DANY TURCOTTE

Le dernier mot

Dany Turcotte animera ce printemps la 11e saison de La petite séduction. Il joue toujours le rôle du « fou du roi » de Tout le monde en parle, à Radio-Canada, après 12 saisons. Discussion sur le rapport à la critique avec un artiste qui la subit chaque semaine.

Je voulais te parler…

Je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il cherche ? Il veut un scandale ? Il veut que je lui parle en mal de Guy ? »

Non ! Je voulais te parler de ton rapport à la critique.

La critique en général ou seulement ceux dont c’est le métier ?

En général. Tu es chaque semaine sous la loupe de Tout le monde en parle

T’as pas idée comment je suis fier d’avoir survécu à 12 ans de Tout le monde en parle. C’est un rôle pas si évident. Tu déranges l’entrevue. Tu n’es pas assez méchant pour certains et trop méchant pour d’autres. Tu viens que tu ne sais plus où est la limite. Je me suis adapté au public et à ce que je recevais comme bêtises et félicitations.

Après ta carte à Caroline Néron, par exemple ? Je n’en reviens toujours pas comment ça a pu devenir une controverse nationale…

C’était dit un peu dans l’esprit de Dany Verveine : « Sur ton site, je n’ai rien trouvé de beau… » Avec son intonation à elle, j’ai eu l’air d’un chien sale fini. D’habitude, on me reproche d’être trop gentil. Pour une fois que je suis un peu ironique ! Je le suis dans la vie bien plus qu’à la télévision.

Est-ce que ton rapport aux commentaires des spectateurs a évolué ?

Quand on a commencé, il n’y avait pas les réseaux sociaux. Il y avait juste des courriels dans la boîte de l’émission. Maintenant, ça rentre directement dans ton salon. C’est encore pire. Mais on s’endurcit à la longue.

Tu les lis toujours ?

Ben oui. Je veux savoir ce qui se dit. Même si c’est un petit échantillon.

Des études ont été publiées sur le fait qu’on accorde beaucoup trop d’importance aux commentaires sur les blogues et les réseaux sociaux. La majorité des gens ne sont pas perpétuellement en colère comme une poignée d’hurluberlus sur Twitter.

Les médias sociaux ont fait que je suis beaucoup moins atteint par les commentaires. Les insultes deviennent banales. J’ai déjà reçu des menaces de mort. Des messages privés où on me disait : « Attention, on t’a à l’œil ! » Il ne faut pas trop y penser, sinon, on se retourne constamment en marchant dans la rue.

Tu as fait émerger une parole homophobe qui n’était pas entendue, en la mettant en évidence sur Twitter. Tu le fais moins…

Ma devise, c’était : « Combattre la connerie un con à la fois ». Mais je commence à m’essouffler un peu. Je voulais que les gens sachent que le Québec n’est pas un paradis d’ouverture d’esprit, comme certains se l’imaginent.

Tu sembles avoir un rapport difficile avec la critique professionnelle…

Tout le monde a un rapport difficile avec la critique. Même les critiques ! Je me souviens d’une guerre épique avec René Homier-Roy. On arrivait à Montréal avec le Groupe sanguin et il avait fait une critique élogieuse du spectacle, avec un seul bémol pour moi. Il m’avait trouvé mauvais. Il avait dit que j’étais une « épaisse niaiserie ». Je l’ai haï pendant des années. Je me réveillais la nuit pour l’haïr !

J’ai l’impression que ça a teinté ton rapport avec la critique pour la suite. Tu es resté très méfiant. Tu réponds aux critiques !

Ça fait partie de ma personnalité de te répondre sur Twitter ! C’est un des bons côtés des réseaux sociaux, je trouve. On peut envoyer promener le critique ! La critique n’a plus le dernier mot. J’ai subi la critique très jeune dans ma carrière. Aujourd’hui, je comprends que c’est un mal nécessaire.

Je retiens plus le mot « mal » que « nécessaire »…

Vous êtes des êtres humains aussi. Certains artistes vous énervent pour des raisons personnelles. J’en connais qui m’haïssent et je ne sais pas pourquoi. De façon générale, on vous accorde beaucoup trop d’importance ! Mais j’ai de la misère à croire ceux qui disent qu’ils ne lisent pas les critiques. Tu ne peux pas ne pas lire une critique quand ton nom est mentionné, il me semble.

Quand j’ai commencé à faire de la télé, je suis tombé sur des forums de discussion de gens qui m’haïssaient à s’en confesser. Je ne lis plus ça depuis longtemps. Ils continuent de m’haïr, mais je ne le sais pas et je m’en porte mieux.

Il y avait une page Facebook contre moi : « Pour ceux qui trouvent Dany non pertinent ». Mais il y avait juste 100 abonnés ! (Rires) J’ai retenu chacune de leurs faces…

Tu trouves qu’ils ont tort de trouver que tu n’es pas assez grinçant ou incisif ?

Je ne pourrais pas l’être. Et de toute façon, je ne suis pas si méchant que ça dans la vie. Si tu t’attaques directement à un politicien, tu te fais ramasser. Les partisans politiques sont effroyables. Ils sont sourds et aveugles, mais ils ne sont pas muets.

Tu dirais que tu t’es adapté au public ?

Oui. On est frileux au Québec.

La version québécoise de Tout le monde en parle ne pouvait pas être fidèle à l’originale, à ton avis ?

Il y en a plusieurs qui en rêvent. Tu es l’un de ceux-là. Ceux qui aimeraient voir un On n’est pas couché québécois, avec des intellectuels qui ont lu le livre et qui vont massacrer l’auteur en direct. C’est le fun à voir en France, mais ça ne marcherait pas chez nous. On fessait dans le tas au début de Tout le monde en parle, mais ça ne pouvait pas durer.

Je pense que tu as raison. Tu peux le faire deux fois, mais ensuite, il n’y a plus personne qui va venir à ton émission.

Qui va accepter d’aller se faire mitrailler comme ça devant 1 million de personnes ? On oublie que dans la version originale française, il y avait toujours aussi une nunuche qui venait faire rire d’elle par le plateau au complet. On ne fait pas ça ici.

Laurent Baffie [le « fou du roi » de la version française] n’était donc pas un modèle pour toi…

Pas du tout. Mais je le trouvais très drôle comme spectateur. C’était du freak show. On ne peut pas aller là.

Vas-tu moins loin dans tes commentaires depuis que tu as vécu des controverses comme celle de Caroline Néron ?

Ça fait seulement trois ans. Gilles Duceppe, c’était l’an dernier ! J’essaie d’avoir des cartes dures avec les politiciens parce que c’est quand même moi qui ai le dernier mot. J’essaie d’être « bitchement » équitable entre chaque parti, même si j’ai des allégeances. Je me demande même si je ne suis pas plus dur avec les souverainistes parce que je suis souverainiste. Pour ne pas avoir l’air complaisant. La carte est lue par l’invité. C’est son ton qui va donner une orientation à la perception des gens. Si la personne est catastrophée, comme Caroline Néron, ça change complètement la perception. Si elle l’avait trouvée drôle, ça aurait tout changé. Mais il y a des choses qui ne passent plus aujourd’hui, comme les blagues sur le physique de Gaétan Barrette. Je me suis adapté. Et en plus, il a maigri !

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