Jean Pascal

Se battre pour sa fille

Jean Pascal a été impliqué dans quelques-uns des plus importants combats de l'histoire de la boxe québécoise, contre des adversaires tels Carl Froch, Sergey Kovalev, Lucian Bute, Chad Dawson, Bernard Hopkins et Adrian Diaconu. Peu savent qu’à l’extérieur des rings, Jean Pascal s’est aussi battu pour obtenir la garde exclusive de sa fille et pour veiller à son éducation comme père seul. Devenir père à 20 ans, ça change une vie, mais Jean Pascal ne retournerait pas en arrière. Il nous parle de sa fille de 15 ans et de son rôle de père.

J’ai 35 ans et j’ai une fille de 15 ans qui s’appelle Angel. Calcul rapide, je suis donc devenu père à 20 ans. Pour vous donner une idée, je suis entré au cégep Ahuntsic en techniques policières en 2002, ma fille est née l’année suivante.

J’élève ma fille seul depuis qu’elle a 6 ans. J’ai dû me battre devant la justice pour avoir sa garde complète puisque sa mère voulait retourner avec elle dans son pays natal, Sainte-Lucie. Grâce à Dieu, j’ai gagné. Elle a pu rester avec moi.

Je serai tout à fait honnête, sur le coup, je n’ai pas cru que cette enfant était la mienne. J’étais souvent parti pour la boxe et ma réaction instinctive a été de penser que je n’étais pas le père. J’ai donc passé des tests d’ADN, et quand j’ai eu la preuve que c’était bel et bien ma fille, j’ai choisi de prendre mes responsabilités. Ce ne sont pas tous les pères à 20 ans qui l’auraient fait. Moi, j’ai décidé dès ce moment que je voulais être présent dans la vie de ma fille.

Ç’aurait été tellement facile de la laisser partir avec sa mère et de leur envoyer de l’argent en pension alimentaire. Mais j’ai pensé à ma fille avant de penser à moi. Je me suis demandé à quel endroit elle aurait la meilleure chance d’avoir une belle vie. La réponse à mes yeux était le Canada, et non les Antilles. Quand tu habites dans une île, il y a moins de chemins que tu peux emprunter. Pour plusieurs, il n’y a que la pêche ou le tourisme.

J’ai donc dû apprendre très tôt dans ma vie à concilier l’école, la boxe et ma vie de père monoparental. Sans oublier d’essayer d’entretenir de bonnes relations avec sa mère, ce qui n’était pas toujours évident. Je ne voulais pas que ma fille me reproche un jour d’avoir essayé de lui couper le contact avec sa mère. C’était important pour moi qu’elle soit connectée à son autre moitié à Sainte-Lucie.

Je vais vous faire une confidence : je suis un peu papa poule. Je dirais même beaucoup papa poule. J’essaie de ne pas exagérer, ce n’est pas mieux non plus, mais je sais que je protège ma fille un peu trop.

C’est que je l’ai eue à la dure. Je suis né d’une mère infirmière et secrétaire et d’un père politicien. Je suis né en Haïti, que j’ai quitté à l’âge de 4 ans avec ma mère puisqu’elle voulait m’offrir une meilleure vie. On est partis sans mon père. Ma mère est retournée à l’école ici, elle a dû recommencer à zéro car ses équivalences n’étaient pas reconnues. Elle l’a fait, et elle a réussi. Elle a travaillé fort pour que l’on ne finisse pas dans des ghettos à Saint-François ou à Laval-des-Rapides.

Je ne voyais pas souvent ma mère quand j’étais jeune. Elle travaillait fort pour nous permettre d’avoir une qualité de vie convenable. Pour qu’on ne finisse pas dans des HLM, où on peut tomber sur de mauvaises fréquentations. Où on peut décider un jour de tourner à gauche plutôt qu’à droite. Je l’ai compris plus tard. Quand j’étais jeune, je ne savais pas pourquoi je la voyais si peu. C’était souvent ma grand-mère qui s’occupait de nous.

Ma fille, elle l’a beaucoup plus facile que moi. Probablement qu’elle ne s’en rend pas compte. Toutes ses amies autour d’elle vivent la même chose, avec la belle maison, les voyages. Ma fille a 15 ans et elle a visité le Mexique, Las Vegas, Los Angeles, New York, Sainte-Lucie, Londres, Washington. À son âge, j’avais seulement vu Laval et Hochelaga-Maisonneuve !

Avant d’avoir ma fille, j’étais surtout concentré sur moi, simplement car l’attention était portée sur moi. Depuis que je suis tout jeune, j’ai des entraîneurs, des psychologues sportifs, des massothérapeutes, des physiothérapeutes qui s’occupent de moi. Forcément, dans ce contexte, je pensais moins aux autres. En ayant une fille si tôt, j’ai arrêté de penser juste à moi. J’ai élargi mes horizons. Il y avait quelqu’un d’autre qui dépendait de moi.

Les valeurs

Ça m’a forcé à me questionner sur mon rôle de père. J’ai compris que la première valeur que je voulais transmettre à ma fille est le respect d’autrui. Je voulais aussi qu’elle développe sa confiance en soi. Ensuite, j’ai voulu lui inculquer les trois règles qui ont guidé ma vie : le travail, la discipline, mais surtout la persévérance. Parfois, même si tu travailles fort et que tu es discipliné, tu peux échouer. L’échec fait partie de l’apprentissage du succès. C’est pour ça qu’il y a la troisième règle, la persévérance.

Prenez, par exemple, mon deuxième combat contre Sergey Kovalev, une défaite par abandon au septième round. L’un des moments les plus difficiles de ma carrière. J’avais vraiment tout fait. Je croyais pouvoir gagner ce duel, mais j’ai perdu. J’ai même versé des larmes à la télévision, je ne pensais jamais faire ça. J’ai essayé de les retenir, mais c’était plus fort que moi. Pleurer devant son enfant, pour un père, c’est difficile.

Ça me faisait mal de perdre. D’avoir laissé tomber mes fans, tous ceux qui croyaient en moi. C’est venu me chercher. Je n’avais pas accepté ce combat pour recevoir un chèque de paie, j’étais là pour donner un bon spectacle et pour gagner un titre mondial. J’avais échoué. Mais j’ai pu démontrer à ma fille, à travers mon épreuve, qu’il ne faut jamais abandonner. C’est pour ça que j’ai continué ma carrière après ce combat, je ne voulais pas finir sur une note aussi négative.

Je me suis toujours montré à ma fille comme j’étais, avec authenticité. J’ai voulu lui faire comprendre que c’est aussi ça, la vie : parfois on gagne, parfois on perd. L’important est de croire en soi, de croire en ses moyens et de persévérer. Si c’était facile d’être champion du monde, tout le monde le serait.

En 2008, quand j’ai affronté Carl Froch pour le titre en Angleterre, j’ai travaillé fort et j’ai été discipliné, mais j’ai perdu. J’aurais pu tout abandonner. Plutôt, j’ai travaillé encore plus fort, j’ai été encore plus discipliné et, surtout, j’ai persévéré. Six mois plus tard, j’étais champion du monde.

À l’école, je n’étais pas l’élève le plus doué, mais je travaillais fort et j’étais discipliné. Malgré les échecs, je persévérais pour que le prochain examen aille mieux. C’est comme ça que j’ai été admis dans l’une des techniques les plus contingentées, techniques policières. En plus, je n’avais pas rempli de formulaire pour les minorités ethniques. À l’époque, je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui, ils recherchaient des minorités ethniques pour intégrer les forces policières. Mais je suis une personne fière, je ne voulais pas qu’on me dise que j’étais là en raison de ma couleur de peau. Je ne voulais laisser aucun doute.

C’était la même chose aussi dans mon camp d’entraînement avant mon deuxième combat contre Adrian Diaconu. On était en République dominicaine, dans un petit gymnase. Normalement, à l’approche d’un combat, on engage des partenaires d’entraînement. Marc Ramsay voulait mettre la coche encore plus haut. Il avait offert 1000 $ additionnels aux boxeurs du club dominicain si quelqu’un était capable de me passer le K.-O. Heureusement pour lui, il n’a pas eu besoin de donner ces 1000 $. Quand les boxeurs locaux ont vu arriver un champion du monde, ils ont tous essayé de se prouver. Ils voulaient m’impressionner, impressionner les entraîneurs. Ç’a été un camp difficile, mais les bonnes choses n’arrivent pas pour rien.

Je suis né comme ça, je suis né guerrier. J’ai toujours voulu me surpasser. J’essaie d’être un bon exemple pour ma fille.

Apprivoiser Jean Pascal

Au fil du temps, les gens ont appris à apprivoiser Jean Pascal. Stéphan Larouche me le dit depuis mes années de boxe amateur : « Jean, tu gagnes à être connu. »

Les gens n’ont pas toujours compris mon attitude de guerrier. Avant de devenir le meilleur, il faut croire que tu es le meilleur. Je l’ai toujours fait. Et un jour, je suis devenu le meilleur de ma catégorie. Les gens ont commencé ensuite à connaître l’homme derrière l’athlète, le Jean Pascal de tous les jours.

Au début de ma carrière, on me voyait surtout dans ma période de combat. Je ne suis pas dans le même état d’esprit à une semaine de me battre. Je me prépare à aller à la guerre. En ce moment, je suis loin d’un combat, je suis plus détendu.

Certains ne m’aimeront jamais, je ne peux rien y faire. Ils trouvent que j’ai une grande gueule. Je crois surtout que ces gens n’ont pas compris l’essence du marketing, du sport, de la confiance en soi. Je n’ai jamais été irrespectueux envers un adversaire. Je n’ai jamais parlé de la nationalité, de l’orientation sexuelle, de la couleur de peau. J’ai boxé contre un Italien en disant que j’allais faire des pâtes sanglantes. Contre Adrian The Shark Diaconu, j’avais apporté une dent de requin et j’avais promis que j’irais chercher les autres. Il n’y a rien d’irrespectueux là-dedans. J’étais jeune et j’avais de l’imagination.

J’ai toujours respecté mes adversaires. On pouvait avoir des prises de bec avant le combat, comme avec Bernard Hopkins, mais après le combat, on se serre la main et c’est fini.

Les mauvaises langues me dénigrent pour se remonter. Mais ceux qui me connaissent savent qui je suis vraiment. Avec un article comme celui-ci, je veux continuer à vous faire connaître le vrai Jean Pascal.

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