Chronique

Saputo ne mérite pas ce cauchemar

On peut comprendre l’équipe de Chelsea, empêtrée dans une saison difficile, de vouloir ramener Didier Drogba au bercail. Mais le club londonien devait-il se conduire de manière aussi déplorable pour atteindre son but ?

L’affaire a commencé le 17 décembre dernier, lorsque Chelsea a congédié son entraîneur José Mourinho. Qui aurait alors pensé que cette nouvelle se transformerait en catastrophe pour l’Impact ? Dès le lendemain, une information a filtré : le départ de Mourinho provoquerait le retour de Drogba au sein du club où il a brillé la plus grande partie de sa carrière.

Sur le coup, l’Impact ne s’est pas inquiété. Après tout, une organisation de l’envergure de Chelsea aurait sûrement le professionnalisme d’aviser la direction avant de pressentir Drogba. Dans le football international, personne n’ignore qu’il a un contrat avec le club montréalais jusqu’en décembre prochain.

Vingt-quatre heures plus tard, l’Impact a compris que la situation lui échappait. La publication d’une photo désormais célèbre, où on voit Drogba assister au match hebdomadaire de Chelsea en compagnie du propriétaire Roman Abromovich et de l’entraîneur par intérim Guus Hiddink, a eu l’effet d’un coup de poing.

Et dire que six semaines plus tôt, Drogba prévoyait reprendre la forme au début de janvier avant de rejoindre ses coéquipiers montréalais en Floride pour le camp d’entraînement.

L’Impact a alors proposé à son joueur-vedette de trouver un arrangement lui permettant de poursuivre sa carrière en MLS tout en donnant un coup de main à Chelsea dans un rôle d’encadrement. Peut-être pourrait-il revenir à Montréal seulement au début du calendrier ?

Étant donné qu’il fêtera ses 38 ans en mars prochain, rater ces semaines préparatoires ne constituait certes pas la solution idéale. Mais l’Impact était prêt à bien des concessions pour s’assurer que son numéro 11 enfile de nouveau le maillot de l’équipe.

***

Aujourd’hui, les chances que Drogba poursuive son association avec l’Impact sont minces. Sa tête et son cœur semblent être à Chelsea, loin de Major League Soccer et de ses voyages en classe économique. L’organisation londonienne, de son côté, mène avec arrogance la bataille pour ses services.

En rappelant que Drogba était lié une autre saison à l’Impact, Guus Hiddink a donné l’impression de jouer ses cartes avec dignité. La réalité est plus tordue. Il a plutôt placé le club montréalais au pied du mur : avez-vous le culot d’empêcher Drogba de vivre dès maintenant une nouvelle étape de sa vie professionnelle ?

Du coup, Joey Saputo se retrouve pris dans un étau. S’il se montre intraitable et exige le respect du contrat, Drogba sera mécontent et le laissera savoir. L’Impact paraîtra alors mal sur la scène internationale et Drogba pourrait simplement annoncer sa retraite. Pas facile de gagner un concours de popularité contre un des joueurs les plus populaires du monde. Après avoir consacré autant d’efforts à établir sa crédibilité en Europe et dans toutes les Amériques, l’Impact n’a sûrement pas le goût de vivre une expérience semblable.

En revanche, la première responsabilité de Joey Saputo est envers son organisation et les fans de l’équipe. Il ne peut accepter sans combattre une éventuelle demande formelle de Drogba d’être libéré de son contrat.

Soyons réalistes : pour l’Impact, le départ de Drogba serait un malheur. On peut croire que Joey Saputo, dans leurs entretiens des derniers jours, le lui a indiqué.

Sur le terrain, personne ne pourrait assumer la relève de Drogba à courte échéance. Les attaquants disponibles à cette période de l’année, soit en plein milieu de saison des autres ligues, ne sont pas des sauveurs. Il faudra attendre la période estivale des transferts pour trouver du renfort digne de ce nom.

Du point de vue promotionnel, le numéro 11 est le plus bel atout de l’histoire de l’Impact. Son arrivée en août dernier a donné une impulsion extraordinaire à l’organisation. Plus de 2000 abonnements saisonniers supplémentaires ont été vendus en vue de la prochaine saison. Sans lui, ce succès aurait été impensable. Comment réagiront ces gens si Drogba n’est plus là ? Les plus déçus demanderont-ils un remboursement ?

Sur le plan financier, l’Ivoirien gonfle les assistances et les revenus de l’équipe. Oui, il doit toucher 2,5 millions US cette saison, une jolie somme. Mais c’est beaucoup moins que d’autres grandes vedettes du circuit : Kaka (Orlando), Sebastian Giovinco et Michael Bradley (Toronto), Steven Gerrard (Los Angeles) et Frank Lampard (New York FC) empochent tous plus de 6 millions US par année.

C’est sans doute un argument que Drogba soulèvera s’il veut quitter Montréal pour de bon. Il aura beau jeu de rappeler à Joey Saputo qu’il a bien rempli sa part du contrat compte tenu de son salaire relativement modeste. Et là-dessus, il n’aura pas tort.

***

Dans un monde idéal, Drogba accomplirait un ultime tour de piste avec l’Impact avant d’entreprendre sa deuxième carrière à Chelsea. D’autant plus que Guus Hiddink, qui souhaite sa venue, ne demeurera peut-être pas en poste la saison prochaine. Et qui sait si le futur entraîneur du club londonien montrera le même enthousiasme envers lui ?

Drogba envisage peut-être un parcours à la Zinédine Zidane, nommé lundi entraîneur-chef du Real Madrid après un séjour prolongé dans un poste d’apprentissage. Si c’est le cas, il a tout le temps devant lui et peut disputer une dernière saison.

Cela dit, si Drogba veut retourner à Chelsea dès maintenant, cette organisation détient la clé pour que le dossier se règle dans le respect de tous. À elle de dédommager adéquatement l’Impact pour la perte du numéro 11, que ce soit financièrement, par le prêt d’un joueur ou une combinaison des deux.

Joey Saputo a montré du flair et de l’audace en embauchant Drogba pour une saison et demie. Il ne mérite pas de se retrouver dans cette situation cauchemardesque moins de six mois plus tard.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.