Analyse

Tensions dans les rangs de l’opposition péquiste

Ce n’est pas courant. L’Assemblée nationale a rendu jeudi un hommage bien senti à Simon Lajoie, qui quittait son poste de chef de cabinet du leader parlementaire péquiste Bernard Drainville.

Après avoir travaillé sous six leaders parlementaires, M. Lajoie n’est que le dernier en lice des nombreux employés politiques du Parti québécois à quitter son poste depuis l’arrivée aux commandes de Pierre Karl Péladeau. Le premier, surtout, à partir volontairement, puisque les autres ont été carrément limogés, remplacés par la nouvelle équipe du nouveau maître des lieux. Drôle de « nouvelle équipe », c’est là le problème. Le nouveau chef du PQ, patron d’une multinationale, n’a pu faire mieux que de ramener à l’Assemblée nationale nombre d’apparatchiks péquistes connus, depuis longtemps sur la touche, rappelés grâce à leurs relations au « deuxième étage » du parlement, où loge l’opposition péquiste.

Départs nombreux, licenciements arbitraires, absence de plan de match, incertitude quant aux positions à prendre : en coulisses, les péquistes ont bien des doléances. L’un parle de « désarroi », l’autre de « morosité » ; les sondages et le résultat mitigé du Bloc québécois aux élections fédérales contribuent à alimenter l’inquiétude. Mais tout n’est pas noir. Dans les rangs péquistes, on salue l’arrivée d’Alain Lupien comme directeur du parti. Organisé, systématique, M. Lupien est capable de mobiliser les militants par ses interventions. « Un coup de circuit », a résumé un député.

Simon Lajoie, un vétéran, est devenu chef de cabinet de M. Péladeau quand celui-ci a pris les commandes du parti à la mi-mai. Tous les observateurs ont constaté que les prestations de M. Péladeau à l’Assemblée nationale se sont passablement améliorées dans les jours suivants. Sa nomination s’est transformée en intérim quand ce père de quatre enfants a tenu à prendre un mois de vacances, l’été dernier, ce que n’a pas apprécié son nouveau patron.

C’est Pierre Duchesne, l’ancien ministre, qui lui a passé un coup de fil pour lui apprendre qu’il était rétrogradé chez son ami Stéphane Bédard. Quand M. Bédard s’est vu montrer la porte, il fallait à M. Lajoie une sortie de secours, et vite. Une rencontre impromptue avec Denis Dolbec, ancien chef de cabinet péquiste devenu bras droit du maire Denis Coderre, a été une bouée de sauvetage inespérée.

Stéphane Bédard n’avait pas vu venir sa rétrogradation comme leader parlementaire ; « il est probablement le seul », a chuchoté un collègue député.

La nomination de Bernard Drainville au poste de leader parlementaire constitue une forme de récompense pour son ralliement à Pierre Karl Péladeau, qui avait évité à ce dernier un second tour de scrutin qui s’annonçait plus incertain pour l’ancien patron de Québecor. Réduit au rôle de critique en matière de justice, M. Bédard avait demandé, et obtenu, de ne pas être assis à côté de M. Péladeau à l’Assemblée nationale. Et l’accolade bien formelle des deux hommes, au moment de sa démission comme député, en disait long sur la froideur de ses rapports avec le chef. 

LE LEADERSHIP DE DUCHESNE CRITIQUÉ

Peu de temps après, les journalistes de la Tribune de la presse ont reçu ce courriel anonyme : « [L]e départ de Stéphane Bédard marque le début d’une nouvelle vague de tension au Parti québécois. Par contre, cette nouvelle chicane de famille n’est nullement reliée au leadership du chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau, mais plutôt au nouveau chef de cabinet du chef de l’opposition officielle, Pierre Duchesne. »

« Plusieurs députés du caucus du PQ remettent en question la compétence et le leadership de Pierre Duchesne pour occuper ce poste. Plusieurs employés des différents cabinets [chef, leader et whip] ont été congédiés sans aucune raison valable. » 

Du côté libéral, on a vite vu l’aubaine : souffler les nuages au-dessus de l’opposition au moment où l’affrontement paraît inévitable avec le secteur public et où les écoles crient famine.

Jeudi matin, l’attaché de presse libéral Charles Robert a attribué le départ de M. Lajoie à « l’atmosphère toxique » au cabinet de Pierre Karl Péladeau, une « ligne » qui a fait mouche dans les heures qui ont suivi. Interpellée par La Presse, hier, Annick Bélanger, nouvelle responsable des communications au cabinet de M. Péladeau, a refusé de commenter les reportages récents sur les problèmes de l’aile parlementaire du PQ.

Mais au « deuxième », l’étage qu’occupe l’opposition péquiste, on s’interroge sur la capacité de M. Duchesne à diriger une équipe. On critique aussi le fait qu’il maintient ses liens avec la circonscription de Borduas, l’une des meilleures pour le PQ, qu’il a pourtant perdue aux élections d’avril 2014. Chef intérimaire pendant plusieurs mois, Stéphane Bédard avait fait des efforts pour trouver une place dans son cabinet pour cet ami de longue date qui, avec trois adolescents, s’était retrouvé sans emploi au lendemain des élections. Curieux retour du balancier, M. Duchesne était avec Pierre Karl Péladeau quand il a fallu annoncer sa rétrogradation au leader Bédard.

PLUSIEURS VÉTÉRANS LICENCIÉS

Le nouveau régime a aussi licencié plusieurs vétérans parmi les employés politiques. Simon Berthiaume était depuis des années un directeur de la recherche à la compétence indiscutable. Le nouveau leader parlementaire Bernard Drainville a tenu à ramener ses fidèles. Louise-Andrée Moisan, son ancienne chef de cabinet, est devenue responsable de la recherche, un poste pour lequel cette employée appréciée n’a aucune prédisposition. Gaucherie évidente, on a proposé à M. Berthiaume de rester comme recherchiste, mais, comme la masse salariale est réduite, il aurait dû congédier l’un des membres de son ancienne équipe. Il a décliné.

Manon Blanchet, ex-députée péquiste de Crémazie, est devenue chef de cabinet du whip péquiste Harold LeBel, qui n’a rien eu à dire. Elle a délogé Sandra Boucher, une autre loyale employée depuis près de 20 ans. Mme Blanchet ne s’était pas représentée en 2003 et n’avait eu que des emplois précaires jusqu’à la victoire de Pauline Marois. Son amie Nicole Léger l’avait choisie comme chef de cabinet et avait tiré des ficelles pour qu’elle revienne à Québec.

Le départ de Julien Lampron, directeur des communications identifié à l’équipe Marois, était prévisible. Il a été remplacé par Annick Bélanger, chef de cabinet à l’époque du gouvernement Landry. Mme Bélanger s’est occupée des communications de Julie Snyder dans le débat sur la procréation assistée. Chef de cabinet adjointe et responsable des communications, Mme Bélanger a passé plusieurs coups de fil pour trouver des remplaçants aux attachés de presse actuels, sans succès.

Un autre départ fait sourire. L’équipe Péladeau avait vite forcé le départ de France Amyot, qui avait de longs états de service au Bloc québécois comme au PQ (elle avait été chef de cabinet d’Agnès Maltais, de Sylvain Simard, puis de Réjean Hébert, pour finalement occuper la même fonction chez le chef intérimaire Bédard). Or, après l’été, on l’a rappelée pour épauler l’équipe du chef ; elle a décidé qu’elle partait, pour de bon, aux Fêtes.

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