Entrevue avec Pierre Gfeller, nouveau PDG du CUSM

« Je veux rétablir la fierté »

Son chantier de construction est associé à l’un des pires scandales de corruption du Canada. Trois ans après son ouverture, le nouveau Centre universitaire de santé McGill (CUSM) peine à reprendre le contrôle de ses finances. Il y règne aussi un climat de méfiance envers l’administration en raison des compressions budgétaires des dernières années. Entrevue avec le nouveau PDG du CUSM, le Dr Pierre Gfeller.

Votre nomination survient alors que le CUSM a subi des coupes budgétaires de dizaines de millions de dollars qui ont entraîné l’annulation d’opérations chirurgicales non urgentes et la fermeture de lits. En juillet dernier, les 10 membres indépendants du conseil d’administration de l’hôpital ont d’ailleurs démissionné pour protester contre les méthodes de gestion du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. Avez-vous l’impression d’arriver en pleine tourmente ?

La tourmente est derrière nous. En termes de gouvernance, il y a un nouveau conseil d’administration depuis septembre 2017 formé de gens très compétents. Je vais pouvoir m’appuyer sur eux en matière de gestion. En même temps, vous l’avez dit, il y a eu des coupes importantes dans le passé, mais le ménage a été fait dans les finances.

Ces dernières années, le CUSM a enregistré d’importants déficits budgétaires : 42 millions pour l’exercice 2015-2016 et 23,4 millions en 2016-2017. Qu’en est-il cette année ?

Les résultats financiers vont sortir la semaine prochaine. Je ne peux pas encore les dévoiler, mais on sait qu’on aura un déficit d’opération pour 2017-2018 qui sera similaire à ceux d’autres institutions à Montréal et au Québec. Ce ne sera pas le clou qui va dépasser [comme il y a deux ans], et on a déposé un budget équilibré pour 2018-2019. Sans dire que la situation financière est préoccupante, c’est sûr que des mesures doivent être prises. À l’heure actuelle, on parle de mesures administratives qui ne toucheront pas aux services aux patients. Et je suis persuadé qu’avec le nouveau mode de financement des hôpitaux – un mode de financement centré sur les besoins du patient plutôt que sur une base historique –, on va arriver à financer adéquatement la mission de soins tertiaires [spécialisés] et quaternaires [surspécialisés] du CUSM et ainsi répondre aux besoins de la clientèle.

Le comité des usagers du CUSM affirme que les compressions des dernières années ont affecté les services aux patients, même si l’ancienne administration s’était engagée à ne pas le faire. Des programmes qui avaient fait leurs preuves ont été supprimés, comme Cancer Survivorship, conçu pour épauler les gens souffrant d’un cancer dans leur retour à la vie normale, et Mytoolbox, destiné aux patients souffrant de maladies chroniques, dénonce-t-il.

Lorsqu’on présente des déficits de 40 millions et qu’on doit revenir à l’équilibre, c’est certain qu’il y a des choses qui doivent disparaître. Les programmes dont vous me parlez ont beaucoup de mérite – souvent, ils étaient financés conjointement avec une fondation. Par contre, on doit se concentrer sur la mission des soins spécialisés et surspécialisés. Ceci étant dit, je rencontre le comité des usagers la semaine prochaine et je serai heureux d’en discuter avec eux.

Ce même comité des usagers critique le fait qu’en pleine période de coupes budgétaires, le CUSM a payé près de 1 million à un consortium dirigé par SNC-Lavalin pour deux locaux inutilisés dans son nouveau mégahôpital, tel que le révélait Le Journal de Montréal le mois dernier.

Ces locaux-là seront loués bientôt. Il fallait attendre que les travaux reliant le métro au CUSM soient terminés. On a déjà des locataires qui ont démontré de l’intérêt, dont des pharmaciens [le site Glen n’a pas de pharmacie commerciale]. Le dossier immobilier du CUSM est complexe en raison du partenariat public-privé. On a encore des déménagements [celui de l’Hôpital neurologique de Montréal] et des travaux à réaliser. Lorsque j’ai visité l’Hôpital général de Montréal [HGM] la semaine dernière, j’ai réussi à m’orienter puisque pratiquement rien n’a changé depuis que j’y ai fait une partie de ma résidence, il y a 38 ans. Ce n’est pas normal. Cet hôpital a besoin de rénovations.

Après l’agression d’une infirmière par un patient dans une section des urgences réservée aux personnes ayant des problèmes de santé mentale de l’Hôpital général de Montréal (affilié au CUSM) en septembre dernier, un syndical local a montré du doigt les compressions budgétaires chez les agents de sécurité. Une enquête du quotidien Montreal Gazette publiée l’hiver dernier révélait que cette agression n’était que la pointe de l’iceberg et que les employés étaient démoralisés par les compressions, allant même jusqu’à craindre pour leur sécurité. Comment allez-vous faire pour leur redonner confiance ?

J’ai demandé un rapport sur cette situation dès mon entrée en poste [il y a neuf jours]. L’une des premières choses que j’ai faites, c’est visiter cette unité et rencontrer des membres du personnel de l’HGM. J’ai constaté qu’il y avait plus d’agents de sécurité [qu’au moment de l’incident] et que plusieurs mesures avaient été mises en place. La sécurité du personnel est extrêmement importante pour moi. Comme patron, j’ai vraiment à cœur la qualité de vie au travail.

Vous avez consacré les 20 dernières années à la gestion d’établissements de santé, dont l’hôpital du Sacré-Cœur. Quels sont vos défis de gestion au CUSM, doté de 12 000 employés et d’un budget de 1 milliard par an ?

Au CUSM, on a un enjeu d’occupation des lits et cet enjeu est double. Il y a eu une diminution importante du nombre de lits [de 853 à 803 après le déménagement], et on a de la difficulté à faire sortir de l’hôpital des patients qui n’ont plus besoin de soins surspécialisés. On parle de personnes âgées qui auraient besoin d’aller en CHSLD ou de retourner à la maison avec des services de soins à domicile. Ou encore des gens avec des problèmes de santé mentale à qui on ne trouve pas de place dans des ressources intermédiaires. Faute de place dans les ressources appropriées, ils restent ici alors qu’ils devraient partir. C’est pour ça qu’on doit travailler davantage en partenariat avec nos collègues des CIUSSS, des CHSLD, des CLSC et les médecins de première ligne. Souvent, dans un hôpital universitaire, on a tendance à oublier qu’on fait partie d’un réseau. J’aimerais intégrer un peu mieux le CUSM dans le réseau de santé et de services sociaux montréalais et québécois.

Quelle est votre priorité pour les 100 premiers jours de votre mandat ?

C’est vraiment de rencontrer les gens en me promenant partout sur le terrain. Ça correspond à l’une de mes valeurs principales : l’humanisme. Je veux découvrir nos forces, nos faiblesses, les occasions de recherche et d’enseignement à saisir pour proposer dès cet automne un plan au conseil d’administration. L’objectif ultime, c’est de faire réaliser aux gens qu’ils travaillent dans une institution formidable. Il faut rétablir la confiance, parce qu’avec tous les événements que vous avez mentionnés précédemment, il y a eu une perte de confiance envers l’administration. Je veux convaincre le personnel que l’avenir du CUSM est magnifique. Et je veux rétablir la fierté d’y travailler parce que le CUSM a connu tellement de mauvaises années – jusqu’à il y a deux ans environ – qui ont fait en sorte que cette fierté-là est moins présente aujourd’hui. On doit devenir un employeur de choix où on peut concilier la qualité des services et la qualité de vie au travail.

Les réponses ont été éditées pour en faciliter la lecture.

Qui est le Dr Pierre Gfeller ?

Ce médecin de famille qui a fait ses études à McGill a consacré les 20 dernières années de sa vie à la gestion d’hôpitaux, notamment l’hôpital du Sacré-Cœur. Il dirigeait jusqu’à tout récemment l’un des plus gros CIUSSS du Québec – le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal (11 000 employés et un budget de près de 900 millions par an). Il prend les rênes du CUSM alors que l’hôpital universitaire était sans PDG depuis septembre 2016, date à laquelle Normand Rinfret a pris sa retraite. Entre-temps, Martine Alfonso a assuré l’intérim. Normand Rinfret avait lui-même été nommé directeur général par intérim en décembre 2011, après le départ subit d’Arthur Porter à ce poste. Arthur Porter – aujourd’hui décédé – était soupçonné d’avoir accepté un pot-de-vin de 22,5 millions dans le cadre de l’attribution du contrat de construction de 1,3 milliard du nouveau CUSM en partenariat public-privé au consortium Groupe immobilier santé McGill, dont fait partie la firme SNC-Lavalin. — Caroline Touzin, La Presse

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