Trump, un an plus tard

L’ombre de la destitution

Faut-il ou non lancer une procédure de destitution contre Donald Trump ? La question planera sur sa deuxième année à la Maison-Blanche. Et les Américains auront l’occasion d’y répondre en novembre prochain lors des élections de mi-mandat. En attendant, notre collaborateur Richard Hétu explore les arguments pour et contre l’impeachment du 45e président des États-Unis.

Une année sous le signe de l’impeachment

NEW YORK — Par tradition, les élections de mi-mandat tiennent lieu de référendum sur la performance de l’occupant de la Maison-Blanche. Celles de novembre prochain ne devraient pas faire exception. Mais elles devraient permettre aux électeurs d’exprimer bien plus qu’un jugement sur Donald Trump. Elles pourraient aussi représenter le coup d’envoi à une procédure de destitution contre le 45e président.

Les élections de mi-mandat renouvelleront notamment l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants et un tiers des 100 sièges du Sénat des États-Unis. Or, si les démocrates parviennent à réaliser un gain net de 24 sièges à la Chambre – une possibilité –, ils deviendront majoritaires au sein de cette branche du Congrès et, partant, pourront en théorie lancer la procédure d’impeachment.

Cette possibilité constituera l’un des thèmes majeurs de la deuxième année de la présidence de Donald Trump ainsi que de la campagne qui mènera aux élections de mi-mandat. Il est généralement entendu que les républicains, s’ils conservent leur majorité à la Chambre, voudront éviter de mettre en accusation le président de leur parti.

La procédure de destitution est définie à l’article II de la Constitution des États-Unis. Elle permet au pouvoir législatif de destituer un haut fonctionnaire du gouvernement, dont le président, un membre du cabinet ou un juge fédéral, « sur une accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».

La mise en accusation (ou impeachment) relève de la Chambre des représentants, qui doit l’approuver à majorité simple. Si la mise en accusation est approuvée, un procès est ensuite tenu devant le Sénat. Quand le président est celui qui en fait l’objet, le procès est présidé par le président de la Cour suprême. À l’issue du procès, il faut obtenir la majorité des deux tiers du Sénat pour destituer le président.

Dans les deux cas où des présidents ont été mis en accusation (Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998), cette supermajorité n’a pas été atteinte (en 1974, Richard Nixon a démissionné plutôt que de faire face à une procédure de destitution qui se serait vraisemblablement conclue sur sa condamnation).

Pence serait-il un meilleur président que Trump ?

Si Donald Trump était destitué, il serait remplacé par son vice-président, Mike Pence. Cette possibilité fait dire à certains progressistes que l’impeachment du 45e président ne serait pas nécessairement une amélioration à la situation actuelle.

« Pence a l’expérience politique, les relations, la discipline et l’ancrage idéologique qui font défaut à Trump », écrivait en octobre dernier la journaliste du New Yorker Jane Mayer, en dépeignant le vice-président comme le candidat idéal pour mettre en œuvre les priorités de la droite religieuse et celles de la droite libertarienne incarnée par les frères Koch.

Pour le moment, une majorité d’Américains (51 % contre 45 %) ne veulent pas que les démocrates lancent une procédure de destitution contre Donald Trump s’ils deviennent majoritaires à la Chambre des représentants, selon un sondage Quinnipiac publié le 10 janvier.

Cependant, l’opinion qui comptera en novembre prochain sera celle des Américains qui seront assez motivés pour se rendre aux urnes.

« Nous faisons face à un moment sans précédent »

NEW YORK — Des démocrates réclament la destitution de Donald Trump à la Chambre des représentants. Le milliardaire californien Tom Steyer finance une campagne visant le même objectif. Et Catherine Ross, professeure de droit constitutionnel à l’Université George Washington, figure parmi les spécialistes réputés qui appuient leurs efforts. La Presse s’est entretenue avec elle.

Quand avez-vous conclu qu’une procédure de destitution contre Donald Trump était justifiée, et pour quels motifs ?

Les motifs existent depuis le jour de son investiture, car il a refusé de se départir de son vaste portefeuille d’actifs immobiliers et commerciaux. Cela l’a immédiatement placé en violation d’une clause de notre Constitution plutôt obscure et jamais utilisée. Il s’agit de la clause sur les émoluments domestiques, en vertu de laquelle le président ne peut recevoir aucune forme de rémunération venant du gouvernement fédéral ou des gouvernements locaux, exception faite de son salaire annuel. Or, en raison de la nature de ses holdings, Trump reçoit quotidiennement une rémunération à la fois sous la forme de paiements directs et sous la forme de crédits d’impôts, de décisions de zonage, etc.

Un an plus tard, de nouveaux motifs se sont-ils ajoutés justifiant selon vous l’impeachment du président ?

Je pense que nous avons désormais un éventail de motifs de destitution si vaste qu’il nous incombe de faire quelque chose. À long terme, nous exposerions notre système de gouvernement constitutionnel à un danger énorme si nous ignorions de telles violations généralisées et actes qui sapent l’État de droit.

Et quels sont ces nouveaux motifs de destitution ?

L’entrave à la justice est l’un des plus importants, et j’aborde cette question de façon large. Il y a eu le renvoi de [l’ancien directeur du FBI] James Comey. Il y a eu la rédaction de la lettre pour le compte de son fils Donald Jr. qui visait à tromper le public et les enquêteurs concernant ce qui est arrivé lors de la rencontre avec les Russes à la Trump Tower. [Le président] a appelé les dirigeants du Congrès pour tenter de les convaincre de court-circuiter l’enquête [du procureur spécial Robert] Mueller.

Il a gracié le shérif [Joe] Arpaio, envoyant aux responsables de l’application des lois un message troublant : si vous appuyez mes politiques, vous aurez mon soutien, même si vous violez les droits des citoyens des États-Unis et des autres personnes qui vivent aux États-Unis. Arpaio a été reconnu coupable et avant qu’il ne reçoive sa peine, Trump l’a tiré de l’embarras. Cela mine le respect de l’État de droit.

D’un point de vue politique et pratique, quelle serait la façon la plus efficace de lancer une procédure de destitution ?

D’un point de vue à la fois pragmatique et pratique, le président Trump ne sera pas mis en accusation par la Chambre des représentants à moins que quelques républicains récupèrent leur conscience et placent les besoins du pays au-dessus de la politique partisane. C’était également vrai en 1974 lorsque le président Nixon a démissionné face à une destitution quasiment certaine. Il a fallu que des dirigeants républicains se rendent à la Maison-Blanche et lui disent ce qui allait se passer. Aujourd’hui, ce ne serait pas une bonne chose pour les démocrates de faire cela seuls, même s’ils avaient les voix. Car je pense que de nombreux Américains ne comprendraient pas pourquoi cela arrive et quels sont les enjeux pour notre démocratie constitutionnelle. Donc, comme je le dis depuis le début, les républicains doivent assumer leurs responsabilités. Peut-être pas tous les républicains, mais peut-être quelques-uns qui veulent être capables de se regarder dans le miroir.

La destitution du président nécessite l’appui de deux tiers des sénateurs. Cette barre très élevée, qui a contribué à l’acquittement des deux seuls présidents mis en accusation – Andrew Johnson et Bill Clinton –, ne voue-t-elle pas toute procédure d’impeachment à l’échec ?

Il y a des moments où vous devez prendre des risques pour essayer de faire ce qui doit être fait. Je pense que nous faisons face à un moment sans précédent. Les Fondateurs ont dit très clairement que l’impeachment était la mesure de dernier recours contre un président qui veut être un monarque, qui mine notre gouvernement. Le juge [Joseph] Story, l’un des premiers interprètes de la Constitution, a dit que l’impeachment était une garantie contre un pouvoir arbitraire et que le président devait, pour reprendre ses mots, « se plier à la majesté des lois ».

« Il faut voir ce que Mueller trouvera »

NEW YORK — En mai 2017, Eric Posner, professeur de droit à l’Université de Chicago, a dressé une liste d’arguments pour défendre ou au contraire rejeter la destitution de Donald Trump. Neuf mois plus tard, face aux mêmes arguments, sa conclusion n’a pas changé, comme il l’a expliqué à La Presse lors d’un entretien.

Il s’en est pourtant passé, des choses, depuis la rédaction de votre liste. Pourquoi maintenez-vous votre opposition à une procédure de destitution contre le président ?

Je pense que le problème tient au fait que Trump continue de jouir de l’appui d’une importante minorité du public américain et qu’il a été élu de manière équitable. Il y a dans notre tradition constitutionnelle un postulat selon lequel le président restera en fonction, peu importe qu’il soit mauvais en tant qu’individu ou responsable gouvernemental, à moins qu’il ne commette un crime sérieux ou ne participe à d’autres actions prouvant son incapacité manifeste à diriger le pays. Et je pense qu’il doit y avoir un appui politique substantiel à sa destitution. S’il était destitué sans un tel appui, cela causerait un grand tort à notre système politique.

N’êtes-vous donc pas convaincu, comme certains de vos collègues, que le président a entravé la justice dans l’enquête sur l’affaire russe, ce qui justifierait sa destitution ?

Pas à ce moment-ci. Je pense que deux choses pourraient se produire. L’une est que [le procureur spécial Robert] Mueller termine son enquête. Mueller pourrait conclure que Trump a violé la loi et que le temps de l’impeachment est arrivé. L’autre possibilité est que Trump empêche Mueller ou n’importe quel autre procureur de terminer l’enquête. Si cela arrivait, je serais probablement favorable à l’impeachment. Mais les gestes que Trump a posés jusqu’à maintenant pour entraver la justice, aussi sérieux soient-ils, ne m’apparaissent pas suffisants pour justifier une procédure de destitution. Et la raison en est très simple : selon toute apparence, Mueller continue son enquête, la terminera vraisemblablement. Je pense donc qu’il faut attendre et voir ce que Mueller trouvera.

Oublions l’affaire russe. Le président n’est-il pas en train de causer des torts irréparables à la présidence, notamment en bafouant les normes visant à prévenir les conflits d’intérêts ?

Je suis préoccupé par les conflits d’intérêts, et j’ai quelques idées à ce sujet. La première est que Trump a été élu en dépit du fait que le public était largement au courant de ses conflits d’intérêts. Conséquemment, je ne pense pas que la destitution serait justifiée à moins que nous découvrions de nouvelles informations suggérant que les conflits d’intérêts sont encore plus profonds que nous le pensions.

Il faudrait aussi que nous puissions démontrer que ces conflits d’intérêts ont influencé Trump en tant que président. Et, même si je crois que cette influence existe aujourd’hui, je ne pense pas que les preuves soient assez convaincantes. Je pense par ailleurs que Trump cause un tort considérable à la présidence. Je pense que c’est profondément regrettable, mais l’impeachment pourrait aussi nuire à la présidence. La crainte entourant l’impeachment est que cette procédure devienne une chose routinière. Si cela devenait très facile de destituer un président que vous n’aimez pas, notre système de gouvernement ne fonctionnerait pas très bien.

Si les démocrates deviennent majoritaires à la Chambre des représentants en novembre 2018, ils pourront lancer en 2019 une procédure de destitution. S’ils vous demandaient conseil sur la façon de procéder, que leur répondriez-vous ?

Je dirais aux démocrates de mettre sur pied un comité chargé de mener une enquête sur tous les aspects de la présidence de Trump. Les membres du comité auraient le pouvoir légal d’obtenir les déclarations de revenus de Trump, ses états financiers d’avant le début de sa présidence et aussi les documents sur ses délibérations et les autres informations classifiées concernant ce qu’il a fait comme président. À la fin, ils pourraient conclure que Trump a commis des infractions méritant une procédure de destitution et ils pourraient aller de l’avant. Mais ils pourraient également conclure que ce que Trump a fait n’est pas assez sérieux pour justifier son impeachment.

Que peut-on apprendre de l’histoire de l’impeachment aux États-Unis ?

Parmi les spécialistes, l’opinion générale est que l’impeachment d’Andrew Johnson et de Bill Clinton était mal avisé. Ces impeachments tendent à confirmer l’idée selon laquelle l’on devrait être prudent quand on parle de destituer un président. Au bout du compte, je pense que c’est la réflexion la plus importante.

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