Chronique

Une perte pour la Caisse, un gain pour la France

À chaque dévoilement des résultats, j’attendais ce moment. J’attendais la passionnante revue de l’économie mondiale de Roland Lescure.

Le premier vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec savait rendre limpides les concepts financiers obscurs. Son esprit de synthèse, son intelligence vive et sa parfaite maîtrise de la langue française permettaient à ses auditeurs d’avoir une vision claire des grands enjeux macroéconomiques de l’heure. Et le plus important : d’avoir confiance.

Le départ de Roland Lescure est donc une perte pour la Caisse, mais un gain pour l’équipe du politicien français de l’heure, Emmanuel Macron, qu’il s’en va rejoindre. Il ajoutera une couche de crédibilité au candidat centriste à la présidence, ayant géré comme chef des placements la plus grande part des 271 milliards de dollars d’actifs de la Caisse, elle-même deuxième gestionnaire de fonds de retraite en importance au Canada.

Les talents de vulgarisateur de Roland Lescure faisaient parfois de l’ombre au président Michael Sabia, dont le français n’est pas la langue première. Sa verve, ses pointes d’humour et son cabotinage durant les conférences ne semblaient pas toujours plaire au sage PDG, plus austère. Roland Lescure n’était pas pour autant un homme de confrontation.

Je me suis souvent demandé pourquoi Roland Lescure restait à la Caisse. Pour le commun des mortels, la rémunération annuelle de ce gestionnaire bilingue est élevée, à 2,2 millions de dollars, mais il aurait probablement pu obtenir davantage ailleurs. Je le comprends mieux aujourd’hui, connaissant son berceau gauchiste, combiné à son parcours dans le monde de la finance.

En entrevue avec ma collègue Marie-Claude Lortie, l’homme assure qu’il quitte la Caisse de son plein gré afin d’épauler l’équipe Macron.

N’empêche, quand le contrat de Michael Sabia a été prolongé, en février, je me suis mis dans la peau de ceux qui espèrent peut-être lui succéder, notamment Roland Lescure et Christian Dubé. À l’origine, Michael Sabia devait quitter son poste en 2019, mais son contrat a été prolongé jusqu’au 31 mars 2021, question qu’il mène son bébé à terme, soit le Réseau électrique métropolitain (REM).

Pour les possibles dauphins, donc, encore quatre ans avant d’espérer remplacer le calife. C’est probablement très long pour un homme comme Roland Lescure, qui occupe le même poste depuis plus de sept ans.

Par ailleurs, Roland Lescure a sans doute été froissé par la décision de Michael Sabia de lui retirer la responsabilité de la répartition des actifs de la Caisse, au printemps 2016, au profit de Jean Michel, nouvellement arrivé. Quand on connaît l’importance de l’allocation des actifs dans la gestion de portefeuille…

Roland Lescure quitte la Caisse avec des états de service enviables.

Durant les sept années complètes où il a été chef des placements, six se sont soldées par des rendements supérieurs aux indices de référence de la Caisse. À ce chapitre, sa meilleure année aura été 2015, alors que la Caisse a obtenu un rendement de 9,1 %, soit une plus-value de 2,4 points de pourcentage sur les indices comparables.

Le gestionnaire a pu atteindre de tels résultats grâce à son portefeuille Action Qualité mondiale, notamment. En gros, ce fonds est constitué des multinationales incontournables des marchés boursiers mondiaux, des titres de grande qualité comme Nestlé, Procter & Gamble ou le CN.

L’approche n’est pas d’obtenir de meilleurs rendements relatifs que les marchés à court terme, mais de s’en remettre aux rendements à long terme, comme le fait le gourou Warren Buffett. Après l’aventure de la Caisse dans les produits dérivés complexes et le rendement négatif de 25 % en 2008, l’initiative était bienvenue.

Depuis cinq ans, Qualité mondiale a donné un rendement annuel moyen de 18,6 %, soit cinq points de plus que son indice de référence. Au 31 décembre 2016, son portefeuille s’élevait à 36,1 milliards, soit davantage que le portefeuille d’actions canadiennes (24,7 milliards) ou celui des immeubles (31,7 milliards).

L’engagement du pro-européen Roland Lescure est une bonne nouvelle pour la France. Une France qui a désespérément besoin d’un vent de renouveau, capable de rendre les structures économiques moins sclérosées, mais encore respectueuses des principes d’équité sociale chère aux Français. Une France qui a besoin de leadership pour renverser les positions extrêmes.

Salut, Roland Lescure ! Que vos années au Québec servent d’inspiration à la France !

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