éducation

Il faut se regarder dans le miroir

L’éducation, enfin, semble être à la mode. On en parle de plus en plus. Les politiciens veulent en faire une priorité. Mais il y a un gros danger de mettre la charrue avant les bœufs, de chercher des responsables des maux du système, de faire des promesses, de multiplier les initiatives et les programmes. Et d’oublier l’essentiel.

Disons en partant que notre système d’éducation se porte assez bien. Il donne de bons résultats, mais il y a encore des trous, des choses à régler. Les principaux obstacles que nous devons affronter pour faire mieux ne tiennent pas au réseau, à ses artisans, aux programmes, ni même au gouvernement. Ce dont souffre l’éducation, ce n’est pas d’un problème de système, mais plutôt d’un problème de société.

Si on cherche des coupables, il faut commencer par se regarder dans le miroir, et se demander si, comme élèves, parents, citoyens, électeurs et membres de nos communautés, nous avons une part de responsabilité.

Ce miroir nous montre une société qui n’accorde pas à l’éducation l’importance qu’elle doit avoir, qui ne valorise pas le savoir, qui ne fait pas les efforts nécessaires pour investir dans l’éducation. Sur le plan individuel, en soutenant nos enfants et en encourageant la réussite. Sur le plan collectif, en valorisant nos enseignants, en acceptant de consacrer à l’éducation les ressources dont elle a besoin.

Le symbole le plus frappant de cette indifférence, c’est le taux élevé de décrochage, qu’on a toléré trop longtemps. Et si les politiciens sont aussi à blâmer, c’est parce qu’ils ont reflété cette relative indifférence.

L’éducation supérieure aussi

Bien sûr, je ne suis pas un universitaire. Je suis un observateur, pas un chercheur, et ce que j’écris repose en partie sur des intuitions. Je suis donc heureux et rassuré quand mes hypothèses sont étayées par une approche scientifique. C’est le cas d’une étude de Robert Lacroix et de Louis Maheux, publiée dans la dernière édition du Québec économique du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), « Les tendances de la diplomation universitaire québécoise » et le retard des francophones, qui démontre, comme le titre l’indique bien, que cette indifférence affecte aussi l’éducation supérieure.

Les données de cette étude montrent que le Québec a enregistré des progrès, avec un taux de diplomation pour le baccalauréat qui est passé de 26 % en 2002 à 28,3 % en 2012. Or, non seulement le niveau de diplomation était-il plus élevé au départ au Canada et en Ontario, mais il y a progressé encore plus vite qu’au Québec : de 28 % à 34,5 % pour le Canada, et de 32,5 % à 42,1 % pour l’Ontario. L’écart Québec-Ontario, sur cette période de 10 ans, est donc passé de 6,5 points à 13,8 points!

Derrière cet écart, les auteurs décèlent des facteurs institutionnels, notamment l’existence des cégeps, qui ajoutent une année scolaire avant l’université, sans compter le fait qu’un grand nombre d’élèves prennent plus que deux ans pour terminer le parcours.

Ce rallongement de la période des études a pour effet de pousser de nombreux étudiants à obtenir des diplômes, comme des certificats, qui exigent moins d’années de scolarité qu’un baccalauréat en bonne et due forme.

Mais ce phénomène s’observe surtout chez les francophones, ce qui fait que ceux-ci décrochent moins de diplômes que les autres Québécois. Pour la période 2007-2012, même s’ils comptent pour 79,6 % de la population, ils n’obtiennent que 72,1 % des baccalauréats, 70,4 % des maîtrises et 57,8 % des doctorats.

Cela mène les auteurs à voir à l’œuvre des facteurs culturels, notamment « la longue tradition de fréquentation universitaire et de valorisation de l’éducation, et plus particulièrement de l’enseignement supérieur, chez les anglophones ».

Le poids du passé

Cette différence culturelle, on la retrouve à toutes les étapes du développement des jeunes et dans le comportement de leurs parents. Elle trouve certainement ses origines dans notre passé, celui d’une société pauvre qui se méfiait de l’instruction. Un retard que la Révolution tranquille n’a pas entièrement comblé, même après plus de 50 ans, soit deux générations.

On le voit bien en regardant les problèmes de littératie: 53 % des adultes québécois, sans être analphabètes, n’ont pas une maîtrise suffisante de la lecture et de l’écriture, ce qui place le Québec au 18e rang de 22 pays de l’OCDE. Ce retard est dû aux adultes plus âgés, les 45-64 ans, avec un taux de 64,5 %, davantage tributaires de ce passé, tandis que la performance de la cohorte des 25-44 ans, sans être exceptionnelle, est bien meilleure (42 %), ce qui montre qu’il y a eu du progrès.

Mais ces progrès n’ont pas été suffisants pour complètement effacer le poids du passé, ce qui se voit dans les rapports des Québécois avec la lecture.

Les Québécois francophones lisent moins que les anglophones ou que les Canadiens des autres provinces, ils possèdent moins de livres, ils sont plus nombreux à ne pas aimer lire, ils sont moins nombreux à lire avec leurs enfants. Et c’est ainsi que les vieilles traditions se transmettent, jusqu’à un certain point, de génération en génération.

Ce rapport à la lecture a un effet sur l’accompagnement des enfants, sur leur réussite scolaire, sur les attitudes du milieu familial à l’égard de l’éducation. Comme le décrochage au secondaire, celui qu’on observe au niveau collégial, ou la diplomation universitaire.

Ces réflexions m’ont mené, depuis des années, à voir la Révolution tranquille comme une révolution inachevée, particulièrement dans le cas de l’éducation, parce que les réformes, essentiellement de nature institutionnelle – création d’un ministère, des polyvalentes, des cégeps, de l’Université du Québec – ne se sont pas accompagnées d’une transformation correspondante des attitudes et des mentalités qui aurait permis au milieu familial de jouer pleinement son rôle.

Le sentiment de fierté qu’a insufflé la Révolution tranquille a également engendré un sentiment du devoir accompli qui a amené le Québec à s’asseoir sur ses lauriers et à cesser de mettre autant d’énergie dans l’éducation.

Et qu’est-ce qu’on fait quand une révolution est inachevée ? On reprend le flambeau !

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.