Aide médicale à mourir

« On est capables de décider par nous-mêmes »

La Cour supérieure du Québec entend depuis hier – et pour 33 jours – la cause de deux Québécois lourdement handicapés qui contestent les lois canadienne et québécoise encadrant l’aide médicale à mourir. Le combat judiciaire mené par Nicole Gladu et Jean Truchon pourrait avoir un impact important sur les lois actuelles.

Avec beaucoup d’empathie dans la voix, la juge Christine Baudouin a amorcé le procès civil sur l’aide médicale à mourir qu’elle présidera durant les 33 prochains jours en remerciant Nicole Gladu des efforts que cette dernière réalise pour se présenter devant le tribunal.

« Un effort que je ne peux même pas soupçonner », a lancé la magistrate, hier matin, à l’endroit de la femme handicapée de 73 ans.

Atteinte du syndrome post-poliomyélite, Mme Gladu se déplace à l’aide d’un fauteuil électrique. La septuagénaire cherche constamment son souffle puisque le virus de la polio qui l’a foudroyée lorsqu’elle avait 4 ans ne lui a laissé qu’un demi-poumon fonctionnel. Enfant, elle a subi plusieurs opérations à la colonne vertébrale. Aujourd’hui, sa capacité pulmonaire est inférieure à 34 %.

Nicole Gladu et Jean Truchon contestent devant la Cour supérieure le critère de « mort raisonnablement prévisible » que l’on retrouve dans la loi fédérale ainsi que celui de « fin de vie » que l’on retrouve dans la loi québécoise sur l’aide médicale à mourir.

Bien que très souffrants et atteints de graves maladies dégénératives incurables, tous deux se sont fait refuser l’aide médicale à mourir, car ils ne sont pas en fin de vie. Ils ont lancé leur bataille juridique il y a un an et demi.

Soulagement

L’ouverture du procès, hier, a eu l’effet d’un grand soulagement pour Mme Gladu. « Le plus difficile, ça a été l’attente. J’en ai énormément perdu depuis un an et demi, notamment au niveau pulmonaire. Je me disais : mon Dieu, ça va-tu finir par arriver. […] Je suis rendue usée à la corde », a confié Mme Gladu aux médias présents, hier, en marge du procès.

Si elle a engagé ce combat contre les procureurs généraux du Québec et du Canada, c’est pour pouvoir mourir dans la dignité, mais aussi pour que les autres malades dans sa situation puissent aussi y avoir droit.

« Je me suis dit : tant qu’à faire, aussi bien que ça serve à d’autres », a ajouté la femme volubile et déterminée.

« On se bat pour que les malades dégénératifs puissent comme d’autres catégories de malades, par exemple les gens atteints de cancer, profiter de l’aide médicale à mourir. »

— Nicole Gladu

Mesure hautement inhabituelle : la juge a exigé qu’un système de visioconférence soit installé chez les deux demandeurs pour leur permettre de suivre le procès en direct s’ils n’arrivent pas à se déplacer au palais de justice de Montréal en raison de leur état de santé.

Atteint de paralysie cérébrale, Jean Truchon doit recevoir de longs soins tous les matins avant de pouvoir se présenter à la cour.

Critères « vagues et ambigus »

Leur avocat, Jean-Pierre Ménard, plaide que les critères de « fin de vie » (loi provinciale) et de « mort raisonnablement prévisible » (loi fédérale) sont contraires à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.

Me Ménard allègue que ces critères sont « vagues et ambigus », qu’il existe une « grande disparité dans la manière de les interpréter » et qu’ils génèrent « plus d’incertitude que de certitudes ».

L’avocat des demandeurs affirme aussi que la loi actuelle force des personnes à se tourner vers le jeûne afin de se rendre admissibles ou en pousse carrément d’autres vers le suicide.

Dans ce procès, Me Ménard – assisté de deux autres avocats – affronte quatre procureurs fédéraux et un procureur représentant le Procureur général du Québec. Les deux parties feront témoigner plusieurs médecins experts.

Plusieurs groupes d’intérêts – aussi représentés par avocat – ont obtenu le statut d’intervenants au procès, soit l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, Dying With Dignity Canada, le Collectif des médecins contre l’euthanasie, Vivre dans la dignité, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, le Conseil des Canadiens avec déficiences et Christian Legal Fellowship/Alliance des chrétiens en droit.

L’équilibre invoqué

De son côté, le représentant du Procureur général du Canada, Me David Lucas, a plaidé, hier, que le critère de « mort raisonnablement prévisible » établit l’équilibre « le plus approprié » entre l’autonomie des personnes et l’intérêt des gens en situation de vulnérabilité.

Éliminer ce critère équivaudrait à « promouvoir des stéréotypes nuisibles au sujet des gens malades, âgés ou handicapés », en plus de « compromettre les efforts de prévention du suicide » puisque cela enverrait le message aux gens vulnérables que « leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue », a poursuivi le procureur fédéral.

Nicole Gladu balaie du revers de la main les arguments du représentant du Procureur général du Canada.

« Si on me refuse l’aide médicale à mourir, ça va bien plus me pousser vers le suicide. [...] Il y a beaucoup d’hypocrisie là-dedans. On est capables de décider par nous-mêmes et d’après des critères objectifs. »

— Nicole Gladu, en marge de l’audience

Interrogée par son avocat sur la façon dont elle voit l’avenir, Mme Gladu a été ferme : « Je ne veux vraiment pas me retrouver dans un CHSLD. » Elle rêve de mourir à la maison, « avec un verre de champagne rosé dans une main » et « un canapé au foie gras dans l’autre ».

Deux autres personnes en fauteuil roulant s’étaient aussi déplacées au palais de justice, hier, pour manifester leur désaccord avec la position défendue par Mme Gladu et M. Truchon. « Dans une embarcation de plaisance, on porte tous des vestes de sauvetage, car il y a un danger de se noyer si on tombe à l’eau, illustre Gordon Friesen qui milite dans plusieurs groupes d’intérêts dont Vivre dans la dignité. La loi actuelle offre cette veste de sécurité aux gens vulnérables. Si cette cause-là passe, on m’enlève ma protection. »

Le procès se poursuit aujourd’hui avec le témoignage de Jean Truchon.

Qui sont les demandeurs ?

Nicole Gladu

En 1949, alors qu’elle n’avait que 4 ans, Nicole Gladu a été foudroyée par le virus de la polio. Après avoir passé quatre mois dans le coma, elle s’est réveillée paralysée (elle a retrouvé partiellement l’usage de ses jambes ensuite) avec seulement un demi-poumon encore fonctionnel. Son handicap ne l’a pas empêchée de devenir journaliste (à Radio-Canada et au défunt Montréal-Matin) puis d’occuper des emplois prestigieux en communication, notamment au siège des Nations unies à New York. En 1992, elle a reçu le diagnostic de syndrome post-poliomyélite – un trouble invalidant incurable – qui l’a forcée à cesser de travailler. Depuis, sa scoliose s’aggrave, ses muscles s’affaiblissent, sa capacité pulmonaire s’amenuise.

Jean Truchon

Jusqu’en 2012, Jean Truchon – atteint de paralysie cérébrale – vivait dans un appartement supervisé. « M. Truchon a su vivre une vie de manière somme toute indépendante pendant plus de 22 ans en s’impliquant de manière importante dans des activités de loisirs », décrit son avocat, Me Jean-Pierre Ménard. Tout a basculé cette année-là, quand le quadragénaire a perdu l’usage de son bras gauche, son seul membre encore fonctionnel. Il a alors dû déménager dans un CHSLD. « Quand je me lève le matin, je me dis : “Pas encore une journée plate.” Quand je passe devant un miroir dans ma chambre, je déteste tellement l’homme que je suis rendu », a-t-il écrit dans une lettre d’une page adressée à la juge du procès plus tôt dans le processus judiciaire.

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