Chronique

La caricature Trump

C’était une caricature de la gauche caviar. Même s’il n’y avait pas de caviar au menu : une salade de betteraves, un surf & turf et beaucoup de champagne. Des stars en smoking blanc ou en robe lamée or et des producteurs millionnaires réunis dans une salle de bal de Beverly Hills. Du strass, des paillettes, 125 caisses de Moët &Chandon et des créateurs homosexuels saluant fièrement, devant quelque 20 millions de téléspectateurs, leurs époux respectifs.

Aussi, bien des discours émaillés de références désobligeantes au président désigné Donald Trump. Bienvenue aux Golden Globes, « l’un des seuls endroits aux États-Unis où l’on respecte le vote populaire », a déclaré d’entrée de jeu, dimanche soir, l’animateur Jimmy Fallon, pourtant critiqué à l’automne pour une entrevue complaisante avec Trump au Tonight Show.

L’acteur britannique Hugh Laurie s’est ensuite félicité d’être l’un des lauréats du tout dernier gala présenté par la Hollywood Foreign Press Association. « Je ne veux pas être défaitiste, mais il y a là les mots ‟Hollywood”, ‟étranger” et ‟presse” », a ironisé l’acteur, en faisant référence à trois bêtes noires du président désigné.

Sans le vouloir, l’ex-Dr House s’est trouvé à couper l’herbe sous le pied de Meryl Streep. L’actrice, en recevant son prix hommage, a à son tour fait remarquer que les invités des Golden Globes appartenaient aux groupes les plus « diabolisés » de la société américaine actuelle.

Dans un appel à la dignité, à l’empathie et à la sauvegarde de la liberté de la presse, la comédienne a mis en garde le public contre les dangers de la normalisation des discours haineux et xénophobes, de l’intimidation et de l’insulte, omniprésents avant, pendant et depuis l’élection présidentielle.

« L’irrespect amène l’irrespect. La violence incite à la violence », a-t-elle rappelé, en se désolant de la manière avec laquelle Donald Trump (qu’elle n’a jamais nommé) s’était moqué, en novembre 2015, du handicap d’un journaliste du New York Times.

« Et quand les puissants se servent de leur rang pour brutaliser les autres, nous sommes tous perdants. »

— Extrait du discours de Meryl Streep

Un discours percutant, éloquent, courageux, qui a aussitôt été célébré par la gauche et vilipendé par la droite sur les réseaux sociaux. Le point d’orgue d’une soirée au ton résolument anti-Trump, qui m’a spontanément inspiré bien des questions. Ce genre de prise de parole, dans un tel contexte, est-il efficace ? Ou contribue-t-il au contraire au schisme et au décalage entre l’Amérique « rouge » et la « bleue » ?

Se pourrait-il que le discours vibrant de Meryl Streep, auquel j’adhère parfaitement, divise davantage qu’il ne rallie, en ne prêchant que les convertis ? Est-ce qu’en se servant d’une tribune comme les Golden Globes pour dénoncer en chœur un président qui n’est pas encore en poste, le Tout-Hollywood n’offre pas en quelque sorte à ses détracteurs la confirmation des préjugés qu’ils nourrissent à l’égard de « l’élite libérale » ?

Bref, en prêtant le flanc aux pires clichés véhiculés par la droite – un club sélect de bien-pensants privilégiés, déconnectés, qui boivent du champagne à loisir dans un gala en se confortant dans leurs opinions –, la gauche hollywoodienne se tire-t-elle dans le pied ?

La réponse à toutes ces questions m’est venue tôt hier matin, par l’entremise d’une série de tweets fielleux de Donald Trump. « Meryl Streep, une des actrices les plus surévaluées d’Hollywood, ne me connaît pas et m’a attaqué hier soir aux Golden Globes », a tweeté l’homme d’affaires/critique de cinéma, en traitant la plus grande actrice de sa génération de « laquais d’Hillary ». Pourtant, en entrevue au Hollywood Reporter en 2015, le même Donald Trump affirmait que Meryl Streep était l’une de ses actrices préférées : «  [Elle] est excellente et quelqu’un de très bien aussi. »

Il n’en est pas à une contradiction près. Le plus désolant dans sa plus récente tirade, c’est qu’elle n’a pas été écrite sous le coup de l’impulsion, mais plusieurs heures après le discours de Meryl Streep. Elle a aussitôt inspiré sur les réseaux sociaux un nouveau mot-clic : #ThingsTrumpThinksAreOverrated (parmi ces « choses que Trump trouve surévaluées », des internautes ont noté « payer ses impôts », « les faits », ou encore « un bronzage subtil ».)

Si Meryl Streep fait ainsi réagir Donald Trump, c’est que son message a forcément une portée. Il n’a pas été livré en vain. On me dira que le président désigné a l’épiderme particulièrement sensible. C’est vrai. Son compte Twitter, qui collectionne les bêtises comme d’autres les timbres-poste, est tellement grotesque qu’on jurerait que c’est une parodie.

Trump y pose un regard péremptoire sur tout et sur rien, du plus sensible au plus trivial, avec un talent certain pour attirer l’attention des médias – qui ne demandent pas mieux –, ce qui correspond aux diktats de l’époque mais représente l’antithèse du président américain archétypal. Ce n’est pas pour rien que ses partisans « anti-establishment » boivent ses paroles comme du petit-lait.

La semaine dernière, plutôt que de se préparer à son investiture en s’informant d’enjeux politiques et géostratégiques, Trump s’intéressait aux cotes d’écoute de son ancienne émission de téléréalité, The Celebrity Apprentice, afin de mieux se moquer de son successeur à l’animation, Arnold Schwarzenegger (un républicain qui a soutenu la candidature d’Hillary Clinton). Clownesque.

Trump est indigne de la fonction de président, a déclaré Barack Obama à de nombreuses reprises. Son comportement de bouffon mégalomane, avant et depuis son élection, semble donner raison à son prédécesseur.

Que faire devant le comportement imprévisible et intolérant d’un homme dont l’élection à la présidence annonce pour plusieurs la déliquescence et la faillite morale des États-Unis ?

Meryl Streep a préféré ne pas se taire. Profitant de la tribune exceptionnelle qui s’offrait à elle, l’actrice de Sophie’s Choice n’a pas hésité à dénoncer les tactiques d’humiliation et d’intimidation devenues la marque de commerce de Donald Trump. Quitte à s’aliéner une partie de son public. Et quitte à nourrir la caricature sur l’élite hollywoodienne.

Elle a parlé des racines modestes de ses camarades, nés dans de petites villes américaines ou à l’étranger. Des artistes qui ont dû, à l’instar du personnage d’Emma Stone dans La La Land, trimer et accumuler les échecs avant de réussir – la chance d’une infime minorité d’acteurs. Elle a appelé à la résistance des hommes et des femmes de bonne volonté. Et elle a eu raison.

« Prends ton cœur brisé et fais-en de l’art », a-t-elle conclu, en citant sa regrettée amie Carrie Fisher. Il faudra se souvenir de ses paroles pendant les quatre prochaines années. Sinon, nous serons tous perdants.

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