Opinion Marc Séguin

Le jupon

J’adore lire le journalisme partisan. C’est divertissant même quand ça vient avec un énorme malaise.

À travers le potager cette semaine, y’en avait de la fardoche et du chiendent. C’est fou comme les métaphores sont sorties de terre ces derniers jours.

Le soleil s’est pointé. On était entre le printemps et l’été cette semaine. Trois longues journées à revirer la terre. Sarcler, faire des andains, préparer les buttes et les planches de culture. Des réveils aussi, les matins où le corps se déplie à l’arraché. Ces douleurs sont belles.

Les soirs, cette semaine – quand la lumière baisse –, crevé et plein d’ampoules, j’ai pris le risque de l’autre lumière, celle pixélisée de la télé et de mon ordi. Misère. Me semble que j’aurais dû comprendre le message que l’univers m’envoyait : ça fait mal pitonner la télécommande de la télé avec des ampoules.

Me suis demandé, devant ce théâtre d’hommerie, ce qu’il restera à inventer aux jeunes auteurs de fiction. Me semble que tous les jours, les journalistes nous rapportent l’actualité comme si on était au cœur des âmes de Corneille et Shakespeare. Drames, volte-face, discrédit, engagement, promesses, trahisons, cynisme… On est servis – le Grand Service – par le divertissement politique ces jours-ci. La réalité dépasse la fiction dans cette surenchère de rebondissements d’année électorale.

Qui s’étonne encore de la réalité du pouvoir à l’ère des technologies narcissiques ?

Si vous n’avez pas compris que ça marche comme ça, faites rayer votre nom de la liste électorale.

Celui qui a fait tilter le plus de pixels, c’est mon ami Alexandre. Aucun cynisme. J’avais écrit ici il y a quelques mois (hum… hum…) qu’il se préparait à devenir premier ministre. Je crois avoir à peu près tout lu et entendu ce qui s’est dit sur son choix politique cette semaine. Même si je ne partage pas son allégeance (surtout celle du « progressisme »…hé…hé), je sais respecter l’engagement. D’où mon étonnement : parce que mise à part une journaliste du Devoir qui a effleuré l’avenir, personne n’a compris ni deviné ce qui se tramait. Les gens sont si occupés à décrire les costumes, le jeu et les coulisses, qu’on oublie le texte.

Dit en passant : on dira ce qu’on voudra de Philippe Couillard, n’en demeure pas moins qu’il est d’une redoutable intelligence. Peu importe l’issue du 1er octobre, il y a des gens qui voient au-delà.

L’onde de choc a duré toute la semaine.

Parfois, souvent, dans un potager, faut planter en faisant du compagnonnage ; les tomates aiment l’ail. Les courgettes le maïs, les choux aiment le thym, les patates aiment les haricots nains… ces plantes s’entraident.

Le compagnonnage, c’est associer certaines plantes entre elles, pour leur influence bénéfique et réciproque les unes sur les autres. C’est aussi un peu beaucoup comme la politique.

En fait, c’est plus que ça : ce n’est pas donnant-donnant, c’est plutôt une accumulation de faveurs rendues qui donnent du pouvoir. C’est tout petit et presque invisible comme réalité. Mais c’est le nerf de la guerre. Les histoires d’argent, de dons, de commandites et autres balles de golf ne sont que l’incarnation de cette « énergie ».

Je continue avec le journalisme partisan. La situation devient de plus en plus malsaine.

J’ai aussi appris, la semaine dernière, que dorénavant j’écrirais pour un OBNL. J’ai une entente qui stipule que j’écris jusqu’en juin, mais là, j’ai comme un malaise à demander une augmentation de salaire si jamais il y a une suite à juin ! C’est malaisant demander plus d’argent à un organisme de charité ! ! ! (J’ai un grand sourire ici.) J’imagine que les journalistes vedettes, motivés de bonté divine, vont accepter une baisse de salaire significative pour la pérennité de La Presse (j’ai encore un plus grand sourire ici).

Je niaise. Je connais la réalité. Celle des revenus publicitaires. Et elle m’écœure. Il est triste et dommage que la qualité de l’information et la liberté des idées (ha ! j’y reviens plus loin) soient tributaires des revenus d’une annonce de serviettes hygiéniques, de voyages en Chine ou d’eau de Javel. Mais c’est la réalité. Il y a quelques individus qui contrôlent la donne. Conséquence heureuse ou pas, c’est selon, du capitalisme et des démocraties technologiques.

Pour les journalistes aussi je blaguais. La qualité a un prix. Et il faut le payer.

Tout est planté. Tout. Le potager est terminé. C’est beau quand ça commence, y’a plus de mauvaises herbes. C’est plein de promesses. Le vrai travail commence maintenant : le désherbage.

J’ai aussi lu tout ce qui s’est écrit contre ce nouveau modèle de presse sans but lucratif. Malgré plusieurs modèles qui tentent de faire leurs preuves (une partie du Guardian, le Philadelphia Inquirer…), force est d’admettre que ça craint. Les gens ont peur du changement. Alors ça chiale. Me demande pourquoi. Le modèle où le jupon dépasse n’est pas révolu. Il ne le sera jamais. Il continuera de dépasser quoi qu’il advienne. Cessons donc de faire semblant que tout doit être parfait et corrigé. C’est dans l’ADN des médias d’information d’influencer citoyens et consommateurs. Arrêtons d’être cons avec la pureté. On trouve à faire depuis toujours.

On ignore pour l’instant si ce nouveau modèle de presse est viable. Même à court terme.

La réalité est ici : si ça continue comme ça, même avec 50 millions et toute la volonté du monde, ça ne durera pas trois ans. Ce qui sera dommage, c’est que le gouvernement attende à l’échéance pour le réaliser. Parce que l’information et ses sources sont primordiales. C’est la base des libertés dont on rêve.

La réalité : l’avenir peut très bien se passer de La Presse. Mais ça défigurerait nos idées. Ce serait laid.

Le modèle doit certes être repensé. C’est la base d’une société saine. Et il y a plein de journalistes « ennemis » qui devraient se trouver d’autres causes pour chialer et énoncer les grands principes et leçons de gouvernance (un autre sourire ici ! ! !).

La vérité, c’est qu’on a besoin, plus que jamais, de cette diversité de presse et du pouvoir des idées. Un journal n’est pas un blogue ou un réseau social.

Suggestion : La Presse devra se nommer un ou une fiduciaire avec l’expérience de l’impartialité. Ça se trouve (un juge, par exemple). Aussi : un président de conseil qui nommera lui-même son conseil d’administration, sans aucune pression des propriétaires.

La suite se déroulera pas mal comme dans un potager.

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