Élections fédérales 2019 Éditorial

Une question de respect

Pour contribuer au débat électoral, La Presse a choisi cette année encore de décortiquer les enjeux qui vous intéressent. Plutôt que de prendre position pour un parti, l’équipe éditoriale analyse en détail les trois thèmes que vous avez choisis comme priorités. Aujourd’hui : l’identité.

Vous avez été très nombreux à affirmer que vous ferez votre choix, lundi, en ayant l’enjeu identitaire en tête. Et parmi toutes vos réponses, un mot revenait constamment : « respect ».

« Pour moi, le plus important est le respect des compétences provinciales », a écrit Pierre Beaudoin.

« Pour moi, c’est le respect de la loi sur la laïcité, sans aucun doute », a précisé Carole Roy.

« Personne n’en parle, mais le respect intégral de la Loi sur les langues officielles est à mon avis un enjeu important », a renchéri Jean Larose.

D’autres ont parlé du « respect du caractère distinct » de la province, du « respect de la culture d’ici » et du « respect du consensus québécois sur l’aide médicale à mourir ».

Posons-nous donc la question directement : lequel des partis fédéraux est le plus susceptible d’offrir ce respect tant souhaité ?

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À les entendre ces jours-ci, tous les chefs veulent être le meilleur ami du Québec.

Andrew Scheer se dit « un allié » de la province. Jagmeet Singh et Justin Trudeau répètent qu’ils « partagent les valeurs des Québécois ». Quant à Yves-François Blanchet, il parle bien sûr des Québécois au « nous ».

Commençons par les libéraux, qui ont un bilan à défendre. Ont-ils fait preuve du respect demandé pendant les quatre dernières années ? Pas vraiment, non.

Justin Trudeau a beau se présenter comme le champion des minorités, la minorité francophone qui réside au Québec n’en fait pas souvent partie. Un constat auquel on arrive en se rappelant toutes les fois où il a imposé ses vues au Québec, sans grande sensibilité.

Rappelez-vous quand le gouvernement Couillard a dévoilé sa « politique d’affirmation du Québec », qui visait à ouvrir poliment le dialogue sur la place du Québec dans le Canada. Sans même ralentir le pas, Justin Trudeau a signifié aux journalistes à quel point il n’avait aucun intérêt pour ce genre de choses.

Rappelez-vous les décisions imposées depuis Ottawa de manière unilatérale, sans se soucier de ce qu’en pensait le Québec (conditions ajoutées aux transferts en santé, imposition d’une clause qui permet au fédéral de s’immiscer dans la Bourse du carbone du Québec, etc.).

On est loin du « fédéralisme coopératif » promis il y a quatre ans ! On est loin aussi de la « relation de nation à nation » proposée aux autochtones… mais refusée au Québec.

Dans un tel contexte, la possibilité de contester la loi sur la laïcité n’a rien de bien étonnant. C’est un geste de plus qui montre que le chef libéral n’est malheureusement pas en phase avec le Québec dont il dit partager les valeurs.

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Le ton est clairement différent du côté conservateur. Au point même où Andrew Scheer s’est permis mardi d’affirmer aux Québécois : « Vous êtes maîtres chez vous ! »

Il y a là de l’enflure verbale, convenons-en, mais la position du PCC n’en demeure pas moins beaucoup plus conciliante envers le Québec. Une position qui s’appuie sur une tradition décentralisatrice qui cadre bien avec le nationalisme qui s’exprime à nouveau dans la province.

La position de M. Scheer est d’autant plus affirmée ces temps-ci qu’elle rejoint celle du premier ministre du Québec : nationaliste, tout en étant fédéraliste. Ce qui donne du crédit au « fédéralisme d’ouverture » qu’il promet.

Cela se traduit d’ailleurs par des engagements ciblés : déclaration de revenus unique gérée par Québec, plus d’autonomie en culture, amélioration du programme de travailleurs étrangers temporaires, etc.

« Un seul parti va traiter les Québécois comme une nation », a-t-il lancé mardi, en rappelant l’un des rares éléments du bilan des années Harper qui résonnent encore au Québec (reconnaissance de la nation québécoise, siège à l’UNESCO, règlement du déséquilibre fiscal, etc.).

Tout cela ne fait pas oublier les positions douteuses des conservateurs sur l’immigration et leurs propos honteux sur le Pacte mondial sur les migrations de Marrakech, qui révélaient un côté populiste douteux.

Et tout cela, surtout, n’empêcherait pas les conservateurs d’imposer un pipeline au Québec, ce qui pourrait provoquer une crise nationale.

Mais, somme toute, on voit que les troupes de M. Scheer ont su raccorder leurs engagements au sentiment nationaliste qui s’exprime au Québec.

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Reste le Bloc (si on exclut les verts, qui ont peu de racines au Québec, et le NPD, qui n’a pas su s’imposer cette fois, malgré une bonne campagne tardive de Jagmeet Singh).

Il s’agit bien sûr du choix nationaliste le plus évident aux yeux d’un nombre croissant d’électeurs si on se fie aux sondages. Vu comme une valeur refuge quand les autres partis sont jugés décevants, le Bloc rallie à nouveau grâce à un chef solide et à une proximité avec le gouvernement Legault.

Le parti indépendantiste l’a eu un peu facile, disons-le. Il peut promettre n’importe quoi en plus d’avoir été sous-estimé par les grands partis en début de campagne. Mais Yves-François Blanchet a néanmoins montré sa compréhension du Québec contemporain en alliant avec brio nationalisme et environnementalisme.

Mais une fois cela dit, une question brutale doit être posée : le Québec veut-il retourner à l’époque où il stationnait son vote dans l’opposition ? Ce serait bien dommage.

Justin Trudeau n’a fait preuve d’aucune sensibilité nationaliste durant son mandat, mais la présence d’un grand nombre de Québécois au Conseil des ministres a néanmoins permis de faire une différence dans les décisions prises au quotidien sur des enjeux aussi divers que les infrastructures, les finances et la culture.

Quand on voit comment le Québec s’est taillé une place dans la campagne électorale, prenant même une place prépondérante dans le débat en anglais, on peut se demander s’il est dans son intérêt d’emprunter à nouveau la voie royale pour l’opposition. Surtout quand un des grands partis susceptibles de prendre le pouvoir promet le respect tant souhaité par un bon nombre de Québécois.

Découvrez le résultat de notre coup de sonde

Hier : l’environnement

Aujourd’hui : l’identité

Demain : l’économie

Méthodologie : Nous avons publié trois appels à tous, les 3, 8 et 9 octobre derniers dans la section Débats. Nous n’avons pas précisé dans quel but ni que les réponses seraient comptabilisées, afin d’éviter le noyautage des réponses par des envois massifs organisés. Aucun choix de réponses n’était donné. Il s’agissait d’appels à tous comme nous en faisons régulièrement, formulés ainsi : « Quel enjeu de cette campagne électorale déterminera votre choix le 21 octobre ? » Il ne s’agit pas d’un sondage scientifique, mais bien d’un coup de sonde.

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