Chronique 

Le TIFF s’ouvre sur un match d’anthologie

Il pleuvait, mais le match n’a pas été suspendu. Le 42Festival international du film de Toronto s’est ouvert hier, sous une pluie intermittente, sur un drame sportif classique mais captivant autour d’un match d’anthologie.

La finale du tournoi de Wimbledon de 1980, entre l’aspirant John McEnroe et le champion en titre Björn Borg, fait partie de la légende du tennis. Borg, 24 ans, espérait remporter un cinquième titre de suite sur le gazon de Wimbledon. McEnroe, 21 ans, aspirait à être sacré nouveau roi du plus mythique des tournois. Leur duel, plein de revirements et de rebondissements, s’est inscrit dans l’histoire et fut considéré par beaucoup comme le match du siècle (dernier).

Pour rafraîchir la mémoire des uns et faire découvrir cet épisode sportif aux autres, le cinéaste danois Janus Metz (Armadillo) a entrepris de reconstituer non seulement ce match épique, mais la genèse de la rivalité sportive entre deux monuments de la raquette de bois.

S’il demeure assez conventionnel dans son traitement, empruntant ses codes au cinéma hollywoodien, Borg/McEnroe parvient à soutenir une réelle tension dramatique autour de ces deux personnages énigmatiques, en grattant la surface du personnage public pour atteindre une certaine profondeur psychologique.

« Ce sont deux icônes, a rappelé hier Janus Metz en conférence de presse. Leur rivalité a complètement changé le tennis. » 

« Pour moi, c’est plus qu’un biopic ou un film de tennis. C’est une histoire universelle, de quête existentielle, qui transcende le sport. Les personnages sont dans l’introspection, la découverte d’une trajectoire de vie et la recherche de leurs limites. »

— Janus Metz, réalisateur 

Borg/McEnroe propose en effet les portraits psychologiques croisés de deux archétypes du sport : le bon et le méchant. L’Américain mal engueulé que la foule prend plaisir à huer, et la machine à frapper des balles suédoise, adulée en particulier par la gent féminine.

Janus Metz tente de défaire ces images restées figées, en faisant la démonstration que les deux plus grands joueurs de tennis du tournant des années 80 sortent du même moule. Ce sont des athlètes surdoués, allergiques à la défaite, qui trouvent difficilement le moyen de sublimer leurs démons et de canaliser leurs énergies, mais qui y parviennent malgré tout, à divers degrés et de diverses façons.

Le rôle de John McEnroe est taillé sur mesure pour Shia LaBeouf, enfant terrible du cinéma américain, à qui l’on a déjà proposé d’incarner le « Superbrat » dans un film du même nom (qui n’a pas encore vu le jour). « Je n’ai pas aimé le portrait qu’on faisait de lui lorsque j’ai lu le scénario, dit LaBeouf. C’était une satire qui ne lui rendait pas justice. Il était dépeint comme un clown. »

À la manière de Rush de Ron Howard, avec pour toile de fond la course automobile et la rivalité entre Niki Lauda et James Hunt, Borg/McEnroe insiste sur ce qui distingue ses deux protagonistes pour ensuite s’intéresser à ce qui les unit. Borg (« robot » en anglais), sous ses airs impassibles de bellâtre scandinave sculpté dans la glace, réprime un volcan d’émotions. Sa rage contenue est semblable à celle, en fusion, de McEnroe. Le premier (interprété par le Suédois Sverrir Gudnason) vit de moins en moins bien avec la pression des attentes placées en lui ; le second doit apprendre à contenir ses pulsions. Ils sont le yin et le yang d’un passionnant jeu de ping-pong grandeur nature.

Cela dit, Janus Metz a beau se convaincre qu’il n’a pas réalisé un film sur le tennis – il décrit plutôt son premier long métrage de fiction comme un thriller psychologique –, il faut aimer le tennis pour apprécier Borg/McEnroe. J’ai grandi dans une famille qui suivait de près le circuit de l’ATP à l’époque de McEnroe/Connors/Lendl et j’ai un faible pour le drame sportif de façon générale. J’étais bien disposé à apprécier ce film plutôt bien mené, qui ne réinvente rien pour autant. Le non-initié ? Moins sûr.

Grâce à « la magie du cinéma », comme l’admet le cinéaste, les balles frappées par LaBeouf et Gudnason ont la précision et la puissance de celles catapultées par des professionnels (ce qui n’était pas le cas de celles de Paul Bettany dans Wimbledon, par exemple). En suivant leurs trajectoires parfois bizarres, on devine qu’il y a eu quelques arrangements avec le gars des vues.

Le tennis, cela dit, est crédible, ce qui était primordial pour que le film le soit aussi. Shia LaBeouf et Sverrir Gudnason, qui n’avaient jamais joué au tennis auparavant, se sont entraînés pendant six mois, à raison de deux heures par jour (du moins pour Gudnason…), afin de parfaire leur technique. « C’était comme un ballet. On a bien appris notre chorégraphie », résume LaBeouf, qui s’est blessé au pied pendant les répétitions.

Shia LaBeouf reconnaît évidemment les similitudes entre lui-même et le personnage qu’il incarne. « McEnroe était un tacticien. Il utilisait la rage comme une tactique. Il a insisté sur son intensité pour se mettre en valeur. De ce point de vue, c’était un artiste », dit l’acteur, reconnu pour ses frasques et ses arrestations pour trouble à l’ordre public.

À l’instar de McEnroe, qui a appris à rester concentré sur son match sans engueuler vertement les arbitres, LaBeouf n’est pas trop sorti de son texte hier et a évité les déclarations incendiaires. On sentait cependant qu’une question trop insistante sur ses antécédents judiciaires aurait pu le faire sortir de ses gonds…

Autant qu’à la rivalité entre deux joueurs, Borg/McEnroe s’intéresse à leur rapport respectif à l’autorité. John voulait plaire à des parents très exigeants ; Björn à un entraîneur (incarné par Stellan Skarsgård) qui était le seul à croire en lui. McEnroe a compris qu’il devait se montrer plus aimable ; Borg, perfectionniste à se rendre malade, à lâcher du lest. Ils sont devenus de grands amis, Borg a même été témoin au mariage de McEnroe.

La légende du tennis suédois, qui a pris sa retraite à seulement 26 ans, a vu et, semble-t-il, apprécié le film, présenté en avant-première à Stockholm la semaine dernière. C’est du reste son propre fils Leo qui joue le rôle de Borg adolescent dans le film. « Il est évidemment le meilleur joueur de tennis de son âge en Suède », précise Janus Metz.

En revanche, John McEnroe n’a pas encore vu le film. « Je crois qu’il est conscient de son legs et de sa légende. Il a écrit son autobiographie, puis la suite de son autobiographie, dont il a fait une version audio », rappelle Shia LaBeouf, qui n’a jamais rencontré le joueur devenu analyste. « John, j’adorerais te rencontrer, même si je sais que tu es occupé ! » Message lancé.

Tiff

Les affamés
Il se passe des « affaires » dans le rang 8…

TORONTO — Pendant que tout le gratin de la Ville Reine se dirigeait vers le Roy Thomson Hall ou le Princess of Wales Theatre pour assister aux projections de gala de Borg/McEnroe, film d’ouverture du 42TIFF, quelques centaines de festivaliers ont investi hier soir la plus grande salle du Scotiabank Theatre, rue Richmond, afin de pouvoir visionner le nouveau film de Robin Aubert, Les affamés, présenté ici en primeur mondiale. Et ils n’ont pas été déçus.

Le cinéaste québécois avait déjà flirté avec le cinéma de genre à l’époque de Saints-Martyrs-des-Damnés, mais cette fois, il s’y donne à fond. Dès la première séquence, il ne laisse planer aucun doute sur ses intentions en orchestrant un prologue dans lequel l’amoureuse d’un pilote de course, dont on ne saurait qualifier le genre de bagnole qu’il conduit, se fait regarder de travers par une jeune femme d’allure, disons, un peu étrange.

Le village reclus dans lequel l’intrigue est campée est atteint par un mal étrange, qui fait que des personnes « infectées » se transforment en zombies sanguinaires, auxquels les gens non encore contaminés livrent un combat sans merci. Même si on ne fait pas dans la dentelle ici (Robin Aubert s’amuse visiblement avec les codes du film « gore »), il reste que la mise en scène ne verse jamais dans la complaisance. Les dialogues et les situations sont aussi ponctués de touches d’humour noir qui font souvent mouche.

« Je suis content parce que les spectateurs ont réagi exactement de la façon que je le souhaitais. Chaque fois que je suis venu à Toronto, ça a été le cas ! »

— Le réalisateur Robin Aubert, se confiant à La Presse tout juste après la projection 

Femmes de tous âges

Il est d’ailleurs de tradition au TIFF de permettre aux spectateurs d’échanger avec les artisans après une séance. Pour cet exercice, Robin Aubert était accompagné hier de Brigitte Poupart, l’une des nombreuses interprètes féminines de ce film.

Une spectatrice a d’ailleurs fait remarquer au cinéaste à quel point le héros du film, fort bien interprété par Marc-André Grondin, était entouré de personnages féminins de tous âges, qui vont d’une fillette (Charlotte St-Martin) jusqu’à des femmes plus mûres (Micheline Lanctôt, Marie-Ginette Guay), en passant par deux personnages centraux très forts (campés par Monia Chokri et Brigitte Poupart). Applaudi, Robin Aubert a semblé être un peu pris de court et a passé le micro à la comédienne qui était avec lui sur scène. « Je ne sais pas ce qui se passe dans sa tête, a-t-elle déclaré, mais je sais qu’il écrit formidablement bien. Pour des actrices, c’est un vrai plaisir de jouer ça », a ajouté celle qui fut notamment aspergée de sirop par deux techniciens spécialement affectés aux giclées de sang…

Des questions en suspens…

Rendant hommage au maître George A. Romero, disparu récemment, Robin Aubert a par ailleurs expliqué qu’il ne souhaitait pas donner toutes les réponses aux spectateurs. Ainsi, la nature de la morsure de l’un des personnages, qui fera l’objet de bien des spéculations pendant tout le récit, restera un mystère.

« J’ai aussi imaginé des structures que les zombies construisent sans qu’on sache trop ce qu’elles signifient, a-t-il fait remarquer. L’idée m’est venue de plusieurs choses, notamment du fait qu’une tante, maintenant décédée, a tenu un magasin de brocante et s’est retrouvée avec des centaines de chaises. J’ai rêvé à la montagne de chaises qu’on retrouve dans le film. Mais je ne sais pas vraiment ce que tout cela veut dire. Parfois, j’aime ne pas tout savoir. »

Le réalisateur d’À l’origine d’un cri a aussi révélé que de tous les films qu’il a réalisés jusqu’à maintenant, Les affamés est celui qu’il préfère. On peut le comprendre, dans la mesure où ce thriller à sensations fortes célèbre, à sa façon, le pur plaisir du cinéma.

En principe, les spectateurs québécois pourront découvrir les « affaires qui se passent dans le rang 8 » à l’automne.

TIFF

Piers Handling tirera sa révérence l’an prochain

Après 36 ans au sein de l’organisation du TIFF, dont 23 à titre de directeur, Piers Handling a pris le milieu du cinéma un peu par surprise, quelques jours à peine avant la tenue du festival, en annonçant qu’il n’occuperait plus ses fonctions à la fin de l’année prochaine. Sous la gouverne de cet homme discret et de grande culture, l’événement torontois, connu sous le nom de Festival of Festivals au début, a pris une envergure internationale telle qu’il est, dans les faits, le deuxième festival de cinéma en importance au monde depuis maintenant une bonne quinzaine d’années, sinon plus. « J’ai accompli ce que j’ai voulu accomplir quand je me suis joint à cette organisation, a déclaré M. Handling au Toronto Star. Le temps est maintenant venu de passer le témoin. » — Marc-André Lussier, La Presse

TIFF

Des visas de séjour refusés à deux actrices iraniennes

Même si l’organisation du TIFF a fait parvenir une lettre de recommandation à l’ambassade du Canada en Turquie, avec laquelle les ressortissants iraniens doivent traiter, rien n’y fit. Mahour Jabbari, 17 ans, et Shayesteh Sajadi, les deux jeunes vedettes du film Ava (Sadaf Foroughi), dont la première a lieu ce soir, n’ont pu obtenir le visa réclamé pour entrer au Canada. Selon le Hollywood Reporter, les demandes des deux jeunes femmes auraient été refusées par les autorités sous prétexte que leurs intentions n’étaient apparemment pas claires quant à la nature de leur séjour. « Même si elles ne peuvent être des nôtres, leur voix et leur talent vont briller grâce au film », a commenté la direction du TIFF.

— Marc-André Lussier, La Presse

TIFF

Quarante et un longs métrages en moins…

Le menu du TIFF reste gargantuesque, mais il a quand même été soumis à un petit régime minceur cette année. On compte 255 longs métrages dans la programmation, comparativement à 296 l’an dernier. Cette décision découlerait d’une volonté de mieux encadrer les œuvres sélectionnées. La direction du TIFF a aussi pris en compte la légère baisse d’affluence enregistrée en 2016, après des années de croissance, avec une assistance de 381 185 spectateurs. L’édition de 2015 en avait attiré 2785 de plus.

— Marc-André Lussier, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.