Livre La politique en questions

La montée du populisme est-elle réelle ?

En se basant sur des résultats électoraux sur près de trois décennies, la professeure ajdointe Ruth Dassonneville tente de vérifier si la montée du populisme est davantage qu'une perception.

La victoire du Brexit au Royaume-Uni, l’élection de Donald J. Trump à la tête de la Maison-Blanche et les succès électoraux dont ont récemment fait l’expérience des partis comme Syriza et Podemos dans le sud de l’Europe créent l’impression d’une montée en force du populisme dans plusieurs États démocratiques établis.

Sans l’ombre d’un doute, ces événements ont poussé les journalistes comme les citoyens à porter une plus grande attention aux mouvements et aux formations politiques populistes. Le moteur de recherche Google offre des statistiques sur la popularité des termes de recherche employés par les internautes depuis 2004. Si l’on utilise ces chiffres pour jauger l’intérêt manifesté à l’endroit de ce courant politique, on constate que les recherches du mot « populisme » ont atteint leur zénith en 2016. […]

Cette mise en exergue du populisme correspond-elle à une véritable augmentation de l’attrait électoral exercé par les partis et les leaders politiques qui s’inscrivent dans cette mouvance au sein des États démocratiques ? […]

Tout d’abord, il est important de préciser ce à quoi correspond le « populisme ». Parmi les définitions les plus influentes, on retrouve celle proposée par Cas Mudde, qui décrit le populisme comme : « une idéologie, qui en définitive considère la société comme divisée en deux groupes homogènes et antagonistes, "le peuple pur" contre "l’élite corrompue". » […]

La définition du populisme proposée par Mudde a exercé une influence notable dans les études portant sur le sujet, et un grand nombre de chercheurs se sont appuyés sur le travail de cet auteur afin de déterminer quels partis pouvaient être qualifiés (ou non) de populistes. Le nombre considérable d’études qui ont procédé à une telle catégorisation des partis permet de tester la validité de l’affirmation voulant que les partis populistes aient récemment fait l’objet d’un regain de popularité.

On peut se demander si l’attention accrue dont jouit le populisme au sein de la population et dans la littérature scientifique reflète véritablement une amélioration de la performance électorale des partis populistes. […]

Afin de déterminer si tel est le cas, nous avons procédé à l’analyse de la performance électorale de partis populistes dans les pays pour lesquels les résultats électoraux sont disponibles sur le site Web de la Parliaments and Governments Database. Cette base de données couvre les élections en Europe et dans une poignée d’autres États (soit l’Australie, le Canada, Israël et la Nouvelle-Zélande). Nous nous concentrons sur les scrutins législatifs disputés à l’échelon national depuis 1990. Les données disponibles concernent 35 États et incluent entre 5 et 11 élections pour chacun des pays. […]

L’évolution moyenne dans la somme totale de la part des suffrages recueillis par les formations populistes depuis 1990 au sein des 35 États formant notre échantillon de cas.

La courbe de tendance permet de voir qu’il y a eu une augmentation graduelle du pourcentage de voix revenant aux partis populistes entre 1990 et 2017.

Ainsi, ce pourcentage a plus que triplé au cours des 27 dernières années, passant d’environ 5 % en 1990 à plus de 15 % en 2017.

On constate donc que les partis populistes sont effectivement devenus plus attrayants auprès de l’électorat au fil du temps, quoiqu’il faille apporter certaines nuances à cette conclusion. Premièrement, dans 5 des 35 États (à savoir le Canada, Chypre, l’Estonie, Malte et le Portugal), aucun parti populiste n’a fait son apparition ou récolté des voix au cours de la période étudiée. Dans d’autres pays, les formations populistes semblent avoir été de très courte durée, ne récoltant des appuis que lors d’une seule élection (c’est par exemple le cas de la Croatie et de la Lettonie). Deuxièmement, dans six autres États, la tendance suivie est en fait négative. Troisièmement, dans de nombreux pays, le succès électoral des formations populistes ne constitue pas du tout un phénomène récent. En Autriche, par exemple, ce type de partis obtenait déjà plus de 20 % des suffrages au début des années 1990. Aux Pays-Bas, le pourcentage total des voix reçues par les formations populistes est pour sa part resté relativement stable au cours des six dernières élections. Enfin, le Front national – le seul parti populiste récoltant des votes en France et l’un des mouvements populistes les plus cités en exemple en Europe – a obtenu essentiellement le même niveau d’appui électoral lors des scrutins législatifs qui ont eu lieu depuis 1993.

Alors que l’augmentation de l’attrait électoral exercé par les partis populistes est bel et bien réelle, l’élan connu par ces formations précède de loin la période actuelle d’intérêt et d’attention accrus envers le populisme. Autrement dit, les partis populistes ont opéré des gains électoraux bien avant 2016. De plus, si ces formations attirent davantage d’électeurs, la croissance dont semble jouir le populisme est variable.

Même si l’hypothèse voulant que les partis populistes aient récemment gagné en importance sur la scène électorale doit être quelque peu nuancée, il reste tout à fait possible que le populisme soit en train d’accroître son pouvoir d’attraction par d’autres moyens. Le succès apparent rencontré par les formations populistes pourrait par exemple avoir incité d’autres partis à ajuster leurs stratégies, à faire usage d’une rhétorique plus populiste ou à intégrer un certain nombre d’éléments populistes dans leurs plateformes. […]

Pour d’autres enjeux et positionnements idéologiques, comme les attitudes envers l’immigration ou, de manière plus générale, le débat gauche-droite, les politologues constatent fréquemment que les partis ont tendance à ajuster leur stratégie en réponse à ce que font ou déclarent les autres partis. […]

Sans surprise, Rooduijn et ses collègues ont trouvé que les formations généralement étiquetées comme populistes dans les cinq pays à l’étude possédaient des plateformes plus populistes que les autres partis – une constatation qui renforce la validité de leur mesure. Pour ce qui est de la tendance observée au fil du temps, ils n’ont toutefois trouvé aucune indication laissant croire que les partis politiques en général ou les partis traditionnels en particulier soient devenus plus populistes. De surcroît, même lorsque les partis traditionnels sont confrontés à des formations populistes qui performent particulièrement bien en période électorale, ceux-ci ne semblent pas réagir par l’adoption d’une posture plus populiste.

De façon tout à fait intéressante, Rooduijn, de Lange et van der Brug (2014) remarquent cependant que, si les partis traditionnels ne semblent pas ressentir le besoin de réviser leurs programmes face à leurs compétiteurs populistes, ces derniers peuvent être conduits à revoir leurs plateformes d’une façon plutôt inattendue.

Lorsque les partis populistes connaissent un certain succès, ils auraient tendance à modérer leur discours populiste.

À tout prendre, cette analyse ne fournit pas de preuves solides en faveur de la thèse du Zeitgeist populiste avancée par Mudde. En fait, il paraît même probable que les programmes des formations populistes sont moins populistes lorsque ces partis enregistrent des succès aux urnes.

Le thème du populisme a récemment reçu une place plus centrale dans les débats publics et universitaires. La croissance observée de l’attention envers le populisme ne reflète cependant pas une croissance de même ordre dans l’arène politique des démocraties occidentales. Certes, les partis populistes séduisent davantage d’électeurs, mais beaucoup de ces partis sont en réalité sur la scène politique depuis déjà un bon moment et n’en sont pas à leurs tout premiers succès électoraux.

Pour revenir à notre question initiale, à savoir si la croissance du populisme correspond à un véritable phénomène, la réponse est : oui, mais…

Oui, en moyenne les partis populistes sont devenus électoralement plus performants au cours du dernier quart de siècle, mais cette réponse doit être nuancée : en effet, la tendance n’est pas universelle, ne représente pas un phénomène récent et ne paraît nullement de nature contagieuse dans la mesure où les partis traditionnels semblent résister à l’appel du populisme (si appel il y a).

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