ÉDITORIAL

Un bilan de l’itinérance

Il ne fait plus -20 degrés et la neige a fondu, mais vivre dans la rue n’est pas pour autant devenu agréable.

L’itinérance reste un problème 365 jours par année. Au-delà des effusions de générosité à Noël, en fait-on assez ? Une année après la nomination du premier Protecteur des itinérants de Montréal, un bilan s’impose.

La bonne nouvelle, c’est que l’approche a changé. Cela avait déjà commencé avec la Politique québécoise sur l’itinérance, déposée à l’hiver 2014 par la péquiste Véronique Hivon, qui visait autant à prévenir l’itinérance qu’à aider à s’en sortir, en misant à la fois sur l’aide psychosociale et l’hébergement.

Ce virage s’est poursuivi à l’automne 2014 avec le plan d’action déposé par le maire de Montréal Denis Coderre, qui en a fait une priorité. Le printemps dernier, il a organisé le premier recensement. Puis il a nommé au poste de Protecteur le crédible Serge Lareault (fondateur de L’Itinéraire), qui travaille depuis sur le prochain plan municipal.

Quant au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), il a créé des équipes mixtes, où des policiers collaborent avec des intervenants sociaux pour aller au-delà de la répression. Le nombre de contraventions a diminué, et le chef Pichet a aussi accueilli favorablement le rapport critique du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). Par contre, la police et la Ville de Montréal refusent d’organiser une commission sur le profilage social et racial.

C’est tout au mérite de ces politiciens, car soyons honnête : il y a peu de votes à gagner avec les sans-abri. Il n’y a « que » la dignité humaine à défendre.

Voilà pour les bonnes nouvelles. Mais pour chacune de ces fleurs, il y a quelques pots…

D’abord, le chiffre du recensement (3016 sans-abri) est fort probablement inférieur à la réalité. Il existe trois catégories d’itinérance : chronique (vivre dans la rue), cyclique (retourner souvent dans la rue, par exemple à cause de dépressions récurrentes) et situationnelle (être jeté dans la rue, par exemple à cause d’un congédiement soudain). Les deux dernières catégories sont plus difficiles à chiffrer, et risquent donc d’être sous-évaluées.

On estime que les cas chroniques comptent pour le dixième des sans-abri, mais en utilisent la moitié des services. Pour les aider à sortir de la rue, les refuges voudraient miser davantage sur les soins psychosociaux. Or, ils sont trop débordés pour bien prendre ce virage. L’année dernière, la fréquentation des refuges a augmenté de près de 10 % à Montréal, et ils doivent d’abord répondre à ces cas d’urgence. Ce qui les transforme malgré eux en stationnements pour misère humaine.

Autre chiffre dérangeant : on estime que 40 % des sans-abri souffrent d’un problème de santé mentale. Dormir dans un refuge bondé risque d’aggraver leurs troubles, et de les enfoncer plus bas dans la spirale de l’itinérance. Le CHUM compte sur une équipe médicale spécialisée, mais là encore, ses ressources restent modestes.

Bref, on commence enfin à trouver des élus de bonne foi pour épauler les intervenants sur le terrain.

On dépense un peu plus et un peu mieux, mais le travail à faire reste énorme. En fait, il commence à peine.

Ottawa aide, Québec cesse de nuire

Le dernier budget provincial a augmenté les logements sociaux de 1500 à 3000. Mais il s’agit moins d’un gain que d’un rattrapage – le gouvernement Couillard n’a fait que revenir au niveau qui précédait ses compressions.

Au fédéral, par contre, il y a eu une réelle avancée. Après l’approche réductrice du gouvernement Harper, qui ne misait que sur les subventions pour louer un appartement privé (housing first), le gouvernement Trudeau a augmenté l’enveloppe et diversifié avec raison son approche.

Miser sur la réinsertion en logement constitue une approche prometteuse, à condition de ne pas devenir un modèle unique. Comme l’a déjà soutenu le maire Coderre, cela doit compléter les interventions psychosociales, et non les remplacer.

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