NEW YORK — En mai 2017, Eric Posner, professeur de droit à l’Université de Chicago, a dressé une liste d’arguments pour défendre ou au contraire rejeter la destitution de Donald Trump. Neuf mois plus tard, face aux mêmes arguments, sa conclusion n’a pas changé, comme il l’a expliqué à La Presse lors d’un entretien.
Il s’en est pourtant passé, des choses, depuis la rédaction de votre liste. Pourquoi maintenez-vous votre opposition à une procédure de destitution contre le président ?
Je pense que le problème tient au fait que Trump continue de jouir de l’appui d’une importante minorité du public américain et qu’il a été élu de manière équitable. Il y a dans notre tradition constitutionnelle un postulat selon lequel le président restera en fonction, peu importe qu’il soit mauvais en tant qu’individu ou responsable gouvernemental, à moins qu’il ne commette un crime sérieux ou ne participe à d’autres actions prouvant son incapacité manifeste à diriger le pays. Et je pense qu’il doit y avoir un appui politique substantiel à sa destitution. S’il était destitué sans un tel appui, cela causerait un grand tort à notre système politique.
N’êtes-vous donc pas convaincu, comme certains de vos collègues, que le président a entravé la justice dans l’enquête sur l’affaire russe, ce qui justifierait sa destitution ?
Pas à ce moment-ci. Je pense que deux choses pourraient se produire. L’une est que [le procureur spécial Robert] Mueller termine son enquête. Mueller pourrait conclure que Trump a violé la loi et que le temps de l’impeachment est arrivé. L’autre possibilité est que Trump empêche Mueller ou n’importe quel autre procureur de terminer l’enquête. Si cela arrivait, je serais probablement favorable à l’impeachment. Mais les gestes que Trump a posés jusqu’à maintenant pour entraver la justice, aussi sérieux soient-ils, ne m’apparaissent pas suffisants pour justifier une procédure de destitution. Et la raison en est très simple : selon toute apparence, Mueller continue son enquête, la terminera vraisemblablement. Je pense donc qu’il faut attendre et voir ce que Mueller trouvera.
Oublions l’affaire russe. Le président n’est-il pas en train de causer des torts irréparables à la présidence, notamment en bafouant les normes visant à prévenir les conflits d’intérêts ?
Je suis préoccupé par les conflits d’intérêts, et j’ai quelques idées à ce sujet. La première est que Trump a été élu en dépit du fait que le public était largement au courant de ses conflits d’intérêts. Conséquemment, je ne pense pas que la destitution serait justifiée à moins que nous découvrions de nouvelles informations suggérant que les conflits d’intérêts sont encore plus profonds que nous le pensions.
Il faudrait aussi que nous puissions démontrer que ces conflits d’intérêts ont influencé Trump en tant que président. Et, même si je crois que cette influence existe aujourd’hui, je ne pense pas que les preuves soient assez convaincantes. Je pense par ailleurs que Trump cause un tort considérable à la présidence. Je pense que c’est profondément regrettable, mais l’impeachment pourrait aussi nuire à la présidence. La crainte entourant l’impeachment est que cette procédure devienne une chose routinière. Si cela devenait très facile de destituer un président que vous n’aimez pas, notre système de gouvernement ne fonctionnerait pas très bien.
Si les démocrates deviennent majoritaires à la Chambre des représentants en novembre 2018, ils pourront lancer en 2019 une procédure de destitution. S’ils vous demandaient conseil sur la façon de procéder, que leur répondriez-vous ?
Je dirais aux démocrates de mettre sur pied un comité chargé de mener une enquête sur tous les aspects de la présidence de Trump. Les membres du comité auraient le pouvoir légal d’obtenir les déclarations de revenus de Trump, ses états financiers d’avant le début de sa présidence et aussi les documents sur ses délibérations et les autres informations classifiées concernant ce qu’il a fait comme président. À la fin, ils pourraient conclure que Trump a commis des infractions méritant une procédure de destitution et ils pourraient aller de l’avant. Mais ils pourraient également conclure que ce que Trump a fait n’est pas assez sérieux pour justifier son impeachment.
Que peut-on apprendre de l’histoire de l’impeachment aux États-Unis ?
Parmi les spécialistes, l’opinion générale est que l’impeachment d’Andrew Johnson et de Bill Clinton était mal avisé. Ces impeachments tendent à confirmer l’idée selon laquelle l’on devrait être prudent quand on parle de destituer un président. Au bout du compte, je pense que c’est la réflexion la plus importante.