Une chaire de la réconciliation entre le Nord et le Sud
Québec — De sa Bretagne natale, l’anthropologue Caroline Hervé était fascinée par le Grand Nord québécois. Après avoir appris l’inuktitut à Paris, vécu des années au Nunavik, la chercheuse vient d’être nommée à la tête d’une toute nouvelle chaire de recherche sur les sociétés inuites à l’Université Laval.
« J’ai été frappée par le manque de confiance des Nunavimmiuts en leur propre identité, en leur propre capacité à se gouverner, en leur savoir qui sont mis en danger par des politiques et des programmes pensés par d’autres, loin de chez eux », a expliqué hier Mme Hervé, lors du lancement de cette chaire de recherche.
Ancrée dans le contexte de la réconciliation avec les premières nations, la chaire veut réfléchir aux manières de bâtir des ponts entre le Nord et le Sud. Concrètement, l’une de ses premières tâches pourrait être par exemple de concevoir une formation pour les policiers du Nunavik, presque tous originaires du Sud.
« Il y deux semaines, j’ai rencontré le chef de la police à Kuujjuaq pour lui proposer de développer des formations pour les policiers qui entrent en poste, parce que pour l’instant, il n’y a aucune formation. Il a démontré un grand intérêt », explique Caroline Hervé.
« Le but serait d’aller vers d’autres corps de métier. Les infirmiers, les travailleurs sociaux ont déjà leurs formations. Mais plusieurs autres n’en ont pas. »
La chercheuse a constaté de visu, dès son premier long séjour au Nunavik, en 2009, le fossé entre la communauté inuite et les nombreux professionnels venus du Sud. Mme Harvey a vécu au Nord de façon quasi continue à partir de 2012. Elle a dirigé l’organisme Saturviit, l’association des femmes inuit du Nunavik.
« On aimerait aussi produire en partenariat avec Saturviit un livret à destination des femmes pour mieux leur expliquer le système de justice, dit-elle. Mais aussi pour récolter les savoirs inuits en lien avec la justice et les transmettre au personnel de la justice, avocats, juges, etc. Ça va dans les deux sens. »
La nouvelle chaire sur les sociétés inuites est la première d’une série de sept à être créées à l’Université Laval dans le domaine de la recherche nordique. L’établissement de Québec a obtenu en 2015 la plus importante subvention additionnelle de son histoire, dans le cadre du projet Apogée du gouvernement fédéral.
« Les autres chaires seront créées dans tous les domaines de recherche. Il y en aura en science et génie, en médecine, en foresterie et en géographie », explique Martin Fortier, directeur de Sentinelle Nord, le projet de recherche nordique qui a obtenu 98 millions de dollars d’Ottawa.
La chaire de Mme Hervé devra notamment aider les chercheurs du Sud à mieux comprendre les réalités inuites. « Quand j’y vivais, je voyais les professionnels dans le Nord qui ne comprenaient pas les Inuits et les critiquaient. Mais ces agissements sont liés à une histoire, une culture. Ça m’a toujours rendue un peu triste », dit-elle.
Pour les curieux, des cours d’inuktitut se donnent encore aujourd’hui à Paris, à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).
« J’ai fait quatre ans d’études à l’INALCO. Ma professeure était une Québécoise qui avait vécu dans le Grand Nord et avait ensuite émigré en France, explique Mme Hervé. Rendue dans les villages, j’ai quand même dû déconstruire car l’oralité est différente. »