LIVRE HISTOIRE DU MILE END

« Le Mile End constitue un espace unique à Montréal, haut lieu de la "branchitude" planétaire, incubateur de nouvelles tendances culturelles et de la scène alternative. Plonger dans l’histoire de ce quartier permet de découvrir la clef de sa diversité et de son dynamisme. »

Histoire du Mile End Yves Desjardins Les éditions du Septentrion Québec, 2017 360 pages En librairie

LIVRE HISTOIRE DU MILE END

Un espace unique

Le quartier du Mile End est aujourd’hui un des hauts lieux de la « branchitude » planétaire. Incubateur de nouvelles tendances culturelles et de la scène alternative, il est même devenu un objet d’étude universitaire.

Pourtant, pendant près d’un siècle, le Mile End était avant tout un lieu de passage. Il était le point d’arrivée de plusieurs générations d’immigrants pour lesquels quitter ce quartier, associé à la pauvreté des débuts, était souvent le but premier. Il s’y est d’abord formé un village, habité surtout par une population canadienne-française qui avait elle-même immigré des campagnes environnantes. Une bonne partie de ses habitants travaillaient dans les carrières de pierre des environs. 

L’édifice Peck, situé depuis 1904 au coin de Saint-Laurent et Saint-Viateur, symbolise bien les mutations du quartier. Pendant des générations, il a abrité des vagues successives d’immigrants, juifs, italiens, grecs et portugais, travaillant pour un maigre salaire dans ses manufactures de vêtements. Aujourd’hui, c’est le siège social canadien d’Ubisoft, avec sa faune multinationale de programmeurs, concepteurs et designers.

Une plongée dans les racines du quartier permet de découvrir que c’est précisément cette vocation de lieu de passage qui contribue à faire du Mile End un espace unique.

Dès la fin du XIXe siècle, la cohabitation de plusieurs groupes ethniques parlant de nombreuses langues, appartenant à des classes sociales et à des religions diverses, y est la norme. Zone neutre, coincée entre l’Est canadien-français catholique et l’Ouest anglo-protestant, le Mile End constitue un espace de métissage social et culturel où l’empreinte de ces générations est toujours visible. […]

Si le Mile End contemporain a retrouvé une forte identité – le quartier branché des bagels et des créateurs culturels, avec sa curieuse église dotée d’un dôme néo-byzantin, celui aussi du roman graphique éponyme de Michel Hellman (éditions Pow Pow) – , s’il a également retrouvé un statut dans la toponymie officielle, un district électoral municipal correspondant au nord-ouest de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, la question des origines de son nom restait jusqu’à tout récemment à élucider. Un article de Justin Bur, publié à la suite d’une communication au colloque conjoint du Musée McCord et du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal (UQAM), permet aujourd’hui de répondre à cette question.

Mile End signifie évidemment « à la fin du mille ». Mais à la fin de quel mille  ? Et d’où part ce mille  ?

Plusieurs explications, dont celle de l’ancien archiviste en chef de la Ville de Montréal, Conrad Archambault, associent ce mille à une piste de course de chevaux située à un mille des limites de la ville de Montréal. Le problème avec l’explication de M. Archambault, pourtant retenue par le Répertoire toponymique de la ville, c’est que les pistes de course de chevaux étaient nombreuses et souvent éphémères au XIXe siècle. Alors pourquoi celle-là plutôt qu’une autre  ? D’autant plus que celle qu’il désigne dans sa notice comme étant à l’origine du nom se situe à l’extérieur du territoire de la municipalité du Mile End. Mais, surtout, le terme Mile End était d’usage courant à Montréal plus d’un demi-siècle avant la création de la piste repérée par l’archiviste.

Car Mile End désigne d’abord un lieu-dit, c’est-à-dire le carrefour formé, dès le début du XIXe siècle, par le chemin Saint-Laurent (également connu sous le nom de «  Mile End Road  », une fois franchies les limites de la ville), celui de la côte Sainte-Catherine, et un autre qui se dirige vers l’est, le futur chemin des carrières. En d’autres mots, l’actuelle intersection du boulevard Saint-Laurent et de l’avenue du Mont-Royal.

Et si ce carrefour a pris le nom de Mile End, c’est parce qu’un boucher d’origine britannique, John Clark, avait acheté une ferme adjacente le 30 mai 1804. Il la nomme «  Mile End Farm  » et y ouvre une auberge du même nom, quelque part entre 1804 et 1810. L’auberge et le carrefour se situaient justement à un mille de l’actuelle rue Sherbrooke, qui marquait alors la limite entre la ville et la campagne.

Pour les Montréalais de la première moitié du XIXe siècle, «  se rendre au Mile End  », c’était fréquenter une auberge située en pleine campagne.

On y assistait aussi à des courses de chevaux, car il y avait bien une piste de course à côté de l’auberge. Située entre les actuels boulevard Saint-Laurent et avenue du Parc, c’était l’une des premières au Canada. Cette vocation a contribué à consolider l’identité du secteur.

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