Élections municipales 2017

La ligne rose, réaliste ou trop coûteuse ?

La ligne rose du métro, proposition phare de la nouvelle mairesse de Montréal, a le potentiel de régler les problèmes d’engorgement de la ligne orange et de desservir enfin une population privée d’infrastructures efficaces de transports collectifs. Mais le project est-il vraiment réaliste ou trop coûteux ? Les banlieues sont-elles disposées à l’appuyer après la réalisation de la ligne bleue ?

Ahmed El-Geneidy

Professeur associé à l’École d’urbanisme de l’Université McGill, membre du conseil d’administration de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM)

La ligne rose est-elle un projet réaliste ?

Le principal problème avec ce projet, c’est l’incertitude quant aux coûts. Construire sous la terre, c’est coûteux. Projet Montréal soutient qu’on emploierait une technique de tunnelier qui a été utilisée en Espagne pour réduire les coûts, mais jusqu’à quel point les coûts seront-ils réduits ? Je ne suis pas un expert en évaluation des coûts, mais comparons avec le métro de Laval. Il a coûté 800 millions pour 5 km, il y a 10 ans. La ligne rose est 6 fois plus longue et compte beaucoup plus de stations.

Est-ce que certains aspects techniques le rendent irréalisable ?

C’est le creusage des tunnels qui entraîne des incertitudes. Il faut creuser très profond. Cela impliquerait au départ de Montréal-Nord de creuser un énorme trou, d’y faire descendre ce tunnelier, et de forer sous terre. Par la suite, il faut construire des stations, creuser encore à partir du sol jusqu’à rejoindre le tunnel en profondeur. Le creusage des stations représente un investissement énorme. Encore une fois, je ne suis pas un expert, mais un coût prévu de 6 milliards, c’est une grosse incertitude.

Si on fait abstraction des coûts, le projet est-il défendable ?

C’est un excellent projet sur le plan de l’occupation du sol et de l’urbanisme. Il desservirait une des populations les plus mal desservies de toute la région de Montréal. On fait ce genre de projets quand on doit rejoindre des secteurs à haute densité de population et en ce sens, la ligne rose est très bien pensée. Si on regarde la distribution des revenus, c’est évident que le nord-est de Montréal a une population vulnérable, qui a besoin de ces services. Et comme le tracé ne croise pas les autres lignes du métro, on ne crée pas de problèmes de surcharge. La ligne rose est un bon projet, mais peut-il se faire à coût raisonnable ? Tout le problème est là.

Devrait-on le faire ?

À Montréal, on fait toujours l’erreur de planifier un projet pour lui-même. Ça ne marche pas. Un projet de cette envergure doit faire partie d’une planification d’ensemble, beaucoup plus large et intégrée. Il faut prioriser les projets en fonction des lieux où se trouvent les usagers, en fonction des besoins et de la complémentarité des projets entre eux. Sinon, c’est l’agenda politique qui dicte les choix. [La mairesse] Valérie Plante a eu une autre bonne idée, acheter 300 autobus, sans dire où ils devraient être utilisés. C’est le travail de la STM de déterminer où ils seront le plus utiles, où il y a le plus de besoins. En transport, les projets doivent faire partie d’un plan de mobilité intégré, pas d’un programme politique.

Pierre-Léo Bourbonnais

Associé de recherche et chargé de cours à Polytechnique, titulaire d’une maîtrise et d'un doctorat en génie civil-transport. A collaboré à la conception de la ligne rose.

La ligne rose est-elle un projet réaliste ?

Oui. L’utilisation d’un tunnelier pour creuser les tunnels est une technique qui est de plus en plus utilisée. La machine tourne tout le temps. On peut ouvrir une ou deux stations par année à mesure qu’on avance. L’idée d’utiliser un matériel roulant fer-sur-fer, au lieu des pneumatiques comme le métro actuel, permet de réduire les coûts parce qu’il y a un plus grand nombre de fournisseurs, et que l’équipement de voie est standard au lieu de devoir être fait sur mesure. Ça se fait partout dans le monde, maintenant.

Est-ce que certains aspects techniques le rendent irréalisable ?

[Le conseiller municipal de Projet Montréal] Sylvain Ouellet a fait une analyse soignée du sous-sol partout où la ligne passera. Le tracé de la ligne est dessiné suivant l’emplacement des bâtiments, des réseaux d’infrastructures souterraines. Ce travail est bien fait. C’est sûr qu’il y aura des imprévus. Le tronçon entre les stations du Plateau Mont-Royal et la station Vendôme serait plus coûteux, à environ 300 millions par kilomètre. Sur le reste du tracé, du Plateau jusqu’à Montréal-Nord, il n’y pas vraiment de problème à anticiper.

Si on fait abstraction des coûts, le projet est-il défendable ?

C’est un très beau projet, qui aurait des effets bénéfiques importants. Surtout pour la ligne orange, qui s’en trouverait en partie déchargée. Il dessert une population qui n’a pas accès aux services. En ce sens, il est même préférable au prolongement de la ligne bleue à Anjou, parce que ce projet-là amène les usagers vers la ligne orange, qui est déjà saturée. Et même si ça coûte cher, une ligne de métro représente quand même la solution la plus économique aux problèmes de congestion. Le train de banlieue de Mascouche a coûté 750 millions et il transporte quoi, 5000 passagers par jour ? La ligne orange, c’est 45 000 passagers à l’heure !

Devrait-on le faire ?

Projet Montréal a fait appel à nous pour vérifier les gains de temps que pourraient faire les usagers de la ligne rose. Nous avons fait des simulations à partir de 70 points de départ sur le tracé, et les résultats sont étonnants. À cause des gains de temps, la ligne rose dégage les tronçons les plus engorgés de la ligne orange, entre les stations Mont-Royal et Bonaventure, et les points les plus saturés de la ligne verte, entre Berri-UQAM et McGill. Et à cause de son tracé en diagonale, les gains de temps sont aussi avantageux par rapport aux déplacements en automobile, qui doivent suivre la trame perpendiculaire des rues. La ligne rose réduirait la congestion routière et la congestion du métro.

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Vers une nouvelle guerre des lignes de métro ?

La mise en place d’une nouvelle gouvernance des transports collectifs métropolitains et les revendications des banlieues qui réclament leur propre prolongement du métro pourraient bien compliquer le destin de la déjà célèbre ligne rose, projet-phare de la nouvelle mairesse de Montréal.

Depuis le 1er juin, la priorisation des petits et grands projets de transports collectifs ne relève plus de la responsabilité des municipalités, dans la grande région de Montréal. C’est une nouvelle entité, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), dirigée par un conseil d’administration formé de 15 personnes, dont seulement 5 élus, qui devra déterminer quels projets seront réalisés sur un horizon de 10 ans, et dans quel ordre ils seront mis en œuvre.

Ce changement majeur, téléguidé par le gouvernement du Québec, a pour principal objectif de dépolitiser le processus de planification des réseaux de transports en commun à l’échelle métropolitaine.

Cette dépolitisation n’a absolument pas empêché les courses à la mairie de Montréal, de Laval et de l’agglomération de Longueuil d’être marquées par les promesses de plusieurs candidats en faveur d’éventuels prolongements du métro, dont on parlait déjà bien avant que l’idée même d’une ligne rose ne germe dans l’esprit des partisans de Projet Montréal.

Lignes orange, jaune et bleue

En entrevue à La Presse, le mois dernier, le maire de Laval, Marc Demers, a affirmé qu’il souhaitait présenter à l’ARTM une proposition de prolongement de la ligne orange, qui ajouterait deux stations à Montréal entre Côte-Vertu et le terminus Bois-Franc, et au moins deux stations à Laval. La première serait située près de l’école Saint-Maxime, sur le boulevard Lévesque, juste à l’ouest de la route 117, et la seconde, à l’intersection des boulevards Curé-Labelle et Notre-Dame.

À Longueuil, la gagnante déclarée des élections de dimanche, Sylvie Parent, a affirmé hier vouloir mettre rapidement en branle le développement du grand projet urbain « Longueuil 2035 » qui s’articulerait autour d’un prolongement de la ligne jaune du métro, promis depuis 2009.

Si Québec devait donner bientôt le feu vert à un prolongement de la ligne bleue vers Anjou, un projet strictement montréalais, les banlieues accepteraient-elles ensuite que leurs projets passent après la ligne rose de la mairesse Plante ?

« Théoriquement, la question ne devrait pas se poser de cette façon », estime Florence Junca-Adenot, professeure au département d’études urbaines et touristiques à l’UQAM. 

« On a créé l’ARTM pour qu’elle évalue les projets en fonction d’objectifs clairs, comme réduire la congestion routière, diminuer les émissions de gaz à effet de serre, favoriser la mobilité des gens. »

— Florence Junca-Adenot

« Est-ce qu’un prolongement du métro à Laval apportera quelque chose de plus sur le plan de la mobilité ? Est-ce qu’un métro de surface ou un tramway serait plus approprié que le métro pour desservir Longueuil ? Est-ce que le parachèvement de la ligne orange jusqu’à Bois-Franc, à Montréal, devrait être priorisé après la ligne bleue ? Ce sont ces questions-là que devrait se poser l’ARTM », dit Mme Junca-Adenot, qui observe depuis plus de 20 ans le développement (ou l’immobilisme) des transports collectifs dans la région métropolitaine.

Question de rythme

« La création de l’ARTM est trop récente pour qu’on sache à quel rythme les projets vont évoluer sous sa gouverne », dit pour sa part le directeur de Trajectoire (anciennement Transports 2000), Philippe Cousineau Morin. « La ligne rose propose des solutions concrètes à des problèmes réels de services dans l’est de Montréal. Mais si les choses avancent comme avant l’ARTM, avec un projet qui se réalise tous les 10 ans, c’est difficile de penser qu’on va amorcer la construction de cette ligne avant la fin du premier mandat de Mme Plante. »

Ligne rose

Ouverture teintée de prudence à Ottawa

Valérie Plante sera accueillie à bras ouverts à Ottawa pour parler de sa ligne rose, mais elle devra se doter d’une bonne dose de réalisme. Les fonds fédéraux alloués pour l’ensemble des projets de transports en commun du Québec totalisent 5,2 milliards de dollars d’ici 10 ans, alors que la proposition phare de la nouvelle mairesse de Montréal s’élève à elle seule à au moins 6 milliards.

Sohi « enthousiasmé »

Amarjeet Sohi, ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, s’est dit « enthousiasmé » par la perspective de travailler « de près » avec Valérie Plante afin de permettre le démarrage de projets de transports collectifs à Montréal. « Peu importe les priorités du gouvernement municipal local, nous travaillons avec eux, qu’il s’agisse de la ligne bleue, du Réseau électrique métropolitain (REM) ou de la ligne rose », a-t-il dit pendant un point de presse hier à Ottawa. « Je suis très fier, en fait, très enthousiaste de voir que Montréal a élu une mairesse qui met beaucoup d’accent sur les transports en commun, sur des modes de transport durables. »

En attente de détails

Le ministre Sohi dit attendre les détails de Valérie Plante au sujet de la ligne rose – l’une des principales promesses de la jeune politicienne élue dimanche. Selon les plans évoqués jusqu’ici, ce nouveau tronçon du métro de Montréal s’étendrait sur 29 km, entre Montréal-Nord, le centre-ville et Lachine, et il pourrait coûter au moins 6 milliards de dollars. Aucune étude détaillée n’a encore été faite sur le projet, si bien que le coût réel pourrait être plus élevé. « Nous allons définitivement travailler avec eux une fois que nous recevrons des propositions détaillées », a indiqué M. Sohi. Il a répété qu’Ottawa « n’interviendra pas » pour déterminer quels projets montréalais devraient être financés en priorité par Ottawa. « C’est une décision locale, et nous travaillons en collaboration avec nos partenaires municipaux. »

REM et ligne bleue

Amarjeet Sohi rappelle qu’Ottawa s’est déjà engagé à injecter 1,3 milliard de dollars dans le REM, un système léger sur rail piloté par la Caisse de dépôt et placement du Québec. Cette somme devrait provenir d’un vaste plan d’infrastructure fédéral, qui prévoit des investissements de 5,2 milliards d’ici 10 ans dans des projets de transports en commun pour l’ensemble du Québec. L’argent pourrait aussi être tiré – en tout ou en partie – d’un fonds sur les infrastructures vertes de 1,8 milliard sur 10 ans. Il est également possible que l’investissement fédéral dans le REM soit fait par la Banque de l’infrastructure du Canada, en train d’être mise sur pied à Toronto. Si tel était les cas, les subsides fédéraux de 1,3 milliard redeviendraient disponibles pour d’autres projets québécois, comme des systèmes rapides par bus ou une extension du métro. L’investissement d’Ottawa dans le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, qui n’a pas encore été chiffré, devrait provenir de la même enveloppe de 5,2 milliards.

Et la ligne rose ?

Le ministre des Infrastructures ne s’est pas avancé sur l’ampleur d’un éventuel investissement fédéral dans la ligne rose. En vertu d’une entente bilatérale conclue entre Ottawa et Québec, le gouvernement fédéral s’est engagé à financer jusqu’à 40 % des coûts de certains projets de transports collectifs (à l’intérieur d’enveloppes prédéterminées, comme celle de 5,2 milliards). Selon les chiffres connus aujourd’hui, la ligne rose pourrait hypothétiquement obtenir un financement fédéral de 2,4 milliards. Dans un document remis à La Presse, le cabinet du ministre Sohi précise les nouveaux critères pris en compte par Ottawa pour analyser les projets de transport qui lui seront soumis. Ottawa cherchera à obtenir une série de « résultats » concrets, incluant une augmentation du taux de croissance économique « de manière inclusive et durable », une réduction des gaz à effet de serre et une amélioration de la mobilité urbaine.

Joly applaudit

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, s’est elle aussi montrée ouverte à collaborer avec Valérie Plante sur une série de dossiers, applaudissant du même coup l’accession d’une femme à la tête de la métropole. « Ce sont de très bonnes nouvelles. Je suis très contente pour Mme Plante, très contente qu’on ait enfin une première mairesse à Montréal, une femme progressiste, ça va me faire plaisir de travailler avec elle sur plusieurs sujets, des arts et de la culture, jusqu’au développement économique, en passant par le logement social. » Mélanie Joly s’était présentée à la mairie de Montréal en 2013 et avait obtenu 26,5 % des voix, contre 32 % pour Denis Coderre.

Couillard reste coi

Philippe Couillard n’a pas voulu se prononcer sur le réalisme du projet de nouvelle ligne de métro mis de l’avant par Valérie Plante, hier, en félicitant la nouvelle mairesse de Montréal pour sa campagne « faite avec le sourire ». Le premier ministre du Québec a promis de rencontrer rapidement l’élue afin de discuter du projet de ligne rose qui était au centre de sa plateforme électorale. « On a beaucoup de projets en cours actuellement, a-t-il fait valoir. Je vais en discuter avec Mme Plante. » Il confirme avoir discuté de « mobilité durable » avec Mme Plante au téléphone. « Ça, pour nous aussi, c’est un projet important. On a plein de gros dossiers en cours actuellement à Montréal et on va les faire avancer. »

— Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

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