercheurs américains de Chicago sont donc en train de mettre au point une pilule pour briser l’isolement. Il s’agit d’un stéroïde neuroactif appelé prégnénolone qui atténue le stress ressenti lorsque certaines personnes perçoivent les autres comme une menace sociale. Les chercheurs travaillent sur une hormone depuis quelques années, mais celle-ci aurait des effets secondaires, comme la somnolence.

Imaginez la scène : vous prenez votre pilule, vous avez un high, vous invitez des amis à souper, vous préparez une paella pour 12 et vous tombez endormi dans votre assiette au bout d’une heure… Voilà pourquoi on travaille à améliorer cette fameuse pilule.

Je sais, vous vous dites en ce moment que c’est incroyable d’être rendu à un médicament pour lutter contre la solitude. Après le Ritalin pour les enfants hyperactifs, la pilule anti-isolement pour les gens seuls !

Il y a environ deux ans, j’ai écrit une chronique sur le thème de la solitude. Je me souviens d’avoir reçu beaucoup de courriels de gens qui me disaient qu’ils vivaient seuls et qu’ils aimaient leur solitude. Je n’en doute pas un instant. Mais ces gens peuvent briser leur isolement quand bon leur semble. Ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Le problème de la solitude est devenu grave. Assez en tout cas pour que l’on mette sur pied un ministère voué à cela, assez pour que l’on crée une Journée de la solitude (elle a eu lieu pour la première fois le 23 janvier dernier).

Et nous, au Québec, que faisons-nous pour réfléchir à cela et trouver des solutions ? Pas grand-chose, ma foi. La dernière mesure dont j’ai entendu parler est un système d’appels automatisés pour vérifier si des personnes âgées vivant seules respiraient encore.

On ne peut pas dire que nous défendons bien notre titre de société innovatrice avec une telle initiative.

Jamais n’avons-nous disposé d’autant de moyens de communication. Et, paradoxalement, on en arrive à devoir créer une pilule pour briser l’isolement. Au fond, la réflexion à avoir devrait porter là-dessus. On a multiplié les canaux de communication de toutes sortes sans se demander si le mode d’emploi était compris et apprécié de tous. Visiblement, plusieurs personnes n’ont pas suivi.

Si vous voulez, on peut en discuter davantage par textos !

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