Science Informatique

Barbie et l’informatique

À la mi-novembre, Mattel a dû s’excuser d’avoir inclus dans une bande dessinée un personnage de Barbie qui veut créer un jeu mais dépend de ses amis garçons pour le programmer et même éliminer un virus de son ordinateur. Ce n’est pas la première fois que l’informatique fait scandale au royaume de Barbie : en 2010, la Société des ingénieures des États-Unis avait demandé à ses membres de participer à un sondage sur le prochain métier de Barbie, pour éviter que la présentatrice télé alors en tête dans le sondage ne l’emporte, et de proposer plutôt celui d’informaticienne. Mattel avait calmé le jeu en adoptant les deux suggestions.

— Mathieu Perreault, La Presse

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Un retard créé par les micro-ordinateurs ?

Jusque dans les années 80, la programmation se faisait généralement sur des ordinateurs centraux, nourris par des cartes perforées. Les étudiants en informatique devaient poinçonner leurs cartes et ne bénéficiaient que d’un temps d’accès limité aux terminaux de leur université. La micro-informatique a chamboulé ces pratiques et a permis à chacun d’avoir sa propre unité de programmation, à la maison.

Au même moment, la proportion de femmes parmi les étudiants en informatique, qui augmentait régulièrement, tout comme dans les autres facultés traditionnellement masculines comme le droit, la médecine et les sciences physiques, s’est mise à décliner. Quelques chercheurs ont tenté de comprendre le phénomène dans les années 90 et ont remarqué que les étudiantes de première année étaient souvent surprises de constater que leurs collègues masculins avaient une longueur d’avance sur elles en programmation parce qu’ils avaient passé leur adolescence à programmer chez eux.

Cette thèse vient d’être reprise dans un long reportage de l’émission Planet Money de la radio publique américaine NPR : l’arrivée des micro-ordinateurs serait en partie responsable de la masculinisation croissante de l’informatique depuis 30 ans. L’idée se nourrit également de l’intérêt récent des historiens pour les premières programmeuses des années 40 et 50, quand le secteur du logiciel était essentiellement féminin. The Innovators, le dernier livre du biographe de Steve Jobs, Walter Isaacson, comporte un chapitre sur ces femmes.

« Il est clair que les changements dans l’accès aux logiciels et leur importance grandissante a joué un rôle dans la masculinisation de l’informatique », estime Kurt Breyer, professeur à l’école de commerce de l’Université Berkeley, qui a publié un livre sur l’une des premières programmeuses, Grace Hopper. « L’arrivée des micro-ordinateurs a permis aux garçons de se familiariser très tôt avec la programmation. Ils étaient souvent présentés comme des consoles de jeux, et les jeux d’arcade, c’était le domaine des garçons. D’ailleurs, même la console Atari a suscité des vocations de programmeurs, parce qu’ils voulaient pirater les jeux. »

« Le germe de cette tendance remonte en fait à une décision antitrust de la Cour suprême américaine en 1968, selon M. Breyer. Le jugement a forcé IBM à accepter des logiciels d’autres entreprises sur ses ordinateurs. Ça a lancé le secteur du logiciel, qui s’est épanoui à partir des années 80. L’appât du gain a attiré les hommes. »

À l’époque, les femmes étaient très nombreuses en informatique, selon Karen Panetta, professeure de génie informatique à l’Université Tufts et éditrice du magazine Women in Engineering de l’Institut d’ingénieurs électriques et électroniques (IEEE), la plus importante association nord-américaine du domaine. « Mais elles ne quittaient pas leur grosse entreprise pour se lancer en affaires, comme Bill Gates ou d’autres. Dans les années 70, il était encore difficile pour une femme de ne pas être une mère et une épouse parfaite qui revient à temps pour préparer le souper. Alors ce sont les hommes qui ont profité de l’essor du logiciel pour devenir millionnaires. »

Mme Panetta se souvient qu’à ses débuts en informatique, à la fin des années 80, elle était souvent la seule femme dans ses cours à l’université et elle avait été surprise de constater qu’il y avait beaucoup plus de femmes à l’IEEE, reflétant l’ancienne démographie des départements d’informatique.

Patricia Glenn, la présidente de l’Association canadienne des professionnels des technologies de l’information (CIPS), confirme que l’appât du gain a attiré beaucoup d’hommes dans le secteur dans les années 80. « C’est soudainement devenu un emploi très rentable, explique Mme Glenn depuis Calgary. Le nombre de femmes dans les facultés d’informatique n’a pas diminué, mais elles ont été noyées sous les hordes de garçons qui les ont envahies. »

Neil Stewart, professeur d’informatique à l’Université de Montréal, est sceptique quant à l’avantage que donne aux garçons l’expérience de programmation. « J’étais directeur du département entre 1983 et 1985 et je me souviens très bien d’une année où quatre des cinq meilleurs finissants étaient des femmes », dit M. Stewart, qui pense que la faible proportion de femmes en informatique est due à un « conditionnement social » décourageant les femmes de s’intéresser à la technique. Encore aujourd’hui, la proportion de femmes en informatique augmente de 50 % entre le baccalauréat et les études supérieures (maîtrise et doctorat).

Trois ingénieures en informatique interrogées par La Presse, qui préféraient garder l’anonymat parce qu’elles n’avaient pas l’autorisation de leur employeur pour donner une entrevue, notent qu’à leur arrivée à l’université, les garçons avaient effectivement une longueur d’avance en programmation, en « code ». « C’est rare qu’une fille a sur sa table de chevet un livre d’informatique », note l’une d’entre elles, qui est au début de la quarantaine.

Sa grande sœur, aussi informaticienne, avance que la récession du début des années 80 a pu jouer un rôle. « La majorité de mes amis masculins ont choisi l’informatique parce qu’ils tripaient sur la technologie, dit cette dernière. En contrepartie, la majorité des filles ont fait ce choix pour les perspectives de carrière. Dès qu’on était bonne en maths, l’orienteur nous suggérait l’informatique. […] Les cours d’analyse et de gestion de projets passionnaient les filles alors que les gars tripaient sur le fonctionnement interne d’un ordinateur. Les filles qui choisissent l’informatique aujourd’hui sont des vraies, elles représentent davantage le vrai ratio. »

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