Petite enfance

Menacé d’expulsion… à 4 ans

Lorsque Valérie* est venue chercher son fils à la garderie, le 23 octobre, la directrice lui a tendu une lettre. Valérie l’a lue sur-le-champ. On lui annonçait la mise en place d’un « plan de gradation » pour faire face à l’« inconduite » et aux « crises de violence » de son fils, Jaykob, 4 ans.

Valérie devait, à partir de maintenant, venir chercher son fils à la garderie à la moindre manifestation de violence. Si le comportement de son fils ne s’améliorait pas, les heures de service seraient raccourcies, Jaykob serait renvoyé à la maison pendant un jour ou deux après un comportement « perturbateur », et il passerait de temps plein à temps partiel, avec une augmentation du tarif de 35 $ à 45 $ par jour.

« La résiliation du contrat pourrait s’ensuivre », concluait la lettre.

Mère de quatre enfants qu’elle élève seule, en arrêt de travail de surcroît, Valérie voyait mal comment elle pourrait concilier les étapes du « plan » et ses occupations quotidiennes. Et elle ne voyait surtout pas en quoi le plan proposé pourrait aider Jaykob à traverser cette période difficile.

Elle a donc accueilli la lettre comme une façon détournée d’expulser Jaykob. Le lendemain, après un échange acrimonieux avec la directrice, elle a choisi de retirer son fils de ce milieu de garde, de crainte qu’il soit pris en grippe par le personnel.

« J’ai appelé le ministère de la Famille pour savoir si la garderie avait le droit d’expulser un enfant pour un tel motif, et on m’a répondu que non. »

— Valérie, mère de Jaykob

La mère entend porter plainte.

Le ministère de la Famille permet aux garderies en installation (centres de la petite enfance et garderies privées) de résilier une entente de service pour trois raisons : le non-paiement des sommes dues, des comportements inacceptables du parent ou des besoins particuliers de l’enfant auxquels la garderie ne peut répondre. Ces « besoins » peuvent découler de comportements qui mettent « sérieusement » en danger la santé, la sécurité ou le bien-être des autres enfants ou des adultes qui travaillent auprès de  lui.

DERNIER RECOURS

Avant d’invoquer le troisième motif, la garderie doit mettre en place un plan d’intervention en collaboration avec le parent afin d’aider le tout-petit. L’expulsion, avise le Ministère, doit être le « dernier recours ».

Les cas de renvoi pur et simple sont d’ailleurs rares, confirment tous les intervenants à qui nous avons parlé. Ils surviennent surtout en cas de non-paiement ou lorsque le parent refuse de collaborer avec le personnel. Souvent, comme ce fut le cas avec Valérie, la simple menace d’expulsion crée une rupture de confiance qui incite le parent à chercher un autre endroit.

Quant aux garderies en milieu familial, les responsables de service de garde (RSG) – considérées comme des commerçantes au sens de la Loi sur la protection du consommateur – ne peuvent non plus résilier une entente de service avec un parent sans motif « sérieux ». Par contre, elles peuvent ne pas renouveler le contrat, et ce, sans règles particulières. Les contrats durent souvent quelques mois, comparativement à un an dans les garderies en installation.

« Ce qui se passe beaucoup, en ce moment, c’est ça : on dit au parent que, si le comportement de son enfant ne change pas, on ne renouvellera pas son contrat. »

— Hélène Fagnan, coach familiale

RESSOURCES ÉPUISÉES ?

Jointe par La Presse, la directrice de l’ancienne garderie de Jaykob, située dans la couronne nord de Montréal, a souligné à plusieurs reprises que le garçon, qui fréquentait cette garderie d’une trentaine d’enfants depuis un an, n’a pas été expulsé, que c’est sa mère qui a choisi de le retirer. Elle a aussi dit que le garçon posait des problèmes « depuis le début », mais n’a pas souhaité préciser lesquels.

Plus tard, le propriétaire de la garderie a rappelé La Presse. Le personnel, a-t-il dit, avait mis en place « une vingtaine de mesures » (tableaux de motivation, retraits, etc.) pour aider Jaykob. La direction s’est aussi tournée vers le CLSC pour obtenir le soutien d’une éducatrice spécialisée, mais on leur aurait dit que seuls les CPE avaient droit à ces services.

« Nous avions épuisé toutes les ressources, à l’interne comme à l’externe », a-t-il dit. Le plan de gradation permettait au personnel d’assumer sa « responsabilité de protéger les autres enfants ».

Valérie est catégorique : Jaykob n’avait que depuis trois semaines, et de façon intermittente, ce comportement agressif – grosses crises, coups de pied aux amis et au membre du personnel, etc. Des échanges de messages texte dans lesquels la directrice et Valérie s’interrogent sur le changement de comportement de l’enfant le confirment.

« Si ça avait été son frère aîné, qui défiait souvent l’autorité, ça m’aurait moins étonnée, mais Jaykob n’a jamais été problématique, dit Valérie. C’est vraiment un comportement qui a changé du jour au lendemain. »

Ces crises ont apparu un mois environ après son changement de local et d’éducatrice et le départ de son grand frère pour la maternelle. « Il devait vouloir s’exprimer sur quelque chose, mais il n’était pas capable. Il a 4 ans. »

Toute cette histoire a causé beaucoup de stress pour Valérie. Heureusement, dit-elle, grâce à l’aide d’une travailleuse sociale, Jaykob a rapidement trouvé une place en CPE. Et tout s’y passe très, très bien, assure sa maman.

*Certains prénoms ont été changés à la demande des intéressés.

67 PLAINTES EN 2 ANS

Du 20 novembre 2012 au 20 novembre 2014, le ministère de la Famille a reçu 67 plaintes de parents pour l’expulsion d’une garderie privée (41) ou d’un CPE (26). L’Office de la protection du consommateur, qui accueille notamment les plaintes contre les garderies familiales non-subventionnées, a reçu depuis avril environ 130 plaintes concernant des services de garde, toutes natures confondues.

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