Petite enfance

Témoignages en milieu familial

AU BORD DE L’ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL

Sylvie* est responsable d’un service de garde (RSG) en milieu familial depuis 12 ans. En 2012, elle a dû annoncer aux parents d’un enfant de 4 ans dont elle s’occupait depuis plus de trois ans qu’elle ne renouvellerait pas leur contrat. « Ça a été déchirant, complètement. »

Sylvie éprouvait des difficultés avec Lucas depuis deux ans, de façon périodique. Chaque fois qu’un nouvel ami arrivait à la garderie, Lucas traversait des épisodes difficiles d’un mois, un mois et demi. Le matin, il voulait repartir avec ses parents et faisait des colères qui pouvaient durer de 45 minutes à presque toute la journée.

« Je ne pouvais plus aller à l’extérieur, j’entendais crier toute la journée, je n’avais plus de concentration et mes bébés avaient peur », raconte Sylvie, qui habite en Estrie.

Sylvie a tenté de dialoguer avec l’enfant. Elle l’a invité à faire passer ses colères en jouant seul dans le bureau. Elle a communiqué à plusieurs reprises avec la conseillère pédagogique de son bureau coordonnateur. Elle a même embauché une assistante, mais rien n’y faisait.

Sylvie s’est mise à craindre l’épuisement professionnel. « À un moment donné, je ne dormais plus la nuit, dit-elle. Quand les enfants étaient tous partis, il m’arrivait de pleurer comme un bébé. Ma conseillère pédagogique m’a dit qu’il fallait que je lâche prise. »

Lorsqu’elle leur a annoncé sa décision, Sylvie a senti de la colère chez les parents de Lucas, qui avaient toujours bien collaboré. Et c’est normal, dit-elle.

« Je me disais qu’ils allaient peut-être essayer de trouver une place ailleurs plus rapidement, et c’est ce qu’ils ont fait », dit Sylvie, qui n’a pas eu de nouvelles de Lucas depuis. Elle ne cherche pas non plus à en obtenir. « Pour ma santé, il fallait que je passe à autre chose. »

UN GROUPE DIFFICILE

Ça faisait quelques mois que Thomas, 3 ans, avait des journées plus difficiles à la garderie. La responsable du service de garde (RSG) le signalait à ses parents, mais elle restait vague, soulignant que tout son groupe était difficile. 

Un soir, la RSG a annoncé au père de Thomas qu’elle songeait à ne pas renouveler le contrat de garde. La mère, Martine, s’est sentie trahie. Thomas fréquentait cette garderie de Laval depuis l’âge de 5 mois, et sa grande sœur, âgée de 4 ans, y terminait sa dernière année avant la maternelle. Martine a mis à profit sa formation d’éducatrice spécialisée et a elle-même proposé un plan d’intervention à la RSG pour encadrer les crises et les comportements d’opposition de Thomas. 

Après quelques semaines, Martine a senti que la RSG n’y mettait plus d’efforts. Elle a eu peur de se retrouver le bec à l’eau. « J’étais prise en otage », illustre-t-elle. Elle a donc trouvé une garderie privée qui pourrait accueillir Thomas. Entre-temps, à son grand soulagement, un CPE l’a appelée pour offrir une place à son fils. 

Cette histoire a causé bien du stress et des remises en question à Martine et à son conjoint, qui ont demandé du soutien pour Thomas au CLSC, de peur qu’il soit anormal. « On s’est demandé si on l’élevait comme il faut », dit Martine. Par la suite, elle a su que la RSG avait dit à deux autres parents du groupe qu’elle songeait à ne pas renouveler leur contrat. Martine en a conclu qu’elle était fatiguée.

PARENTS MAUVAIS PAYEURS

Lorsque Julien était bébé, ses parents vivaient une situation précaire sur le plan financier. Sa mère était aux études et son père, qui travaillait dans un centre d’appels, était pris à la gorge par un litige. Ils avaient donc de la difficulté à payer les quelque 100 $ par semaine que demandait la responsable du service de garde de Julien, à Montréal. Après quelques paiements en retard, la responsable a mis fin à l’entente. La mère a trouvé une place pour son fils dans un autre milieu familial, mais le même scénario s’est produit après huit mois. « Je comprends que les RSG ont aussi des factures à payer, mais le gouvernement devrait intervenir pour éviter qu’on en vienne à expulser un enfant », dit le père, François. Julien, 4 ans, fréquente aujourd’hui une troisième garderie, où la RSG se montre plus conciliante en cas de retard de paiement.

QUAND BÉBÉ DEMANDE TROP D’ATTENTION

Aude venait d’entrer à la garderie quand sa RSG a commencé à se plaindre auprès de sa mère, Gysabelle. Selon la RSG, Aude demandait beaucoup d’attention et pleurait lorsqu’elle la laissait dans le parc pour faire la vaisselle. Gysabelle s’est raidie : chez elle, sa fille n’était pas confinée dans un parc. Un matin, après une prise de bec, la RSG lui a dit qu’elle ne prendrait plus sa fille. Gysabelle et Aude ont donc rebroussé chemin. À la maison, Gysabelle a appelé l’Office de la protection du consommateur, où on lui a dit que la RSG était tenue d’honorer son contrat (de quelques mois) jusqu’à la fin. Gysabelle l’a donc rappelée pour lui demander de reprendre sa fille jusqu’à ce qu’elle trouve un autre service de garde, sans quoi elle porterait plainte contre elle. Deux mois plus tard, les parents ont trouvé un milieu de garde familial subventionné qu’Aude, deux ans et demi, fréquente encore aujourd’hui.

PAS D’ALLERGIES DANS MA GARDERIE

Thomas fréquentait une garderie en milieu familial subventionné depuis trois mois lorsqu’il a eu sa première réaction allergique aux arachides. Sa mère, Marie-Pierre, a immédiatement avisé la RSG. Comme cette dernière lui a semblé craintive, elle a elle-même demandé du soutien au bureau coordonnateur, où on lui a remis un dossier d’information sur les allergies. « La RSG m’a dit qu’elle refusait de le lire, que ça lui faisait trop peur, que c’était une question de vie ou de mort et qu’elle ne voulait pas garder mon enfant », résume Marie-Pierre. Elle a téléphoné à une vingtaine de garderies en milieu familial subventionné de sa région (Gatineau) pour demander aux RSG si elles admettraient les enfants allergiques aux arachides. « Seules deux ou trois m’ont dit qu’elles le prendraient si elles avaient de la place », dit Marie-Pierre. Elle a finalement trouvé une place pour ses deux fils dans une garderie en milieu familial privé. Marie-Pierre a porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui a conclu, après un an et demi, que la RSG avait le droit de refuser son fils. « Dans tout ça, personne n’a parlé des droits de mon fils allergique », se désole la maman.

*Certains prénoms ont été changés à la demande des intéressés.

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