RELIGION

Une cabale américaine contre le pape François

Il y a un an, un haut prélat italien, Carlo Maria Viganò, accusait publiquement le pape François et le cardinal Marc Ouellet d’avoir protégé un archevêque américain pédophile, le cardinal Theodore McCarrick. Cet automne, deux livres affirment que l’« affaire Viganò » fait partie d’un complot de riches conservateurs américains pour prendre le contrôle de l’Église catholique et l’inféoder à leur idéologie puritaine et capitaliste.

Prêtres pédophiles

Les opposants américains du pape François, qui ont fait mousser les accusations de Mgr Viganò, sont arrivés au pouvoir à la faveur de la crise des prêtres pédophiles. « De nombreux diocèses ont fait faillite à cause des procès qui leur ont été intentés par les victimes », explique Nicolas Senèze, correspondant à Rome du quotidien français La Croix, qui vient de publier à Paris le livre Comment l’Amérique veut changer de pape (en vente en octobre au Québec). « Des mécènes leur sont venus en aide, ont pris le contrôle de l’Église et lui ont imposé leurs valeurs puritaines et capitalistes. » Ces riches catholiques américains ont oublié Jésus et ne voient en l’Église qu’un outil pour leurs combats politiques, dénonce Gianni Valente, coauteur du livre Le jour du jugement, qui vient d’être traduit en français.

L’ affaire Viganò

Carlo Maria Viganò a été nonce à Washington, l’équivalent d’un ambassadeur, de 2011 à 2016. Cette nomination prestigieuse était la dernière d’une longue carrière diplomatique, mais Mgr Viganò était insatisfait de ne pas avoir un poste important dans la gestion du Vatican. En septembre 2018, il a publié une lettre accusant le pape François de ne pas avoir écouté ses avertissements à propos du cardinal McCarrick, ancien archevêque de Washington visé par des allégations de pédophilie et de relations avec des séminaristes. Une douzaine d’évêques américains ont appuyé Mgr Viganò. Le livre de M. Valente démontre noir sur blanc que Mgr Viganò est de mauvaise foi et a lui-même été proche de Mgr McCarrick, qui a perdu sa pourpre cardinalice, jusqu’à tout récemment.

La Chine

Selon M. Valente et M. Senèze, les conservateurs américains n’aiment pas François parce qu’il ne met pas assez l’accent sur la dénonciation de l’avortement et de l’homosexualité, notamment dans son encyclique « Amoris lætitia », et est trop critique envers le capitalisme. « Ils sont aussi très opposés à l’entente entre le Vatican et la Chine, qui prévoit la reconnaissance des évêques nommés par le parti communiste », dit M. Valente, expert du christianisme en Chine. « Les opposants à François voient la Chine dans le prisme de l’affrontement géopolitique entre deux puissances. Ils disent qu’il y a la vraie Église clandestine et que l’Église officielle n’est pas légitime. Mais il y a un spectre, il y a des évêques officiels qui ont des relations avec le Vatican, et des évêques clandestins qui sont tolérés par le parti communiste. »

Benoît XVI éclaboussé

L’ex-pape Benoît XVI a été instrumentalisé par les opposants américains à François. « Le secrétaire de Benoît XVI a dû déclarer publiquement que ce que disait le camp Viganò n’était pas vrai, dit M. Valente. De toute façon, si l’on suit le raisonnement de Viganò, Benoît XVI serait aussi coupable que François. Je trouve que la réaction de François a été admirable, il a refusé d’entrer dans le cycle des accusations, notamment pour protéger Benoît XVI. Il a demandé aux fidèles de réciter des rosaires parce que le diable menaçait l’Église. C’était une manière de se réapproprier l’héritage de Jésus. »

Marc Ouellet toujours papable

En octobre dernier, Marc Ouellet a publié une lettre très dure envers Viganò. Est-ce un signe que le cardinal québécois est proche du pape François ? « Avant son élection, Bergoglio voyageait peu, mais s’était rendu au Congrès eucharistique de Québec en 2008 », relève Nicolas Senèze, en entrevue à partir du Mozambique, où il couvrait le voyage du pape. « Il faut dire que le cardinal Ouellet a probablement nommé les trois quarts des évêques de l’Église depuis qu’il a été nommé préfet de la Congrégation pour les évêques, en 2010. » M. Senèze pense toutefois qu’il est possible que Mgr Ouellet ait été forcé de publier sa lettre anti-Viganò. Gianni Valente, lui, estime que le ton de la lettre reflète la personnalité de Mgr Ouellet et sa fidélité à l’institution papale. Marc Ouellet pourrait-il être élu pape si François mourait ou démissionnait dans les prochaines années ? Les deux vaticanistes pensent que oui, mais soulignent qu’il a maintenant 75 ans et que de nombreux cardinaux nommés par François ne font pas partie des réseaux professionnels traditionnels de l’Église.

En chiffres

18 des 118 cardinaux électeurs ont été nommés par Jean-Paul II

43 des 118 cardinaux électeurs ont été nommés par Benoît XVI

57 des 118 cardinaux électeurs ont été nommés par François

65 % des cardinaux électeurs étaient originaires de l’Europe ou de l’Amérique du Nord en 2013

55 % des cardinaux électeurs sont originaires de l’Europe ou de l’Amérique du Nord actuellement

Source : Vatican

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