À MA MANIÈRE

Jerry Ferrer, grand chef de casse-croûte

Ça, c’est de la restauration rapide ! Fin juillet, le chef Jérôme Ferrer avait l’idée d’un casse-croûte gourmet. Début octobre, il l’ouvrait. Sa recette : la main à la pâte et dans la boîte à outils.

Mardi 27 octobre, à l’heure du dîner.

Le chef Jérôme Ferrer ne dirige pas la trentaine de cuisiniers de son restaurant Europea – qui vient au deuxième rang parmi les meilleurs restos du monde, selon un récent palmarès établi par TripAdvisor.

Non. Il sert des clients au comptoir du casse-croûte Chez Jerry, sur la côte du Beaver Hall.

Jerry, c’est lui.

C’est son casse-croûte.

Trois mois plus tôt, il n’existait même pas en imagination. Le décor rétro évoque le Québec rural et pittoresque du milieu du siècle dernier. Les murs sont lambrissés de planches brutes.

Les employés portent des chemises à carreaux rouges et noirs.

Jérome Ferrer, lui, est cintré dans sa tunique blanche de chef, brodée Grand Chef Relais & Châteaux.

L’IDÉE

Ce septième établissement du Groupe Europea n’est pas l’aboutissement d’une stratégie de longue date.

« Pas du tout. À travers mon parcours, je n’ai jamais eu une planification de plan d’affaires. Pourquoi ? Parce que la restauration va trop vite. »

— Jérôme Ferrer

L’idée a surgi lors de l’événement culinaire en plein air Bouffons, du 11 au 25 juillet, où il offrait de petits plats à emporter.

« Ç’a été un succès phénoménal », indique le souriant chef de 41 ans.

Soulevé par cet enthousiasme et soutenu par ses deux partenaires, Patrice De Felice et Ludovic Delonca, il décide d’ouvrir un casse-croûte à son (bon) goût.

L’ADDITION

Mais il y a urgence : chaud, le projet !

« On se dit : cette idée-là, il faut vite la concrétiser avant qu’on change d’avis. »

Plutôt que de demander un financement bancaire, il paie le projet avec ses propres fonds. « On m’aurait demandé des dossiers et des dossiers, et j’aurais laissé tomber ce projet, c’est certain. »

Le temps manque aussi pour se mettre en quête d’un local.

C’est dire l’importance que revêt pour lui cette nouvelle aventure : originaire des Corbières, dans le sud-ouest de la France (« C’est déjà l’hiver », dit-il sombrement), le chef sacrifie son restaurant méditerranéen Andiamo pour y installer son casse-croûte.

« Il marchait à merveille », assure-t-il pourtant.

Jérôme Ferrer reconnaît qu’il fallait de l’audace. Mais il a une devise : ne rêve pas ta vie, vis tes rêves. Pas demain, tout de suite.

« Je n’étais pas comme ça à la base, confie-t-il. Quand j’ai perdu ma conjointe, il y a cinq ans, à 35 ans, enceinte de cinq mois, décédée d’un cancer généralisé, j’ai saisi l’importance et la fragilité de la vie. »

LE DÉCOR

Les associés font appel à un designer qui trace quelques croquis, mais ils ne retiennent que ses indications sur la logistique et les normes. « Ce n’était pas ce qu’on voulait faire. On a dit : “On ferme le livre.” »

En trois semaines, ils conçoivent eux-mêmes un « décor de grange québécoise », question de s’inscrire dans la tradition.

Et, toujours dans la tradition rurale, ils construisent la grange eux-mêmes.

« Par nos propres mains ! »

« Et le pire, ajoute-t-il, c’est qu’on s’est donné le challenge de monter ce restaurant en deux semaines ! »

On soupçonne un peu de truculence méridionale, un petit côté Tartarin de Tarascon, chez le jovial entrepreneur culinaire.

« Vous n’avez pas sorti le marteau vous-mêmes, quand même ?

 – Si, si, si ! C’est nous qui avons monté le mur, on a créé le bar, on a tout fait ! »

Comme témoin, il appelle Paul Vaillant, l’ancien directeur du chic Andiamo, maintenant directeur du pittoresque Chez Jerry. Jérôme Ferrer lui demande de confirmer la durée des travaux.

« Dix kilos, répond l’autre en souriant, pour montrer qu’il a payé de sa personne. »

LE MENU

À travers les marteaux et des vis, il fallait tout de même créer le menu.

« On est allés dans l’interprétation de ce qu’on retrouvait dans les classiques de casse-croûte : la guédille, travaillée de façon tout à fait gastronomique, la poutine, bien sûr… »

Il conserve la même philosophie que pour ses grandes tables : « Je choisis des produits de grande qualité que je mets en valeur. »

Pour rendre justice à ses artisans-fournisseurs, il les présente sur des affichettes encadrées.

Tout comme ses menus, elles montrent un graphisme dépouillé, inspiré des publicités des années 50.

Il a fait appel à un bureau de graphistes, sans doute ?

« Même pas ! Dans notre équipe, nous avons quelqu’un qui est aussi talentueux que sa mère : Hugo, le fils de Lise Dion. »

LE SUCCÈS

Depuis l’ouverture, le 6 octobre, il est sur place durant les heures de service, pour guider la phase de démarrage.

« Je sais, à travers le regard d’un client, si j’ai bien fait mon travail ou si je ne l’ai pas bien fait. C’est important pour moi d’être là, d’être présent. »

Le casse-croûte, qui n’est ouvert que le midi, accueille de 400 à 500 clients chaque jour. « C’est impressionnant. La ligne va jusque dehors. Ça fait chaud au cœur. »

Des gens d’affaires du quartier l’incitent à prolonger le concept en proposant des franchises. Il y songe.

LE NOM

Mais pourquoi Chez Jerry ?

« Je savais que ce serait Chez… quelqu’un. »

Un jeune spécialiste du marketing de 21 ans, dans son équipe de gestion, lui a suggéré d’évoquer les origines anglophones du quartier et du fast-food.

Il avait entendu des clients américains l’appeler Jerry, parce qu’ils étaient incapables de prononcer correctement Jérôme.

« Il m’a dit : “Tu as juste à l’appeler comme ça.” »

Rencontrez donc Jerry !

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