Musique

Trop chaud pour notre époque ?

À l’ère du #moiaussi, peut-on juger une chanson hors du contexte où elle a été créée ? La question fait rage autour du classique des Fêtes Baby It’s Cold Outside. Hier, plusieurs radios au pays, appartenant à CBC, Rogers Media et Bell Média, ont suivi la décision d’une station de radio de Cleveland de bannir des ondes la chanson, sous prétexte que ses paroles sont jugées « inappropriées » par des auditeurs. Dans ce duo de jazz, gagnant de l’Oscar de la meilleure chanson en 1949, un homme insiste pour que la femme reste chez lui… parce qu’il fait si froid dehors. Des plaignants l’ont qualifiée de « chanson du viol de Noël ».

— Luc Boulanger, La Presse

Virginie Morin-Laporte et Christian Lapointe

Marcel Dubé remixé

Un deuxième Marcel Dubé cette saison ? Pourquoi pas ? Avec le metteur en scène Christian Lapointe, 11 représentants de la promotion 2018 de l’École nationale de théâtre ont passé au malaxeur le classique québécois Les beaux dimanches, de Marcel Dubé, pour le mettre à leur main.

C’est une belle histoire maître-élèves, celle d’un professeur de théâtre et de ses étudiants qui ont passé un semestre ensemble. Les 11 interprètes décident, avec le meneur de jeu, de monter une pièce du répertoire québécois comprenant 11 personnages. 

L’idée d’une modernisation des Beaux dimanches de Marcel Dubé et, pourquoi pas, de la naissance d’une nouvelle troupe spécialisée en classiques québécois voit le jour.

« À leur sortie de l’École, ils m’ont demandé si on pouvait refaire la pièce Les beaux dimanches qu’on avait montée en deuxième année à l’École. Ce n’est pas parce qu’un show marche à l’école qu’il peut marcher sur une scène professionnelle, mais j’ai accepté parce que c’est la même pièce avec le même groupe », explique Christian Lapointe. 

Dans ces Beaux dimanches remixés, le vocabulaire a été adapté et les prénoms sont ceux des interprètes actuels, mais c’est le même sous-texte cynique sur les années 70, le couple, l’hypocrisie des uns et des autres et l’avortement du projet de société québécois. Une version à la « scie mécanique », selon Christian Lapointe. 

« Ce sont des bourgeois qui ont des moyens et qui ne font rien de leur vie. Ils attendent que ça passe. C’est comme un lendemain de brosse perpétuel de la société. »

— Christian Lapointe, metteur en scène de la pièce Les beaux dimanches

« Mais ils aspirent à mieux aussi, ajoute la comédienne Virginie Morin-Laporte. Ils sont conscients qu’ils pourraient changer les choses, mais ils sont pris dans leur incapacité à le faire. »

Symboles

Metteur en scène attaché aux symboles, Christian Lapointe souligne que sa décision de mettre en scène la pièce a précédé d’une journée la mort de Marcel Dubé, le 7 avril 2016. « On n’avait pas le choix de continuer », dit-il.

« C’est ce qui est le plus intéressant, le fait que ce sont des jeunes qui font la pièce, c’est comme s’ils critiquaient les générations de leurs parents et de leurs grands-parents. » 

« Quand on l’a fait à l’École, les autres se voyaient en nous, dit l’interprète. Dans le fond, on s’aperçoit qu’on n’a pas changé, qu’on est comme nos parents et c’est ce qui nous attend dans l’avenir. On est une cohorte très serrée et ce qui se passe dans la pièce n’est pas très éloigné de ce qu’on a connu. »

Couples qui se font et se défont, mensonges et faiblesses exposés, le machisme des hommes et le ras-le-bol des femmes… forment l’essence de ces « beaux dimanches » indolents.

« Il y a eu des histoires entre nous. Forcément, on se connaît depuis longtemps, mais c’est surtout l’amitié qui nous unit. Mais il y a eu des relations plus denses, disons. »

— Virginie Morin-Laporte

Tellement que les six interprètes masculins et les cinq interprètes féminines forment aujourd’hui une vraie troupe, le Collectif Quatorze18, coproductrice du spectacle d’ailleurs, qui compte continuer à monter des pièces du répertoire québécois.

« On veut mettre les pièces à l’épreuve du temps, dit-elle. On veut les mettre à jour, les adapter, comme on remonte ailleurs du Tchekhov ou du Molière. »

« Une vraie pièce de répertoire, note le metteur en scène, c’est une pièce dont on fait la relecture. C’est comme si les jeunes s’attaquaient à un match d’impro, comme s’ils jouaient à Dubé. »

Sexisme

À la différence de Bilan présentée au TNM, Les beaux dimanches bénéficie de peu de moyens, mais de beaucoup d’imagination : langage des signes, apartés, jeu distancié, pénalités pour réplique misogyne…

Et à la fin, ô surprise, les interprètes doubleront en direct sur scène les scènes du film Les beaux dimanches, réalisé par Richard Martin en 1974 et mettant en vedette Jean Duceppe et Denise Filiatrault. 

« Le procédé est distancié, donc les comédiens peuvent entrer dans un jeu plus émotif et réaliste », note le metteur en scène.

« Quand on projette le film, continue Virginie Laporte-Morin, on a l’impression que le cinéma n’en donne pas assez pour l’immensité du théâtre, alors qu’en général, on dit que les acteurs de théâtre jouent trop gros pour le cinéma. »

Dans Bilan comme dans Les beaux dimanches, les hommes sont rois et maîtres, même si on sent que la fin de leur règne arrive. Mais en 2018, les machos existent toujours. « En raison de la porno-culture », croit Christian Lapointe. 

« Je suis assez d’accord, dit Virginie Morin-Laporte. C’est une position délicate pour les hommes aujourd’hui d’accepter d’être dans l’ombre. Ça leur est plus facile de dire : “Ça n’existe pas et ça a toujours été comme ça.” On voit dans la pièce que ces attitudes-là remontent à très loin. » 

Au théâtre La Chapelle du 6 au 15 décembre

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