VALEUR NUTRITIVE DES ALIMENTS

« C’est très troublant »

« Ça me surprend qu’il y ait des écarts si grands. » Quand elle a su que La Presse faisait tester en laboratoire les valeurs nutritives de cinq aliments, Chantale Arseneau, professeure en technique de diététique au Collège de Maisonneuve, s’attendait à ce qu’il y ait des différences avec les étiquettes des produits. Mais pas de cette ampleur.

« Les aliments sont vivants, alors il y a des variations normales, note Mme Arseneau. Une sauce tomate faite en janvier n’aura pas la même teneur en vitamines que celle faite avec une belle tomate mûre, à la fin de l’été. Mais la quantité de lipides ou de protéines, ça ne devrait pas changer. »

« Ces écarts sont inquiétants pour les gens qui doivent surveiller le sucre ou le sel parce qu’ils sont diabétiques ou souffrent d’hypertension. Ils se fient beaucoup aux étiquettes. C’est très troublant. »

— Chantale Arseneau, professeure en technique de diététique au Collège de Maisonneuve

Mauvaise surprise : afficher sur les étiquettes une différence de plus ou moins 20 % par rapport à la réalité est parfaitement légal. Pour les calories, lipides, gras saturé, gras trans, cholestérol, sucres, polyalcools et sodium, « une marge de tolérance de 20 % s’applique à la valeur nutritive déclarée », confirme le document « Test de conformité de l’étiquetage nutritionnel de l’Agence canadienne d’inspection des aliments » (ACIA).

« C’est évident qu’on ne peut pas arriver précisément, tout le temps, sur la bonne valeur nutritive, fait valoir Christine Jean, vice-présidente responsable des services techniques et réglementaires au Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation (CTAC). Sinon, il faudrait faire des analyses à chacune des productions, puis changer les étiquettes. C’est absolument insensé. Il faut se fier à des moyennes. »

IMPOSSIBLE DE COMPTER CORRECTEMENT LES CALORIES

Sauf que cet écart de plus ou moins 20 % peut faire la différence entre maigrir, stabiliser son poids ou engraisser. Consommer quotidiennement 100 calories de plus que ce que l’on dépense fait prendre de 5 à 15 kg par an, selon un article publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA).

« Compter les calories est peu utile et quelque peu trompeur », tranche Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition publique affilié à l’Université de São Paulo, au Brésil. Trompeur, pourquoi ? « Si on compte les calories, c’est pour contrôler les entrées et les dépenses énergétiques, pour atteindre un équilibre, résume-t-il. Pour y arriver, il faut qu’on ait une information très exacte. Or on sait que les informations nutritionnelles ne sont pas exactes, pour plusieurs raisons, dont le fait que Santé Canada et l’ACIA tolèrent une marge de 20 %. »

DEUX MÉTHODES DE CALCUL

Comment est fait le calcul des valeurs nutritives des aliments ? « Il y a deux façons de le faire, répond Carole Fournier, nutritionniste et présidente d’Étiquetage ACC, une firme d’experts-conseils en étiquetage alimentaire. Soit qu’on envoie le produit en laboratoire, où ils déterminent sa composition nutritionnelle avec différentes méthodes chimiques. Soit qu’on fait le calcul en entrant la recette dans un logiciel, qui se sert d’une base de données. »

Peut-on se fier aux résultats, malgré ceux obtenus par La Presse ? « Je vous dirais que parfois oui, parfois non, tout dépend de la personne qui les fait, ces tableaux de valeur nutritive, estime Mme Arseneau. Les petites entreprises du Québec sont aux prises avec toutes sortes de réglementations, qui leur coûtent cher. Elles n’ont pas toujours les sous pour faire faire les tableaux à l’externe, et pas nécessairement quelqu’un de compétent pour les faire à l’interne. » Pour donner une idée de la complexité de la tâche, le « Guide d’étiquetage et de publicité sur les aliments » de l’ACIA compte… 469 pages.

« L’étiquetage nutritionnel devrait toujours être fait à l’externe, par des professionnels, ce qui améliorerait sa crédibilité, suggère Véronique Provencher, professeure au Département des sciences des aliments et de nutrition de l’Université Laval. C’est sûr qu’il y a un biais potentiel quand ça vient de la personne qui met le produit en marché. »

SE FIER À SES SIGNAUX DE SATIÉTÉ

Que faire, comme consommateur qui ne sait plus où donner de la fourchette ? « Actuellement, plusieurs nutritionnistes valorisent une approche basée sur l’écoute des signaux de faim et de satiété, en tenant compte des préférences alimentaires, indique Mme Provencher. Ça vaut mieux que de se tuer à essayer d’arriver à une balance calorique négative, qui fait qu’on peut tomber dans une spirale obsessive. »

QU’EST-CE QU’UNE CALORIE ?

Étrangement – puisqu’il n’est pas question ici de se préparer un thé –, une calorie, c’est la quantité d’énergie nécessaire pour élever d’un degré Celsius la température d’un gramme d’eau.

Mais comment calcule-t-on la valeur énergétique des aliments ? Incroyable, mais vrai : à l’heure des téléphones intelligents qui estiment le contenu calorique de nos assiettes, on utilise les facteurs d’Atwater, mis au point par le scientifique du même nom à la fin du… XIXe siècle.

• Protéines ou glucides = 4 calories/g

• Alcool = 7 calories/g

• Lipides = 9 calories/g

Ainsi, une tasse de macaroni au fromage contenant 18 g de protéines, 23 g de lipides et 42 g de glucides a une valeur énergétique de 447 calories (18 x 4 = 72 + 23 x 9 = 207 + 42 x 4 = 168), selon un exemple donné par l’ACIA. Les facteurs d’Atwater sont contestés, parce qu’ils ne prennent pas en compte la variabilité dans la digestion, celle apportée par la cuisson, etc.

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