Rosemont et la révolution de l’économie collaborative

Pendant qu’on se chicane sur l’avenir d’Uber, que le gouvernement veut chasser du Québec à coups de pied dans le derrière, le conseiller municipal Guillaume Lavoie, lui, a modifié la réglementation de son arrondissement, Rosemont–La Petite-Patrie, pour ouvrir toute grande la porte à l’économie collaborative.

La nouvelle, sortie fin avril, est passée sous le radar. Dès juin, les résidants de Rosemont–La Petite-Patrie pourront louer leur stationnement, un bout de terrain, un coin de garage ou de sous-sol. Pour quoi faire ? Des potagers, des espaces de travail, de stationnement ou de remise. Ça peut paraître banal, mais c’est une petite révolution. Guillaume Lavoie a fait dans son arrondissement ce que le gouvernement ne parvient pas à faire à l’échelle du Québec : encadrer une pratique d’économie de partage pour mieux la permettre.

Vous me direz que c’est plus facile à réaliser dans un arrondissement de 135 000 habitants que dans le Québec tout entier. Sans doute. Mais encore faut-il y croire.

L’économie de partage, largement répandue dans toutes les sphères de l’activité humaine en Europe et aux États-Unis et dans une moindre mesure au Canada, c’est l’idée de mettre en commun des ressources, des outils, des services ou des compétences. Les téléphones intelligents rendent les échanges entre les consommateurs plus faciles, plus rapides et plus sécuritaires. Pour le stationnement, par exemple, grâce à des applications comme Rover ou Prkair, on peut voir en temps réel quel espace est disponible dans le secteur où on se trouve.

Airbnb, c’est de l’économie de partage. Uber aussi, même si on peut critiquer le côté capitaliste sauvage du modèle. Et dans les deux cas, Québec discute depuis des mois sur la marche à suivre.

Pendant ce temps, dans Rosemont…

« L’économie collaborative va transformer le rôle des gouvernements et les relations entre les citoyens », croit Guillaume Lavoie que j’ai rencontré la semaine dernière dans un café de Villeray, à deux pas de chez lui. Je lui avais demandé de m’accorder 30 minutes pour m’expliquer les tenants et aboutissants de sa nouvelle règlementation. Nous avons parlé pendant trois heures !

« Si l’État veut être capable de continuer à jouer son rôle, il doit être capable de modifier la façon dont il joue ce rôle dans le cadre de l’économie collaborative. C’est ça qui est le plus fondamental », plaide-t-il.

Passionné de politiques publiques, diplômé de l’École nationale d’administration publique, membre de la Chaire Raoul-Dandurand et observateur international, Guillaume Lavoie a parcouru le monde et vécu dans plusieurs pays, dont l’Espagne et la Belgique, avant de se présenter comme conseiller du district Marie-Victorin pour Projet Montréal aux dernières élections.

Pas le genre à se croiser les bras très longtemps. Depuis novembre, ce père de famille de 38 ans, originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, a donné près de 50 conférences sur l’économie collaborative à divers groupes, certains initiés, d’autres pas, des dirigeants du secteur social, privé et associatif. Et il a modifié la réglementation sur la location d’espaces privés de son arrondissement, qui a été soumise au vote le lundi 2 mai et qui devrait entrer en vigueur en juin. Entre autres choses.

Quand on y pense deux minutes, c’est logique : pourquoi ne pas utiliser les espaces existants plutôt que d’en construire d’autres qui risquent d’être sous-utilisés à leur tour ?

C’est le même principe – l’utilisation de la capacité excédentaire – qui pousse les gens à afficher leurs appartements sur Airbnb, à proposer leurs services de chauffeur à Uber, à échanger des objets sur Swapspot ou à offrir leur voiture sur Turo.

« Plus de 80 % de tout ce qu’on possède sert seulement une fois par mois, indique Guillaume Lavoie. C’est encore plus vrai pour l’équipement de sport et les outils. Quel est le temps d’utilisation d’une perceuse électrique durant sa vie ? Entre 8 et 14 minutes ! »

« On est une société qui produit beaucoup de choses qui sont très peu utilisées. Ça fait une société peu productive et pas durable. »

— Guillaume Lavoie, conseiller municipal

Dans Rosemont–La Petite-Patrie, la nouvelle réglementation va permettre de soulager la pression dans des secteurs très achalandés, comme l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et l’Institut de cardiologie de Montréal, où le stationnement et l’accès aux transports collectifs sont difficiles. Or, on trouve, à proximité, des centaines d’entrées en façade libres de jour que les résidants des environs pourront louer. Combien ? 3 $ l’heure ? C’est aux entreprises désormais de développer différentes plateformes pour permettre et organiser ce partage.

L’agriculture urbaine va aussi bénéficier de cette nouvelle réglementation en permettant aux résidants de louer un bout de leur terrain à des gens qui veulent faire pousser des légumes.

« Ce qu’a fait Guillaume Lavoie, c’est essentiel », dit Alexandre Bigot, membre de la communauté OuiShare, créée en janvier 2012 à Paris et dédiée à l’émergence de la société collaborative.

« On a besoin d’encadrement, de savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Rosemont va lancer la réflexion dans toute la ville et permettre l’émergence de nouvelles start-up. »

— Alexandre Bigot, membre de la communauté OuiShare, dédiée à l’émergence de la société collaborative

L’économie collaborative, « c’est là où le monde s’en va », mais aussi un retour dans le passé. C’est les valeurs de la ruralité en ville : « Je te prête ma scie électrique, tu m’aides à faire mes confitures. » Ça fonctionne à la campagne parce que tout le monde se connaît. En ville, ce qui rend son existence possible, c’est l’évaluation entre les pairs. Dans l’économie de partage, il y a le fournisseur de service et le client. Et tous les deux s’évaluent : je note le chauffeur d’Uber, j’accorde des étoiles au formateur de E-180. Le chauffeur me note comme passagère, le formateur m’évalue comme élève. L’information est accessible à l’ensemble de la communauté sur toutes les plateformes. Résultat : si ma réputation n’est pas assez bonne, je vais être rapidement exclu, ce qui rend la communauté meilleure.

Après les stationnements, Guillaume Lavoie promet de s’attaquer aux Airbnb de ce monde : Homelidays, Housetrip, Bedycasa, Wimdu ou GuestToGuest. C’est dans le même esprit qu’il a défendu Uber, à l’hôtel de ville, ce qui peut sembler étonnant de la part d’un militant de Projet Montréal. « La gestion de l’offre en transport urbain, ce n’est ni à gauche ni à droite, c’est juste dépassé », répond-il.

« Il faut légiférer de manière intelligente. Je suis convaincu qu’il y a moyen de mettre au point des façons de faire qui nous permettront d’intégrer les nouveaux modèles sans détruire les anciens. L’innovation dans l’ordre et dans la discipline, ça n’existe pas. Par définition, l’innovation, c’est de remettre en cause un statu quo. Tu n’inventes pas l’ampoule électrique en améliorant la chandelle. »

Pendant ce temps, à Québec…

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