John Earnest était un élève aussi exemplaire que populaire. Adolescent, il excellait au sein de l’équipe de natation de son école et jouait du Chopin ou du Beethoven dans des concerts scolaires. À l’université, ses résultats lui ont valu de figurer sur la liste des meilleurs étudiants de sa cohorte.
Il y a trois semaines, au dernier jour de la Pâque juive, l’étudiant de 19 ans est entré dans une synagogue de Poway, près de San Diego, dans le but d’assassiner des juifs.
Il y a abattu une femme de 60 ans et blessé trois autres fidèles avant de prendre la fuite, puis de se faire arrêter et accuser de meurtre.
« Je mourrais mille fois pour empêcher le sort maudit que les juifs ont planifié pour ma race », affirme John Earnest dans le manifeste publié sur la plateforme d’extrême droite 8chan une heure avant l’attentat.
Il y évoque Brenton Tarrant, le présumé terroriste qui a assassiné 50 musulmans à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, le 15 mars dernier.
Tout comme son modèle, John Earnest a agi seul. Mais tout comme Brenton Tarrant, il était lié à une constellation idéologique de plus en plus radicale, et de plus en plus répandue en Occident : celle d’une droite ultraradicale. Une tendance qui se fait aussi sentir au Canada.
Le mouvement se décline sous différentes formes et seule une infime minorité ira jusqu’à prendre les armes. Mais ses adhérents partagent un fonds idéologique commun. Et ils nourrissent tous la même crainte : celle que les « Blancs » soient en voie d’être anéantis par des envahisseurs basanés, conséquence imminente, selon certains, d’un complot ourdi par les Juifs.
La plupart se contenteront de disséminer leurs discours haineux. D’autres iront jusqu’à passer à l’acte.
Aux États-Unis, la terreur d’extrême droite a été liée à 50 meurtres en 2018, soit 35 % de plus qu’en 2017, constate la Ligue américaine antidiffamation (ADL). Un record depuis 1995, année de l’attentat de Timothy McVeigh à Oklahoma City.
Depuis 10 ans, trois fois plus d’Américains sont tombés sous les balles des extrémistes de droite que sous celles des terroristes islamistes, constate l’ADL.
Marilyn Mayo, chercheuse au Centre sur l’extrémisme de l’ADL, suit l’extrême droite américaine depuis 20 ans. Elle constate qu’au cours des dernières années, le mouvement s’est enflammé. « À cause des changements démographiques, ses adhérents sont animés par un sentiment d’urgence », dit Mme Mayo.
« Certains se disent : quelqu’un doit le faire [protéger la survie des Blancs], et ce sera moi ! »
Le phénomène explose
Le phénomène du suprémacisme blanc n’est pas nouveau, mais il s’accélère, dit Barbara Perry, spécialiste canadienne de ces mouvements à l’Université de l’Ontario. Au Canada, le nombre de groupes a explosé depuis quatre ans, passant d’une centaine à plus de 200. Le même phénomène s'est produit au Québec, où le nombre de groupuscules extrémistes est passé d'une vingtaine à plus de 50, selon la chercheuse. « Les extrémistes de droite sont devenus de plus en plus visibles, leur discours est devenu plus violent, et ils ciblent de plus en plus les immigrés et les Juifs », résume Mme Perry.
« L’identité des adhérents de ces groupes se durcit. Au Canada, ils sont beaucoup plus actifs que les extrémistes islamistes. »
— Barbara Perry, spécialiste des mouvements suprémacistes blancs à l’Université de l’Ontario
Aux États-Unis, le réseau Hatewatch vient de recenser plus d’un millier de groupes haineux, et constate que le nombre de groupuscules nationalistes blancs a bondi de 50% cette année, et qu’ils sont de plus en plus violents.
En Allemagne, sur 24 000 extrémistes de droite répertoriés en 2017 par le ministère de l’Intérieur, 12 700 se sont dits prêts à la violence.
Selon Peter Neumann, expert allemand de la violence politique, les fanatiques de la droite radicale commettent de plus en plus de petites attaques. Et ils sont de plus en plus reliés à un réseau qui agit comme un accélérateur de radicalisation.
« Le fait qu’ils agissent seuls ne signifie pas qu’ils se sont radicalisés seuls », ajoute Peter Neumann, selon qui les participants à des forums d’extrême droite comme 4chan, 8chan ou Discord « ressentent un besoin d’appartenir à un mouvement important ».
« Les extrémistes de la droite radicale agissent en solitaire, mais ils se parlent entre eux et ils s’inspirent les uns les autres », renchérit Raffaello Pantucci, spécialiste en sécurité internationale au Royal United Services Institute (RUSI), en Grande-Bretagne.
Selon ce dernier, la droite radicale a subi une profonde mutation ces dernières années : ce ne sont plus des « solitaires isolés », mais bien des « réseaux et idéologies semi-structurés qui s’adressent à des communautés de gens qui se sentent laissés pour compte par leurs sociétés ».
« Ils sont connectés à quelque chose de plus grand, d’une manière semblable à celle des militants islamistes. »
Les deux faces de la même médaille
Terrorisme d’extrême droite et terrorisme islamiste se nourrissent mutuellement, observent les experts. Une analyse des attaques terroristes mettant en cause la droite radicale depuis 2011, publiée par le New York Times, montre comment des attentats islamistes ont pu servir de détonateur pour justifier des réponses armées de l’ultradroite.
Inversement, les attentats récents contre des chrétiens du Sri Lanka ont pu être orchestrés… en réponse à ceux de Christchurch.
Comme les islamistes radicaux, les extrémistes de droite veulent « terroriser, radicaliser et mobiliser », dit Raffaello Pantucci. Contrairement au groupe État islamique, qui a un leader et a pu brièvement exercer son contrôle sur un territoire, la droite extrême n’a ni « califat » ni tête dirigeante. Mais les islamistes et les « nationalistes blancs » partagent le même besoin « de sentir qu’ils font partie d’un mouvement plus grand qu’eux », dit Peter Neumann.
Certaines de leurs références historiques sont les mêmes, bien que vues d’une perspective différente.
« Les deux parlent des croisades, ils évoquent tous la bataille de Vienne [qui en a définitivement chassé les Turcs en 1683] et ils parlent de vengeance », ajoute Peter Neumann. Selon lui, extrémistes islamistes et suprémacistes forment « les deux faces de la même médaille ».
Signal d’alarme
« Les islamistes radicaux ont montré leurs intentions pendant des années, mais il a fallu les attentats du 11 septembre 2001 pour qu’on y porte attention », déplore Jason Burke, journaliste du Guardian et spécialiste des mouvements terroristes.
Le 22 juillet 2011, le terroriste d’extrême droite Anders Breivik assassine 77 personnes dans deux attentats en Norvège. Cette tuerie de masse aurait dû donner le signal d’alarme, dit Jason Burke. « À ce moment-là, on aurait dû comprendre, et ne plus se focaliser seulement sur le terrorisme islamiste. »
Plusieurs experts croient que les attentats de Christchurch ont marqué un tournant. Que c’était le 11-Septembre du terrorisme de droite.
Mais Jason Burke en doute : « Moins de trois mois après, la nouvelle est déjà disparue des écrans radars… »