Consommation

Vos contrats, bourrés de clauses
illégales !

Ils sont démesurément loooooongs. Ils sont rédigés dans un langage juridique indigeste. Mais par-dessus le marché, les contrats de consommation sont bourrés de clauses illégales, a découvert notre chroniqueuse Stéphanie Grammond.

Chronique

Longs, illisibles et illégaux

Le constat est accablant. Les contrats de consommation sont truffés de clauses qui ne respectent pas la loi. Une véritable épidémie qui touche tous les domaines, des télécoms aux services financiers en passant par l’industrie du voyage.

Pour en convaincre ses étudiants en communication/marketing à l’UQAM, le juriste Jacques St-Amant leur demande de scruter des contrats pour débusquer toutes les erreurs. À la fin de l’exercice, les entreprises ne reçoivent pas une bonne note !

« Des problèmes dans les contrats, il y en a d’une façon impressionnante. C’est épouvantable, ce qu’on nous fait signer ! »

— Le juriste Jacques St-Amant

Le chargé de cours travaille aussi comme analyste pour la Coalition des associations de consommateurs du Québec.

Par exemple, la grande majorité des contrats contiennent une clause où l’entreprise se dégage de toute responsabilité dans une foule de circonstances. Or, ces clauses ne se conforment pas à la Loi sur la protection du consommateur (LPC), dont l’article 10 interdit « toute stipulation par laquelle un commerçant se dégage des conséquences de son fait personnel ou de celui de son représentant ».

Les entreprises pancanadiennes ont aussi la fâcheuse habitude de rédiger un contrat unique, sans se soucier des lois applicables dans les différentes provinces. À la place, elles agrémentent certaines clauses de leur contrat de la mention « dans la mesure permise par la loi ». Bonne chance au client pour déterminer si la clause est légale ou pas dans sa province !

Tout cela bafoue l’article 12 de la LPC, qui prévoit que l’entreprise doit avertir ses clients « de manière évidente et explicite » quand une disposition de son contrat n’est pas valide au Québec.

« Dans l’ensemble, les contrats sont assez catastrophiques », résume M. St-Amant qui n’a eu aucun mal à faire ressortir des dizaines de clauses abusives à travers une demi-douzaine de contrats analysés à ma demande (voir onglet 3).

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Comme si ce n’était pas assez, les contrats sont rédigés dans un jargon juridique totalement indigeste. On les dirait écrits pour coincer les consommateurs en cas de litige.

« Les contrats reflètent une structure de pensée juridique plutôt que le mode de vie des clients au quotidien », constate Stéphanie Roy, cofondatrice d’En clair qui se spécialise dans la simplification de documents.

« Au-delà d’un exercice de vulgarisation, il faut restructurer les contrats pour se mettre dans les souliers de l’utilisateur », ajoute son associée Geneviève Fortin.

En cette matière, il ne manque pas d’ouvrage !

Prenez la brochure de Transat, qui étale sur 388 pages des photos d’hôtels, de plages et de couples batifolant dans l’eau. Or, ses conditions générales sont écrasées à la toute fin du document dans un texte compressé, pratiquement sans paragraphes. Qui a envie de lire ça ?

À la Banque CIBC, le consommateur doit s’y retrouver à travers une demi-douzaine de documents applicables. J’ai repéré une phrase comptant pas moins de 82 mots. L’avocat qui l’a rédigé se prenait-il pour Marcel Proust ? En tout cas, son style est loin d’être aussi limpide que celui de l’auteur d’À la recherche du temps perdu.

Du côté de la Banque Royale, le dépliant de déclarations et conventions concernant les comptes de dépôt personnels s’étire sur 86 pages. Un peu de synthèse ne ferait pas de tort !

Mais au chapitre des contrats trop longs, PayPal ne donne pas sa place. En transférant son contrat en format Word, je me suis retrouvée avec 28 954 mots s’étirant sur 77 pages. Quel client va vraiment lire ça ?

Je ne serais pas surprise que les dirigeants d’entreprises eux-mêmes n’aient jamais lu la prose ciselée par leur service des affaires juridiques.

Chers patrons, je vous mets au défi : prenez le temps de parcourir les contrats que vous faites signer à vos clients. Si vous n’y comprenez rien, pourquoi ne pas faire le grand ménage ?

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La simplicité rapporte, insistent les fondatrices d’En clair, qui ne manquent pas d’exemples pour le prouver.

Chez British Telecom, les plaintes et les questions ont fondu de 25 % grâce à la simplification des factures.

La compagnie d’assurances Royale du Canada a augmenté son chiffre d’affaires de 38 % après avoir réécrit ses polices d’assurance.

La Cour des petites créances de la Colombie-Britannique a augmenté de 40 % le nombre de dossiers traités après l’adoption d’une nouvelle loi en langage clair.

Allez, hop ! Un coup de balai s’impose.

Dans certains domaines plus délicats, les autorités réglementaires forcent déjà la main aux entreprises. Par exemple, les clients qui investissent dans un fonds commun de placement reçoivent désormais un résumé de quelques pages comprenant tous les éléments essentiels, au lieu du prospectus complètement rébarbatif.

Mais dans d’autres secteurs, les documents légaux restent problématiques. De temps à autre, l’Office de la protection du consommateur se met le nez là-dedans. Il y a quatre ans, il avait accusé plusieurs fournisseurs de télécoms dont les contrats étaient truffés de clauses interdites.

Mais bien d’autres commerçants passent entre les mailles du filet. Souvent, les consommateurs sont forcés d’entreprendre des actions collectives pour rappeler les entreprises à l’ordre.

Ne pourrait-on pas avoir un organisme, à l’image de la Commission des clauses abusives en France, qui aurait pour mandat de repérer les dispositions illégales dans les contrats ? À moins qu’on accorde davantage de ressources à l’OPC…

Des contrats passés au crible

Avec le juriste Jacques St-Amant, nous avons passé au crible une demi-douzaine de contrats dans le domaine des télécoms, des services financiers et du voyage. Les clauses illégales pleuvent. Voici quelques exemples…

Des frais dans les limbes

Selon l’article 12 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC), un commerçant n’a pas le droit de réclamer des frais, « à moins que le contrat n’en mentionne de façon précise le montant ». C’est clair ! Pourtant, de nombreux contrats restent flous. 

Par exemple, le contrat de Cogeco indique que des frais peuvent être facturés pour un chèque sans provision ou un prélèvement automatique refusé. Il est aussi question de frais de rebranchement. Or, le contrat ne précise jamais les montants.

Chez Bell, le contrat prévoit que des frais supplémentaires peuvent s’ajouter au tarif de votre forfait. Mais pour en avoir le cœur net, il faut consulter un autre document, ce qui constitue une clause externe au sens de l’article 1435 du Code civil, indique M. St-Amant. Résultat : la clause pourrait fort bien être nulle.

Modifications unilatérales sans préavis

De nombreux commerçants s’accordent le droit de modifier unilatéralement leur contrat, sans préavis, ce qui est pourtant contraire à la loi.

Prenez les conditions d’utilisation des cartes d’accès de Desjardins. Il est prévu que « la Caisse pourra, sans préavis et unilatéralement, modifier les présentes conditions ». Desjardins ajoute même que la Caisse n’aura pas l’obligation de remettre au client qui lui en fait la demande une copie de l’avis ou des conditions révisées.

La coopérative devrait jeter un coup d’œil à l’article 11,2 de la LPC. On y stipule que le commerçant qui veut modifier son contrat doit aviser le client, au moins 30 jours à l’avance, et « transmettre au consommateur un avis écrit, rédigé clairement et lisiblement, contenant exclusivement la nouvelle clause ou la clause modifiée ainsi que la version antérieure ».

Au diable la prescription !

Les entreprises vont aussi à l’encontre des délais de prescription prévus au Code civil. Desjardins accorde seulement 30 jours à ses clients pour signaler toute erreur dans leur compte. À la Banque CIBC, le délai est de 30 ou 60 jours, selon les circonstances. Et le client doit envoyer un avis écrit. Après cette courte période, la banque pourra considérer que tout est parfaitement exact… Ouf ! Ça fait peur quand on sait à quel point il y a des erreurs et de la fraude dans les services bancaires.

Chez Bell, le client aurait seulement 90 jours pour s’apercevoir d’une erreur et exiger une correction, si l’on se fie à son contrat. « Mais l’article 2925 du Code civil parle plutôt d’un délai de trois ans et ne permet pas [article 2884] de fixer un délai différent », explique M. St-Amant.

Cachez ce NIP que je ne saurais voir

Parfois, les entreprises ne respectent même pas les codes de conduite adoptés par leur propre industrie. C’est le cas de la Banque CIBC, dont le contrat oblige les clients à mémoriser leur NIP sans en garder de trace écrite. Pourtant, le Code pratique canadien des services de cartes de débit permet expressément aux consommateurs d’écrire leur NIP en faisant un « effort réfléchi » pour le camoufler, souligne M. St-Amant.

Dire que la CIBC prend soin d’écrire dans son contrat qu’elle a adopté le fameux code ! Visiblement, elle ne s’y conforme pas.

Garantie légale ? Connais pas !

L’application de la garantie légale est un des pires problèmes en matière de consommation. Les articles 37 et 38 de la LPC prévoient qu’un bien doit pouvoir servir à un « usage normal » pour une « durée raisonnable » qui peut aller bien au-delà de la garantie du fabricant. Et le client peut se tourner autant vers le fabricant que vers le détaillant pour faire valoir ses droits.

Il faut croire que Bell n’a pas bien compris ces articles. Dans son contrat, Bell précise qu’elle ne « donne aucune garantie » quant aux appareils que les clients achètent. L’entreprise se garde une petite gêne et ajoute « dans la mesure permise par les lois applicables ».

Mais Bell insiste surtout sur le fait qu’elle « n’est pas le fabricant de votre appareil », qui est généralement couvert par une garantie d’un an du fabricant. Désolée, un détaillant ne peut pas se défiler si facilement.

Responsable de rien

Les clauses de dégagement de responsabilité pullulent dans les contrats, notamment dans l’industrie du tourisme. Mais les institutions financières et les fournisseurs de télécoms ne sont pas en reste. Par exemple, RBC indique : « Nous ne serons en aucun cas tenus responsables, même en cas de négligence de notre part, des pertes ou des dommages que vous subirez », dans toutes sortes de circonstances (panne, erreur, etc.).

Ce genre de clause contrevient à l’article 1474 du Code civil qui dit ceci : « Une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde. Elle ne peut aucunement exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui. »

Vacances à vos risques et périls

Des voyagistes et des transporteurs aériens ont aussi la fâcheuse habitude de se dégager de tout. Dans sa brochure, Transat met en garde les voyageurs contre une série d’ennuis potentiels : consolidation de vol « en tout temps et sans préavis », changement d’horaire, annulation de vol, correspondance ratée. Aux clients de s’adapter !

Transat décline aussi toute responsabilité dans une multitude de situations qui peuvent survenir à l’hôtel (manque d’eau ou de climatisation, restaurants fermés, activités sportives annulées, travaux de construction dérangeants, phénomènes naturels, etc.). La jurisprudence impose pourtant aux agents de voyages des obligations de renseignements et parfois d’assistance dans plusieurs de ces cas, indique M. St-Amant.

Déménagement interdit !

Rions un peu en terminant, car certains contrats incluent parfois des clauses loufoques. Dans les modalités de services de Cogeco, par exemple, la clause 12 prévoit que « l’équipement de Cogeco doit demeurer à l’adresse où les Services sont installés initialement, tant et aussi longtemps que le Client demeure abonné à ces Services ».

Mais si on y pense bien, cela veut dire que le consommateur n’a pas le droit de déménager ! « Si on exigeait un avis lors d’un déménagement, on pourrait comprendre l’intérêt de l’entreprise, mais non : prohibition totale ! », s’exclame M. St-Amant.

Les secrets d’un bon contrat

Qu’est-ce qui fait un bon contrat ? Voici les conseils de Stéphanie Roy et Geneviève Fortin, fondatrices d’En clair, une firme qui se spécialise dans la simplification

de documents.

À proscrire

Les définitions

Les contrats débutent souvent par la fameuse section des définitions auxquelles il faut sans cesse se référer lorsqu’on lit le contrat. Résultat : une lecture fragmentée qui exige toute une gymnastique intellectuelle.

Les exclusions

Un autre grand classique, surtout dans les polices d’assurance. Les longues listes d’exclusions font enrager les consommateurs qui finissent toujours par se rendre compte, après coup, qu’ils ne sont pas couverts.

Les titres abstraits

Quand les sections d’un contrat sont coiffées de titres abstraits tels que « Droits de subrogation », le lecteur est incapable de faire une lecture en survol pour repérer rapidement l’information recherchée.

À adopter

Un ton humain

Un contrat ne sert pas juste à gérer les plaintes et à trancher les litiges. C’est un document qui scelle une relation humaine. Il faut donc trouver un ton, idéalement plus près de l’oral, qui est cohérent avec celui de l’entreprise.

De l’espace

Il faut de l’air. Du blanc. De l’espace. Si le texte est trop dense, le lecteur ne pourra pas l’ingurgiter. L’effort de vulgarisation tombera à l’eau si la présentation graphique n’est pas esthétique.

Du visuel

Une image vaut mille mots. C’est vrai même pour les contrats. Une photo captera rapidement l’attention. Un graphique simplifiera des concepts complexes. Le support visuel n’est pas à négliger.

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