Chronique

Forte hausse de la paie des petits salariés

Laissez-moi vous parler d’un phénomène économique à la fois spectaculaire et curieux révélé hier par de nouvelles données de Statistique Canada. Un phénomène où s’opposent, en quelque sorte, les forces du marché et l’intervention de l’État.

Hier, donc, Statistique Canada a révélé que la rémunération des employés dans le secteur du commerce de détail a bondi de 8,1 % au Canada depuis un an. La hausse est trois fois plus forte que la moyenne (2,5 %) et il y a donc clairement un phénomène.

Le premier réflexe est d’attribuer cette augmentation spectaculaire à la majoration du salaire minimum dans certaines provinces, et plus particulièrement en Ontario. La province voisine, rappelons-le, a fait passer le salaire minimum de 11,60 $ à 14,00 $ l’heure le 1er janvier dernier, soit un bond de 2,40 $, ou 21 %.

Cette majoration, disais-je, a vraisemblablement eu un effet sur les salaires des vendeurs dans les commerces, puisque ce secteur est celui qui compte la plus grande proportion d’employés payés au salaire minimum au Canada (un employé sur quatre), après la restauration (un employé sur trois).

La hausse s’est probablement étendue, en partie, sur le reste de l’échelle des salaires dans les magasins et au net, l’impact serait de 8,1 %, comme l’a rapporté hier Statistique Canada.

Les chiffres de l’agence sont produits à partir de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH), la plus fiable en la matière. La variation de 8,1 % est le fruit de la comparaison de la rémunération d’avril 2018 avec celle d’avril 2017. Cette hausse est aussi très importante en Ontario.

Or voilà, le boom des salaires dans le commerce de détail n’est pas unique à l’Ontario. En particulier, la rémunération augmente tout autant au Québec dans ce domaine d’activité, alors que le gouvernement n’a pas dopé le salaire minimum.

Certes, la hausse a été de 0,50 $ en mai 2017, à 11,25 $, mais cette majoration de 4,7 %, quoique significative, est bien moindre que celle de l’Ontario (21 %). Notez que la plus récente hausse du salaire minimum du Québec est entrée en vigueur le 1er mai 2018, donc avant les données d’avril 2018 de Statistique Canada.

Attention, pour éviter les fluctuations mensuelles, j’ai affiné la comparaison de Statistique Canada en prenant la rémunération moyenne des quatre premiers mois de 2018 comparée à celle de la même période en 2017. Constat : les employés du Québec dans les commerces ont vu leurs salaires augmenter davantage que ceux de l’Ontario, soit 7,6 % contre 7,1 %. Même la Colombie-Britannique a participé à la fête pour les petits salariés, avec une hausse de 8,2 %.

Dit autrement, ces deux provinces n’ont pas eu à imposer de grosses hausses de salaire minimum. Il semble plutôt que la vigueur de leur économie et de leur marché du travail ait été suffisante, comme ce fut le cas en Alberta durant le boom pétrolier. Du moins pour le commerce de détail.

D’ailleurs, les postes vacants sont légion dans le commerce de détail, qui vient même au deuxième rang à ce chapitre au Québec, suivi de la restauration. Bref, contraints par la pénurie de main-d’œuvre et les forces du marché, les employeurs auraient été naturellement poussés à offrir de meilleures payes, selon ces premières observations.

La directrice générale de Détail Québec, Patricia Lapierre, confirme que la pénurie « fait partie des éléments qui ont influencé [la rémunérations, les employeurs voulant attirer et garder les bons employés ». Outre le salaire, les commerçants cherchent à offrir des horaires plus intéressants, afin de permettre un meilleur équilibre travail-famille.

Mais ce n’est pas tout. Selon la patronne de ce comité sectoriel de main-d’œuvre, la rémunération moyenne est aussi influencée par l’arrivée de nouveaux types d’employés dans l’industrie. Avec le commerce internet, il y a davantage d’employés versés en technologie, qui commandent de meilleurs salaires.

Autre élément intéressant : le mouvement Minimum 15 $ aurait incité certains détaillants au Québec – pas tous – à ne pas attendre de se faire imposer une loi. « Les gens s’attendent à une hausse à 15 $ tôt ou tard. Et ils veulent conserver leur pouvoir sur les salaires », explique-t-elle.

Fort bien, mais qu’en est-il dans l’autre secteur pauvrement rémunéré, soit la restauration et l’hébergement, où les employés technos sont absents ?

Eh bien voilà, les salaires sont, là aussi, en forte hausse. Et encore une fois, ils ont également augmenté au Québec, de 6,5 %, quoique de façon moindre qu’en Ontario (10,5 %). Ce secteur semble illustrer que la majoration s’explique à la fois par l’intervention du gouvernement, plus grande en Ontario, et par les forces du marché.

Par ailleurs, la hausse du salaire minimum en Ontario n’a pas provoqué l’hécatombe à laquelle certains s’attendaient. Cependant, il me semble qu’il est trop tôt pour en mesurer la portée économique, qui doit être vue à plus long terme.

Quoi qu’il en soit, le contexte actuel, et notamment la vigueur de l’économie, profite aux petits salariés, et c’est tant mieux.

J’oubliais : les employés du commerce de détail ont touché en moyenne au Québec 585 $ par semaine en avril contre 599 $ en Ontario. Dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, la paye hebdomadaire moyenne a été de 385 $ au Québec contre 400 $ en Ontario. Je n’ai pu savoir à quel nombre d’heures travaillées correspondent ces salaires.

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