Y a-t-il trop de règlements ?

Des jeunes se prononcent

« On est encadrés par des règles qui, selon nous, n’ont aucune pertinence », dit Alexy Coelho, presque 16 ans, de Gatineau. « On ne fait que subir les règlements, juge pour sa part Éliane Ledoux, 15 ans, qui vit à Montréal. On ne nous explique jamais pourquoi c’est comme ça. On fait juste nous dire comment ça marche et qu’on doit se plier à ça. »

Pas le droit de s’asseoir par terre dans les couloirs, de traîner trop longtemps près des casiers après les cours ou d’écouter de la musique en faisant des travaux en classe. Interdiction pour les filles de porter une camisole à « bretelles spaghetti » ou une jupe trop courte. Couvre-feu imposé par les parents, utilisation réglementée de l’internet à la maison, interdiction d’acheter de l’alcool et des cigarettes, la liste des choses que les adolescents ne peuvent pas faire est longue.

Oui, parfois, ils en ont ras le bol. « Plus il y a d’interdits, moins ça nous permet de découvrir ce que c’est, le monde des adultes », estime Éliane Ledoux. Qu’ils visent les enfants ou les ados, les interdits ne sont toutefois pas des caprices d’adulte, souligne la psychologue Ariane Hébert. « L’interdiction, souvent, on l’impose dans un souci de protection, parce qu’on estime que le jugement [de nos enfants] n’est pas adéquat, dit-elle. On veut prévenir les conséquences fâcheuses. »

Un « mal » nécessaire

« Il est important qu’il y ait des interdictions, qu’on établisse des règles pour le fonctionnement en société », dit Marie-Claude Guay, professeure de psychologie à l’UQAM. Les adultes font d’ailleurs eux aussi face à des règles et des interdits. On n’a qu’à penser au Code de la sécurité routière… Or, à l’adolescence, période charnière où on développe son identité et son autonomie face aux parents, les interdits peuvent être défiés, contestés et donner lieu à des discussions animées.

« Certains interdits n’ont pas rapport », estime Magalie Caisse, 13 ans, de Saint-Roch-de-l’Achigan. Celui, entre autres, d’arriver en retard à ses cours. « C’est assez évident », dit-elle. Comme plusieurs autres adolescents sondés, elle en a aussi contre les codes vestimentaires et la fameuse interdiction des « bretelles spaghetti ». Une épaule dénudée, « c’est juste une épaule », dit-elle. Qu’on dise que ça « déconcentre les garçons » est une justification très peu crédible, selon Alexy Coelho, perplexe lui aussi devant ce règlement.

« Si je ne comprends pas pourquoi on m’impose une règle, ça ne me sert à rien de la respecter. »

— Magalie Caisse, 13 ans

Ce qui ne veut pas dire qu’elle est contre les règles. Elle sait que l’utilisation de son iPod est régulée parce qu’elle risque d’y passer trop de temps. Éliane Ledoux a aussi connu une limitation de son utilisation du réseau WiFi familial. Ses notes n’en souffraient pas, mais elle passait vraiment trop de temps en ligne. « Cette limite était nécessaire. Sur le coup, ça énerve, reconnaît-elle. Après, tu te dis : “C’est vrai, je l’utilisais beaucoup.” »

Comprendre le pourquoi

Qu’elle soit imposée par les parents ou l’école, l’interdiction doit être justifiée aux yeux des ados. Et surtout expliquée. « Remettre en question une règle ou une interdiction est un signe d’intelligence », rappelle d’ailleurs Marie-Claude Guay. Ce désir de mettre en doute et d’argumenter fait partie du développement normal d’un ado. Pour l’aider à aiguiser son sens critique et à prendre de bonnes décisions, le mieux est de discuter avec lui, selon Ariane Hébert.

« Dès l’âge de 3 ou 4 ans, on peut expliquer aux enfants le fondement d’une interdiction. Ils sont capables de comprendre et si on utilise leur intelligence, ils seront plus enclins à obtempérer. »

— Marie-Claude Guay, professeure de psychologie à l’UQAM

Par exemple, on peut dire à un enfant qu’il doit porter un casque à vélo parce que « le cerveau ne se répare pas, contrairement à une jambe brisée ».

Alexy Coelho affirme avoir plus tendance à respecter une règle dont on a discuté, même si, au bout du compte, il n’est pas d’accord. « C’est l’essence même de la démocratie et de la liberté d’expression. Pourquoi on peut appeler son député ou essayer d’organiser une manifestation et qu’à l’école, on ne pourrait pas faire la même chose ? L’école, ce n’est pas une monarchie », dit-il.

« Si l’enfant ou l’ado a participé ou a le sentiment d’avoir participé au processus de décision, l’opposition devient inutile », fait remarquer Ariane Hébert. User d’une forme de « manipulation bienveillante » peut d’ailleurs être utile pour un parent… L’interdiction peut en outre avoir un effet calmant. Certains enfants et ados trouvent en effet rassurant de connaître les limites et sont très à l’aise avec l’idée de s’y conformer, selon elle. D’autres vont, au contraire, « saisir toutes les occasions pour défoncer les barrières ».

Braver les interdits

L’impression de danger quand on défie l’ordre établi procure de l’adrénaline. « Les adolescents recherchent ce thrill. C’est reconnu, ça fait partie du développement normal », précise la pédopsychologue. La majorité des jeunes ne perçoivent toutefois pas les interdictions comme une invitation à la transgression. Éliane Ledoux reconnaît que des jeunes de son entourage fument du pot entre autres parce que c’est illégal et que ça ajoute au frisson. Ce genre de « stress » ne l’intéresse pas, elle.

« La transgression, c’est relatif, ajoute Ariane Hébert. Pour l’un, c’est se retourner pour parler à l’ami assis derrière alors que le prof a dit de ne pas le faire et pour l’autre, c’est aller fumer un joint dans le skate park pendant les heures de classe. » Là où la transgression est problématique, c’est lorsqu’elle devient pathologique et qu’elle nuit à la capacité d’adaptation de l’adolescent. Lorsque « le côté transgressif fait en sorte qu’il va adopter des comportements à risque pour lui-même ou les autres », explique Marie-Claude Guay.

Chez les jeunes, l’envie de transgression vient du désir d’exploration, estime Benoit Khézami, 14 ans, de Montréal. Pour lui, le fait de respecter les règlements à la maison est cependant garant d’une plus grande liberté. « Je respecte les limites, et après un moment je demande une chose, et une autre. Au lieu d’y arriver en bravant des interdits et en foutant le bordel, je l’ai en restant tranquille », dit-il. L’autorité parentale se classe d’ailleurs, pour plusieurs jeunes, au-dessus des règlements de l’école ou de la loi, parce que les conséquences sont directes. « Quand mes parents m’ont dit : “Je pensais que tu valais mieux que ça”, c’est pire que si ça venait de n’importe qui d’autre. Quand tes parents t’enlèvent cette confiance-là, c’est percutant », selon Rose Pagé, de Gatineau, qui a 17 ans.

Alexy Coelho n’est pas du genre à forcer la note, mais ne respecte pas tout à la lettre. Il ne transgressera pas une règle s’il risque de blesser quelqu’un, assure-t-il. Après, ça dépend. Il garde souvent son téléphone sur lui à l’école alors que, en principe, il doit le laisser dans son casier. Pour lui, ce n’est pas une transgression. « Parce que je ne l’utilise pas », justifie-t-il. Cependant, il passe son temps à rouler ses bas de pantalon même si c’est contraire au code vestimentaire de son collège. Conséquence ? Un avertissement. Il les déroule et les roule de nouveau cinq minutes plus tard…

Les adolescents ne sont pas fous. Ils savent très bien quels interdits ils peuvent ou non braver, insiste Marie-Claude Guay, en précisant qu’il faut solliciter davantage leur intelligence et faire confiance à leur jugement. Éliane Ledoux s’est déjà fait confisquer son téléphone à l’école parce qu’elle l’avait regardé en classe. « Je le savais en le faisant que je n’avais pas le droit, dit-elle. Tu as le choix de respecter ou non les règlements, mais si tu ne les respectes pas, il faut que tu saches que ça vient avec des conséquences. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.