Opinion

ACHAT DE PROLOGUE PAR RENAUD-BRAY
Un danger pour le milieu du livre

L’achat de Prologue par Renaud-Bray met en péril un milieu du livre déjà fragilisé par l’appétit sans fin de cette entreprise.

On se souviendra en effet que Renaud-Bray a annexé ces dernières années la chaîne Archambault et les librairies Paragraph et Olivieri. Pourquoi cette nouvelle acquisition fait-elle si peu de bruit dans le milieu du livre ?

D’abord parce que la plupart des acteurs du milieu (éditeurs, auteurs, etc.) sont financièrement liés à ce « monstre ». L’attitude commerciale de Renaud-Bray est trop incertaine et plusieurs ont peur des représailles s’ils osent élever la voix contre cette concentration des plus dommageables. Les distributeurs et les éditeurs qu’ils représentent ont peur de voir leur part de ventes baisser. Imaginez que Renaud-Bray décide de boycotter (comme il l’a déjà fait avec certains auteurs qui avaient médit de lui) un éditeur ou tout un groupe. Quand Dimédia s’est opposé à ce géant qui voulait dicter sa loi commerciale, on a d’ailleurs bien peu entendu de protestations de la part du milieu.

Au-delà de ce mutisme qu’on peut comprendre, ce qu’il faut avant tout expliquer aux citoyens, c’est le dommage de plus en plus grand infligé à notre culture et à sa diversité.

Blaise Renaud disait à propos de cette annexion qu’elle servirait à préserver la bibliodiversité et cette affirmation a de quoi étonner. C’est bien symptomatique de notre époque « trumpienne » de pouvoir affirmer une chose qui est précisément son contraire.

Comment peut-on imaginer qu’une chaîne de librairies qui met la main sur un distributeur chez qui tous les autres libraires sont clients sert la bibliodiversité ? Les libraires indépendants qui seront en difficulté financière, même temporaire, ne pourront cacher cette information à un concurrent qui pourra en profiter pour faire pression avec un rachat au rabais. On peut tout aussi bien supposer que Renaud-Bray aura un accès privilégié aux stocks de nouveautés, ce qui affectera les ventes de toutes les autres librairies. N’est-ce pas là de la concurrence déloyale ?

Le résultat sera une plus grande instabilité du réseau de librairies indépendantes, donc le risque que certaines d’entre elles ferment leurs portes.

Les lecteurs auront alors moins de lieux diversifiés pour se procurer des titres plus pointus ou moins populaires et ne se verront offrir ultimement que les titres retenus par Renaud-Bray.

Le Québec est un petit territoire qui ne peut faire rayonner sa culture que par le biais de subventions provenant de différents ordres gouvernementaux. D’ailleurs, Renaud-Bray a très souvent bénéficié de cette aide. Dans ces conditions, ne pourrait-on pas demander aux autorités qui accordent les subventions de surveiller plus étroitement cette entreprise, qui peut à elle seule mettre tout un secteur culturel en péril, et l’empêcher alors d’exercer une concentration excessive par le rachat d’entreprises ?

Nous aimerions en appeler à la solidarité des lecteurs. Comme le disait Laure Waridel, si « acheter, c’est voter », il faut réaliser que tout achat chez Renaud-Bray ou l’un de ses annexés est un achat qui nuit aux librairies indépendantes.

* Nicolas Longtin-Martel, libraire ; Caroline Scott, libraire ; Boris Nonveiller, libraire ; Pierre-Alexandre Bonin, libraire ; Émile Dupré, libraire ; Laurent Boutin, libraire ; Billy Robinson, libraire ; Marlène Grenier, ex-libraire ; Pascale André, libraire ; Clarence Collinge-Loysel, libraire ; Stéphanie Dufresne, libraire ; Jean-François Tanguay, libraire ; Camille Toffoli, libraire ; Karine Rosso, libraire ; Sandrine Bourget-Lapointe, libraire ; Maude Lefebvre, ex-libraire ; Isabelle Bolduc, libraire ; Jean Marquis, libraire ; Monique Houde, libraire ; Geneviève Gagnon, libraire ; Karelle Villeneuve, libraire ; Pierre Lachaine, libraire

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