Course sanglante

« Personne ne mérite de mourir comme ça »

« C’est comme un coup de masse en plein front », lâche Jean-Pierre Pimparé, sonné par la mort de James Jardin, son « gars », qu’il a élevé pendant toute sa vie. « C’est un drame gratis… C’est gratis. Autant pour James, autant pour la petite fille qui a perdu sa mère, autant pour le monsieur qui s’est fait tirer, il n’y a personne qui méritait ça. Personne », martèle le beau-père de la victime de 22 ans.

James Jardin aurait été la première victime de la folie meurtrière de Frédérick Gingras, dimanche soir, dans l’est de Montréal. L’homme de 21 ans a d’ailleurs comparu par vidéoconférence hier au palais de justice de Montréal pour être accusé des meurtres prémédités de James Jardin et de Chantal Cyr, mère de famille abattue devant sa fille en face d’un restaurant Tim Hortons. 

Il est également accusé de tentatives de meurtre avec une arme à feu à l’endroit d’Annie Baillargeon et de Gérard Lalonde. Il a par la suite été envoyé à l’Institut Philippe-Pinel pour qu’on évalue s’il est apte à avoir un procès. Il doit revenir au tribunal le 16 décembre.

Lundi, en entrevue avec La Presse, la mère du suspect a indiqué que son fils aurait dû être hospitalisé plutôt qu’en liberté. « Ça fait quatre ans que ça dure : psychose par-dessus psychose », a-t-elle laissé tomber, évoquant l’hypothèse qu’il ait raté sa dernière injection d’antipsychotiques.

Ses doutes sont fondés, selon nos informations. Atteint de graves problèmes de santé mentale, il aurait dû recevoir une dose d’Invega, un antipsychotique, quatre jours avant les faits.

Un beau-père en colère

Jean-Pierre Pimparé en a lourd sur le cœur. « [Les autorités] ont eu plusieurs cris d’alarme. Pourquoi ils n’ont pas allumé ? Il a fallu que ça arrive… Il fallait que ça explose pour que le petit gars [Frédérick Gingras] soit pris en charge ? », rage-t-il.

Le beau-père de James Jardin espère que Frédérick Gingras ne recevra pas une « peine bonbon » en raison de sa maladie. 

« Je souhaite qu’il y ait une vraie justice. Si le jeune n’a pas réussi à avoir de l’aide avant ça, je ne vois pas quelle aide de plus il va avoir. »

— Jean-Pierre Pimparé, beau-père de James Jardin

Son beau-fils et Frédérick Gingras se connaissaient depuis à peine quelques mois, selon Jean-Pierre Pimparé, qui n’en sait pas plus sur les possibles motifs du meurtre. « James, c’était un tatoueur. Il faisait des tattoos à tout le monde. Tu étais mal pris, tu appelais James, il venait t’aider… Peu importe ce qu’il a fait dans sa vie, personne ne mérite de mourir comme ça. Personne, personne, personne… », murmure-t-il. « On ne s’attend jamais à ce que nos enfants partent avant nous… Ce n’est pas supposé être de même… », ajoute-t-il, le souffle coupé.

Jade Arseneault habite l’appartement au-dessus de celui de Frédérick Gingras. Dimanche soir, la jeune femme a entendu au moins un coup de feu, sans savoir que James Jardin venait d’être assassiné sous ses pieds. « J’ai entendu un gros bang ! Je pensais que quelque chose allait me tomber dessus », raconte-t-elle. « C’est traumatisant… », lâche-t-elle.

Des effluves de pot émanaient en tout temps de l’appartement de Frédérick Gingras, au rez-de-chaussée de l’immeuble de trois étages, soutient Jade Arseneault. « Il y avait toujours plein de monde dans cet appartement », dit-elle. Joint par La Presse, le propriétaire de l’immeuble a refusé de commenter l’affaire.

À un cheveu de la mort

La folie meurtrière de Frédérick Gingras a laissé des marques bien visibles dans le bungalow de Gérard Lalonde : une planche d’escalier fracassée par des éclats de plomb et un morceau de ruban adhésif pour dissimuler un trou de balle dans la porte d’entrée. Dimanche, ce Montréalais sans histoire est littéralement passé à un cheveu de devenir la troisième victime de Frédérick Gingras.

« Il a réussi à tasser le bout du canon », raconte Serge Labrecque, en mimant le geste salvateur de son ami Gérard Lalonde, en entrevue avec La Presse dans l’entre-porte de la résidence de ce dernier. « Il y a eu trois tirs. C’était un fusil, une 12 peut-être », explique-t-il, sa femme à ses côtés. Frédérick Gingras aurait ciblé cette maison par hasard afin de voler la voiture du couple, peu de temps après avoir abattu ses deux premières victimes.

Le premier tir a d’abord brisé la serrure de la porte d’entrée, ce qui aurait permis à Frédérick Gingras d’entrer dans la maison du quartier Pointe-aux-Trembles. C’est le deuxième tir que Gérard Lalonde a évité de justesse. « Ça l’aurait atteint juste ici », dit Serge Labrecque, en touchant son ventre. Or, la balle a plutôt fait exploser une planche de bois de l’escalier du vestibule. Le troisième tir a toutefois atteint le pauvre homme au pied. « Il est à l’hôpital. Il s’est fait opérer au pied », explique son ami. Il n’a pas été possible de s’entretenir avec Gérard Lalonde hier en raison de son hospitalisation.

— Avec Philippe Teisceira-Lessard et Christiane Desjardins, La Presse

Le Parti québécois demande une enquête publique du coroner

Le Parti québécois a demandé hier au gouvernement Couillard de déclencher une enquête publique du coroner pour faire la lumière sur la mort de James Jardin et de Chantal Cyr afin « qu’on sache pourquoi Frédérick Gingras était en liberté malgré ses problèmes mentaux et pourquoi il a commis ces gestes ». Interpellé en Chambre par le leader parlementaire de l’opposition officielle Pascal Bérubé, le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux n’a pas répondu directement à cette demande. Selon Pascal Bérubé, une enquête publique du coroner – à l’instar de celle sur la mort du Montréalais Alain Magloire – permettrait d’améliorer les politiques publiques. Le député de la Coalition avenir Québec François Paradis souhaite que cette tragédie mène à un « questionnement important et urgent sur les notions d’aide à apporter aux gens qui présentent des problématiques de santé mentale ». « J’ose espérer que ça va forcer un geste. Il prendra la forme qu’il voudra, qu’on puisse faire en sorte que des ressources d’aide ne craignent pas pour leur survie », a-t-il affirmé à La Presse.

— Louis-Samuel Perron, La Presse

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