Essai

Les notes de Joan Didion

South and West — From a Notebook
Joan Didion
Knopf
160 pages

À la blague, les fans de Joan Didion affirment qu’ils liraient sa liste d’épicerie si elle la publiait. Il est vrai que chaque parution qui porte le nom de la célèbre écrivaine est un événement dans le monde littéraire. Et ce n’est pas différent pour South and West — From a Notebook, paru mardi dernier et qui a été salué par le magazine Time comme une des lectures incontournables de 2017.

Aujourd’hui âgée de 82 ans, Joan Didion est une icône. Ses longs reportages – des explorations de la société américaine – ont marqué le paysage littéraire et ses livres, pensons à The White Album ou Slouching Towards Bethlehem, sont devenus des classiques. Chacun de ses textes est un modèle de reportage journalistique et d’écriture.

On nous présente South and West comme un recueil de notes, mais ce sont des textes pratiquement achevés que nous avons le plaisir de lire ici.

Comme l’explique en introduction Nathaniel Rich – jeune écrivain américain à suivre – le sud et l’ouest représentent dans cet ouvrage les deux pôles de l’expérience américaine : le sud incarne les idées du passé et l’ouest, les promesses de l’avenir.

La partie sud est un road trip que Joan Didion a fait avec son mari John Gregory Dunne (dont la mort, survenue en 2003, a été l’objet du sublime L’année de la pensée magique) dans le but d’écrire un reportage qu’elle ne terminera toutefois jamais. Durant le mois de juin 1970, le couple traverse les États de la Louisiane, du Mississippi et de l’Alabama. Comme dans tout road trip américain qui se respecte, il y a des diners et des motels. Didion note ses entrevues, ses observations. Bien sûr, au-delà des lieux, c’est l’Amérique des petites villes déchirées par les questions de classe et de race que l’écrivaine nous décrit.

Dans la partie ouest, California Notes, on retrouve ce qui devait être un grand reportage pour le magazine Rolling Stone sur le procès de l’héritière Patty Hearst, en 1976. Le procès avait lieu à San Francisco, la région d’origine de Joan Didion qui s’est désintéressée du procès et qui en a plutôt profité pour parler de cette région qui l’a vue grandir, de sa famille, de ce qui l’a forgée.

Nathaniel Rich affirme avec raison que c’est sans doute le livre le plus révélateur de Didion, et ce, même si elle a maintes fois écrit sur sa vie, son couple, sa fille. C’est vrai que ces deux textes nous permettent de voir le travail de l’écrivaine de l’intérieur, en quelque sorte, de mieux comprendre sa technique, la fameuse méthode Didion. C’est aussi un livre qui montre à quel point Didion est une écrivaine hypersensible, perspicace, voire presciente. Ce qu’elle décrit dans ses reportages, c’est un peu le germe de ce qui poussera Donald Trump au pouvoir, un noyau dur de l’Amérique qui résiste au progrès, qui persiste dans sa manière de voir le monde divisé selon les origines raciales et les classes sociales. Bref, même s’il s’agit de « notes », South and West a sa place aux côtés des autres titres de la grande Joan Didion.

La philosophie du cancer

Mes mille et une nuits
Ruwen Ogien
Albin Michel
253 pages

Il se publie un très grand nombre de livres sur la maladie. Celui-ci est à part : le livre d’un philosophe lui-même atteint du cancer et qui observe sa condition d’un point de vue philosophique. Un philosophe épuisé physiquement par la maladie, mais dont l’esprit est demeuré vif et la capacité à réfléchir tout à fait entière. Très connu en France, Ruwen Ogien se livre ici à une critique en règle du dolorisme. La douleur, pour ce philosophe, n’a aucune valeur morale et il refuse de jouer le rôle du bon malade qui adhérerait à cette doctrine qui prétend qu’on retire quelque chose de la maladie, qu’on en sort grandi, qu’elle révèle notre nature profonde, notre capacité à nous battre, à faire preuve de courage. La maladie n’a aucune morale et aucune vertu, selon Ogien, qui refuse ce regard paternaliste encouragé par un système médical qui attribue à chacun un rôle : au malade, celui de victime humble, docile et combattante à la fois et au médecin, celui de sauveur bienveillant. Difficile d’évaluer la portée de ses propos chez un lecteur atteint du cancer, mais pour le bien-portant, voilà un livre original et brillant. — Nathalie Collard, La Presse

Encore l’islamophobie

Un racisme imaginaire — La querelle de l’islamophobie
Pascal Bruckner
Grasset
257 pages

L’islamophobie est le sujet chaud de l’heure. Le philosophe Pascal Bruckner est le dernier à joindre sa voix au concert de ceux qui en nient l’existence. Le philosophe estime que la société est piégée dans ce débat. Il soutient que l’islam doit accepter d’être l’objet de critiques au même titre que les autres religions. En confondant islamophobie et saine remise en question, on empêche, selon lui, les Occidentaux et les musulmans modérés de critiquer le fanatisme religieux des extrémistes. Si l’Occident ne sait pas se tenir debout, c’est qu’elle a abdiqué, croit en outre le philosophe qui rejoint ici la thèse du romancier Michel Houellebecq dans Soumission. Une comparaison renforcée par la jaquette de son livre qui montre une femme voilée portant les couleurs de la France, les yeux baissés en signe de… soumission. Il y a des points intéressants dans ce texte, mais il y a aussi des affirmations qui dérangent. Dire que les musulmans sont victimes d’un « racisme imaginaire », c’est nier une réalité bien concrète et ce refus de voir la réalité en face contribue, lui aussi, à paralyser le débat. — Nathalie Collard, La Presse

Les leçons d’un grand

L’atelier d’écriture de Gabriel García Márquez — Comment raconter une histoire
Seghers
453 pages

Une classe de maître avec l’auteur de Cent ans de solitude qui enseigne comment raconter une histoire, c’est une incursion dans l’esprit d’un génie de l’écriture. Si on connaît bien le romancier, on connaît moins le scénariste qui, en 1986, fondait l’École internationale de cinéma et de télévision à Cuba, pays qu’affectionnait particulièrement cet admirateur de Fidel Castro. Il y a donné plusieurs ateliers d’écriture. Ce livre nous propose la retranscription de deux de ces classes dans lesquelles García Márquez montre à ses élèves comment construire des intrigues de telenovelas. Exercices pratiques, échanges, discussions, c’est comme si on y était. García Márquez y est sympathique et généreux, pas du tout dans la posture du grand maître qui regarderait ses élèves de haut. Un livre qu’apprécieront tous ceux qui s’intéressent à l’écriture sous toutes ses formes.

— Nathalie Collard, La Presse

Douze leçons pour sauver la planète

Tout est prêt pour que tout empire
Hervé Kempf
Seuil
112 pages

Dix ans après l’essai-choc où il sonnait l’alarme (dans Comment les riches détruisent la planète), Hervé Kempf fait le point sur l’état actuel de la planète et tente de démontrer comment climat, capitalisme et terrorisme sont intimement liés dans une situation mondiale devenue intenable. Le journaliste spécialisé en environnement reprend ce concept de sobriété heureuse qu’il évoquait déjà en 2007 et propose des pistes de solution pour sortir de ce système « croissanciste », axé sur une production constamment grandissante, « qui nous prend dans un étau ». Alarmiste ? On pourrait le croire, mais Kempf se veut également optimiste. Nous ne sommes pas actuellement en état de catastrophe, rassure-t-il, et il n’est pas trop tard pour sortir de 50 ans d’éducation au gaspillage. Même si le monde du début du XXIe siècle subit, à son avis, la classe dirigeante « la plus stupide de l’histoire »… Un essai prenant, incisif et ancré dans l’actualité qui nous incite à l’action – ou du moins, à une profonde réflexion.

— Laila Maalouf, La Presse

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