Investissement

La Caisse de dépôt a dévoilé un rendement de 3,3 % au cours des six premiers mois de l’année, juste en deçà de la performance de son portefeuille de référence à 3,5 %. L’institution avait fait 5 % au premier semestre l’an dernier.

Chronique

La Caisse décide de jouer fessier

Après neuf années de création de richesse et de croissance économique continue, les marchés boursiers à travers la planète – hormis les parquets américains – peinent depuis le début de 2018 à livrer des rendements conséquents. Une réalité qui a amené la Caisse de dépôt à adopter un positionnement défensif dans son allocation d’actifs. En termes sportifs, la Caisse a donc décidé de « jouer fessier ».

Cette stratégie n’est pas étrangère au rendement de 3,3 % que la Caisse a dégagé au premier semestre de son exercice financier, une performance modeste et légèrement inférieure à celle de 3,5 % qu’a générée le portefeuille de référence du bas de laine des Québécois.

Au cours des six premiers mois de l’année, les participations en actions détenues par la Caisse ont produit un rendement de 4 %, ou 5,6 milliards. Ces résultats ont été obtenus essentiellement grâce à la plus-value latente qu’ont produite les placements privés réalisés par l’institution, a convenu hier Michael Sabia lors d’une conférence téléphonique avec les journalistes.

Depuis le début de l’année, les marchés boursiers ont été beaucoup moins généreux que pour la période équivalente de l’an dernier et ont donc réduit le potentiel de gain.

Hormis les Bourses américaines qui ont continué de profiter des générosités de la politique fiscale de Donald Trump et qui ont été dopées par l’avancée euphorique des titres de technologie, les autres places boursières de la planète ont souffert du resserrement des conditions de crédit.

L’exemple le plus frappant qu’a bien voulu donner Michael Sabia est celui des marchés émergents. Au cours des six premiers mois de l’année 2017, ce portefeuille avait généré un rendement de 36 % pour la Caisse ; pour les six premiers mois de 2018, l’institution a enregistré un rendement négatif avec ses investissements boursiers dans les pays émergents.

Même chose pour les Bourses européennes et asiatiques qui ont été victimes de la volatilité induite notamment par le resserrement de la politique monétaire américaine.

Michael Sabia a rappelé combien les politiques d’assouplissement quantitatif et les taux d’intérêt à l’avenant décrétés par les banques centrales avaient nourri les marchés depuis 2009.

La politique monétaire extrêmement accommodante des neuf dernières années agissait comme l’étoile Polaire guidant les investisseurs vers des terres fertiles et foisonnantes.

Or, avec le resserrement des conditions de crédit, ce repère n’existe plus et même les Bourses américaines vont bientôt subir la volatilité que l’on observe un peu partout dans le monde.

Ce sont les titres de technologie qui ont permis au marché américain d’afficher depuis le début de l’année une certaine résilience, mais celle-ci est artificielle, estime le PDG de la Caisse.

Résilience et robustesse

Cela dit, malgré les difficultés et la turbulence qui devraient affecter les marchés boursiers au cours des 12 à 24 prochains mois, la Caisse de dépôt n’entend pas quitter le navire pour autant, mais s’attelle depuis le début de l’année à en modifier le cours.

« On a réalisé pour 12 milliards de dollars de transactions boursières depuis le début de l’année. On reste très actifs sur le marché, mais on cherche des actifs qui sont résilients. »

— Michael Sabia

Le PDG a clairement indiqué que même si la Caisse avait adopté un positionnement défensif, elle cherchait toujours des occasions d’investissement sur les marchés boursiers.

La Caisse privilégie notamment les actifs qui génèrent des rendements récurrents, tels les infrastructures ou les investissements structurés, comme celui qu’elle a fait dans Bombardier Transport et dont Michael Sabia s’est montré hier extrêmement satisfait.

La plus grande volatilité boursière observée depuis le début de l’année n’a pas affecté non plus la catégorie Actions de qualité mondiale, une classe d’actifs qui totalise tout de même 40 milliards.

Michael Sabia a bien résumé la philosophie de gestion actuelle de la Caisse et son adaptation au contexte plus trouble que l’on peut appréhender dans les prochains mois. « On cherche pour nos investissements boursiers la résilience à court terme tout en privilégiant la robustesse à long terme », a-t-il indiqué.

Michael Sabia a rappelé à quelques reprises que les résultats semestriels n’étaient pas nécessairement le bon étalon de mesure temporelle pour évaluer la performance d’une institution de l’envergure de la Caisse.

À cet égard, il a tout à fait raison, c’est dans un horizon de moyen et long terme qu’il faut évaluer la capacité de la Caisse à générer de la richesse.

Reste que les six derniers mois nous ont permis de bien constater qu’on arrivait à la fin d’un cycle boursier exceptionnel et qu’une correction était imminente, comme nous l’avaient fait craindre encore tout récemment les titres technos.

Il était utile que Michael Sabia prenne le temps hier de nous expliquer la stratégie que l’institution entendait déployer pour y faire face.

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« Nous sommes très à l’aise avec notre position »

Le patron Michael Sabia a répondu aux questions des journalistes à l’occasion du dévoilement des résultats de la Caisse de dépôt au premier semestre 2018. Résumé des échanges en cinq volets.

rendement « bien raisonnable »

« Avec la tendance mondiale à long terme vers des rendements plus bas et la volatilité marquée des marchés depuis Noël, nous sommes très à l’aise avec notre position au 30 juin qui est bien raisonnable à 3,3 % », a dit M. Sabia, dans son commentaire d’introduction. L’actif net de la Caisse atteint 308,3 milliards de dollars. Au jeu des comparaisons, RBC Services aux investisseurs et de trésorerie calcule un rendement médian de 2,2 % au deuxième trimestre 2018 et de 0,2 % au premier trimestre 2018 pour son univers canadien des régimes de retraite à prestations déterminées. De son côté, Morneau Shepell obtient un rendement médian avant frais de gestion de 2,2 % pour le semestre. Morneau regarde un échantillon de 336 fonds communs diversifiés gérés par 51 sociétés.

Les infrastructures ont bien fait

Par catégories d’actif, les actions ont donné un rendement de 4 %, les actifs réels, lire l’immobilier et les infrastructures, 5 %, et les titres à revenu fixe comme les obligations, 1,1 %. Dans la catégorie actions, le portefeuille Qualité mondiale, qui regroupe de grandes capitalisations qui versent des dividendes croissants, a livré la meilleure performance. À l’opposé, le portefeuille Marchés en croissance a connu des ratés. Une grande partie des résultats en placements nets obtenus dans les actions provient des placements privés.

Moins cher que le guichet automatique

Les dépenses d’exploitation ont continué d’augmenter au premier semestre et ça ne semble pas inquiéter la haute direction. Le ratio des frais d’exploitation annualisés s’établit à 23 cents par 100 $ d’actif net moyen. En 2014, ces frais étaient de 16 cents par 100 $ d’actif. En valeur absolue, la hausse des dépenses dépasse les 300 millions entre 2014 et 2017. Existe-t-il une limite supérieure à ne pas dépasser ? M. Sabia a répété que l’augmentation des frais était liée à la stratégie de la Caisse de se mondialiser avec des bureaux et des équipes sur le terrain dans des pays comme l’Inde, la Chine, l’Australie, en vue de dénicher les meilleurs partenaires et les meilleures occasions d’investissement. Une stratégie qui donne des résultats. « Pour mettre ça en contexte, 23 cents pour gérer 100 $. Ça coûte 10 fois plus cher juste retirer 100 $ d’un guichet automatique. Ça démontre l’efficacité du modèle de la gestion des coûts », a ajouté Maarika Paul, première vice-présidente et chef de la direction financière. Elle a aussi fait valoir que les coûts de la Caisse sont environ 18 % moins élevés que la médiane de ses pairs en raison de l’importance relative qu’occupe la gestion interne à la Caisse, laquelle coûte, soutient-elle, entre deux et six fois moins cher que la gestion externe.

Des fleurs aux dirigeants de Bombardier

M. Sabia a eu de bons mots pour les dirigeants de Bombardier, qui ont dévoilé hier matin un profit de 70 millions US au dernier trimestre, comparativement à une perte de 243 millions US à pareille date en 2017 (voir écran 5). « Je voudrais féliciter l’équipe de direction de Bombardier, qui a présenté des résultats très impressionnants », a glissé M. Sabia en réponse à une question portant sur ce qu’il entendait par « investissement résilient ». Pour lui, pareil investissement correspond à un investissement livrant un rendement courant significatif comme les 2 milliards que la Caisse a investis en 2015 dans Bombardier Transport ; un placement structuré de façon singulière avec des planchers de rendement.

En accord avec la stratégie canadienne

Le protectionnisme et l’avenir de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont également été abordés durant la téléconférence. « Je pense que le gouvernement du Canada gère ce processus de négociations d’une très, très bonne façon, soutient le grand patron de la Caisse. Ses positions restent fermes, ce qui est, selon moi, la bonne chose à faire actuellement face à toutes sortes de demandes qui viennent de Washington. Pour l’instant, la chose qui compte, c’est de garder le cap ; de rester calme. Ce n’est pas une crise, ce n’est pas une panique. Personnellement, je suis très à l’aise avec la façon dont le gouvernement du Canada gère ce processus, parce que ce n’est pas facile. Il y a toutes sortes de choses qui se passent à Washington. On entend toutes sortes de menaces. »

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