MARIE-LOUISE BIBISH MUMBU

Chocs et manioc

Une journaliste quitte son Congo natal à la recherche d’une vie meilleure. Son pays, sa ville, elle les porte dans son cœur et ses valises, cette Bibish de Kinshasa.

Manioc, banane plantain, poisson salé… Salivez, salivez. Bibish de Kinshasa, pièce de Marie-Louise Bibish Mumbu mise en scène par Philippe Ducros, vous y fera goûter. Pour vrai.

La jeune auteure congolaise – et maman depuis à peine plus de trois semaines – Marie-Louise Bibish Mumbu raconte Kinshasa, sa ville, sa population, ses coutumes, dans la pièce adaptée de son propre roman. Et ça comprend de la vraie bouffe préparée sur place.

« Kinshasa est une ville très bruyante et odorante. On a voulu remettre ça en scène. Ce sont les odeurs de ce qu’on appelle la viande ruelle. Le public pourra y goûter. Cette mise en scène est une autre façon de se présenter qu’au travers des drames qu’on nous rapporte à la télé. »

Oui, le Congo va mal, le Congo a mal. La misère, l’injustice, la violence causées par la guerre depuis 20 ans sont d’une tristesse infinie, mais l’auteure voulait surtout montrer comment les 60 millions de Congolais et Congolaises arrivent à s’en sortir.

« Tous les jours, c’est un parcours du combattant. L’idée était de célébrer les gens, vivants. Dans leurs gestes, leur humour et leur délire quotidiens. On a une certaine autodérision au Congo qui nous permet de passer au travers. »

— Marie-Louise Bibish Mumbu

Le roman Samantha à Kinshasa a été publié ici par Recto-Verso. Deux adaptations théâtrales avaient déjà été présentées au Congo et en France. Quand elle travaille, Marie-Louise Bibish Mumbu dit ne pas penser nécessairement à la scène.

« Quand on me demande ce que j’écris, je dis que ce sont des écrits. Je n’ai pas en tête un roman ou une pièce. Mes personnages, je les vois toujours en train de marcher, en action. »

Samantha, la narratrice, est journaliste. Le texte raconte ses observations de la vie de tous les jours et des faits et gestes d’habitants de la capitale congolaise.

PHILIPPE DUCROS

Présentée l’an dernier dans le cadre de Dramaturgies en dialogue, la pièce avait été mise en lecture par Philippe Ducros. Une amie commune avait parlé de lui à l’auteure.

« Je l’ai rencontré juste au moment où il partait au Congo pour son projet La porte du non-retour. Nous nous sommes revus longtemps après. Un ami à moi [Papy Maurice Mbwiti] avait vu sa pièce en France et a critiqué fortement sa vision du Congo. Maintenant, il joue dans la pièce ! »

La porte du non-retour, présentée pour la première fois au FTA en 2011, exposait un parcours photographique commenté par Philippe Ducros. 

« Philippe m’a alors dit qu’on referait le voyage ensemble. Bibish est un peu la réponse à La porte du non-retour qui représentait le chaos. »

« Bibish montre que la vie est difficile, mais que les gens inventent constamment des mécanismes d’autodéfense et de nouvelles façons de faire pour s’en sortir. »

— Marie-Louise Bibish Mumbu

Le Congo vit depuis trop longtemps une véritable tragédie – 5 millions de morts en 20 ans – et l’exploitation de minerai, par des multinationales canadiennes notamment, qui affectent les populations locales.

« C’est un génocide dont on ne parle pas. Les gens meurent dans le silence national et international. C’est un engrenage, une guerre qui ne finit pas », s’attriste-t-elle.

La nouvelle maman admet qu’elle n’est pas très optimiste sur le sort de son pays, malgré la résilience des Congolais.

« Politiquement, ce sera toujours instable. C’est ainsi qu’on permet aux étrangers de venir se servir dans nos ressources naturelles sans que personne s’en offusque. On en parle dans la pièce. Philippe a vu tout ça aussi. »

KINSHASA

Kinshasa manque à cette jeune femme qui a pris le Québec comme pays par amour. La ville de 10 millions d’habitants fourmille de jeunes bien sapés, de musique et de bouffe à faire rêver.

« Si Kinshasa était un pays, je prendrais la nationalité, dit-elle en riant. J’y suis très attachée. »

S’il est une autre chose réjouissante dans la présentation de Bibish de Kinshasa, c’est la mise en lumière du talent congolais en nos murs et sur scène, dont la comédienne Gisèle Kayembe.

Entre les différents tableaux formant la trame narrative portée par ce personnage principal, Marie-Louise Bibish Mumbu, Philippe Ducros et Papy Maurice Mbwiti dialoguent en arrière-plan au sujet de la situation actuelle au Congo. Chocs et manioc.

« Tant qu’on passe une journée, c’est gagné. On réussit à se lever le matin et à se coucher le soir, sans être mort, c’est bon. Et on peut le refaire le lendemain. »

À Espace libre du 13 au 24 octobre

Consultez le site de l’Espace libre : http://www.espacelibre.qc.ca/

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