Questions des lecteurs

Les journalistes vous répondent

Comment trouver des sujets ? Les sources des journalistes sont-elles rémunérées ? Comment s’assurer de la crédibilité d’un informateur ? Notre équipe répond aux questions que vous leur avez posées lors d’un récent appel à tous.

Qui a le droit de se dire « journaliste » ? Quel est le parcours de formation et de scolarité que doivent acquérir les professionnels du métier ?

— Jean Gérard

Les avocats doivent réussir l’examen du Barreau. Les chirurgiens ont tous étudié en médecine. Les journalistes ? C’est différent. Les cégeps et universités offrent des programmes spécialisés en communications. Le diplôme n’est toutefois pas obligatoire pour exercer la profession. À La Presse, il y a des reporters diplômés en droit, en génie, en marketing, en théâtre, etc. Et c’est tant mieux. La diversité de leurs parcours multiplie les champs d’expertise. Tous ont en commun d’être curieux, fonceurs et bons communicateurs. Maintenant, qui peut prétendre au titre de journaliste ? C’est un grand débat. Allons-y avec la définition la plus reconnue, celle de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui qualifie de journaliste « toute personne qui exerce une fonction de journaliste pour le compte d’une entreprise de presse ». 

— Alexandre Pratt, directeur de l’information

Lorsque vous avez trouvé un sujet, un filon, quelles sont les étapes à suivre pour aboutir à un article final ?

— Jean Marceau

Il faut d’abord vérifier si le filon est bon. Quand on a un carnet de sources bien garni, c’est utile. Mais attention : on ne crie pas sur tous les toits ce sur quoi on travaille ! L’objectif ici est de s’assurer que l’on est sur la bonne voie, que les informations sont fondées. Consulter les collègues est utile. Une recherche doit être entreprise pour connaître l’historique du sujet. Il faut faire des entrevues pour appuyer le contenu du reportage, ce qui implique parfois de convaincre des gens de parler. Mais ce que l’on nous dit est-il exact ? On doit contre-vérifier ! Il ne faut pas avoir peur des informations qui apportent des nuances. Il faut donner la possibilité à la personne ou au groupe visé par le reportage de donner sa version. Reste la dernière étape, souvent la moins longue, contrairement à ce que l’on peut penser : rédiger le texte.

— Tommy Chouinard, correspondant parlementaire à Québec

Pour monter le dossier concernant Jean-Claude (Giovanni) Apollo, combien de personnes et de jours a-t-il fallu pour en arriver à tout ce que vous nous avez écrit ?

— Mireille Villeneuve

Il m’a fallu une dizaine de jours. Un lecteur m’a appelée après la diffusion d’un reportage de Radio-Canada, le 3 novembre, faisant état d’allégations de harcèlement sexuel visant M. Apollo. Ce lecteur avait le pressentiment que le chef vedette du petit écran roulait son public… dans la farine ! Il avait raison. J’ai effectué un travail de vérification des faits, avant d’interviewer M. Apollo en compagnie du photographe François Roy. Mes patrons Florence Turpault-Desroches, Martin Pelchat et Alexandre Pratt m’ont conseillée lors de la rédaction, tout comme l’avocat de La Presse, Patrick Bourbeau. Le reportage a été publié le 16 novembre. 

— Isabelle Hachey, reporter

Comment faites-vous pour dénicher vos informateurs ? Est-ce que ce sont eux qui vous contactent, ou si une personne source vous réfère à une autre ?

— Célyne Seymour

Ces deux options sont bonnes, mais une troisième est d’aller au-devant des éventuelles sources, directement ou par personne interposée, pour les recruter. La plupart du temps, une source ne devient pas une source du jour au lendemain ; il y a un lien de confiance à créer de part et d’autre. Le plus dur est d’entretenir la relation, de façon sécuritaire, par surcroît. Depuis « l’affaire Lagacé », une loi visant à protéger les sources journalistiques a été adoptée et une commission a eu lieu, mais je crois que la meilleure protection pour une source est le journaliste lui-même, la façon dont il écrit – ou parfois n’écrit pas. Pour moi, la source est plus importante que n’importe quel scoop. 

— Daniel Renaud, reporter

Est-ce que les médias paient leurs sources qui sont employées d’organismes publics pour avoir des informations sensibles et d’apparence d’intérêt public ?

— Denis Tremblay

Les journalistes ne paient jamais leurs sources pour de l’information, même si elle est hautement sensible et d’intérêt public. En plus de créer une apparence de conflit d’intérêts, le fait de rémunérer une source risquerait de distordre l’information que cette dernière souhaite transmettre. Au Québec, le Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ), dont sont membres tous les journalistes de la rédaction de La Presse, le proscrit explicitement. Le code déontologique du Conseil de presse du Québec l’interdit aussi, mais précise que des cachets peuvent être versés « à des experts ou des commentateurs invités ». La situation est cependant différente aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où les personnes au centre de grandes polémiques sont parfois rémunérées lorsqu’elles accordent des entrevues ou des séances photo à un média en exclusivité. 

— Tristan Péloquin, reporter

Comment vérifiez-vous les faits, données et chiffres ? Avez-vous des « vérificateurs » ayant seulement cette fonction ? 

— Marilou Légaré

Bien qu’il n’y ait pas de « vérificateurs » strictement attitrés à cette fonction, la vérification des faits et des données échoit à plusieurs personnes dans la chaîne de production. D’abord, les chefs de division et directeurs de chacune des sections approuvent les articles, qui sont ensuite acheminés au pupitre. À cette étape, les textes passent entre les mains des réviseurs linguistiques, puis sont pris en charge par des journalistes au pupitre, qui rédigent les titres, les légendes des photos et les exergues. Ce sont essentiellement ces derniers qui sont responsables des vérifications d’usage (orthographe des noms, validation des faits, révision des chiffres et données, etc.) et qui communiquent avec les journalistes pour effectuer des ajustements au besoin. La communication entre les reporters et les journalistes au pupitre est cruciale. Une fois tous les éléments mis en écran, une ultime correction est confiée aux réviseurs linguistiques. L’approbation des chefs de pupitre complète le cycle. 

— Marie-Claude Mongrain, chef de pupitre

Comment les journalistes font-ils pour vérifier que les sources des nouvelles sont vraiment fiables ?

— Hélène Blain

Si les journalistes doivent protéger leurs sources, ils doivent aussi s’assurer de leur crédibilité. Avant de publier une information, nous devons toujours la vérifier en la validant auprès d’autres sources, indépendantes les unes des autres. Règle générale, lorsque des sources anonymes sont en jeu, les journalistes doivent en avoir un minimum de trois différentes avant de publier l’information. Pour toutes sortes de raisons, certains dossiers exigent davantage de sources encore. Dans leur enquête sur Éric Salvail, mes collègues ont parlé à quelque 40 sources et ont publié les témoignages de 11 d’entre elles. Dans un souci de crédibilité, La Presse encadre par une série de règles l’utilisation des sources confidentielles par ses journalistes. En voici trois : « L’utilisation de la source anonyme ou de témoignages anonymes est un dernier recours et devrait être exceptionnelle. On doit tout faire pour vérifier la véracité des faits évoqués par la source. Au lecteur, on doit expliquer pourquoi on a accordé l’anonymat et en quoi la source est crédible. »

— Gabrielle Duchaine, reporter

On trouve régulièrement des articles qui rapportent les résultats d’une étude scientifique. Comment faites-vous pour déterminer la valeur de ces études ?

— Frédéric Quesnel

La première étape est de cibler des revues scientifiques avec comité de révision (peer review) parmi les plus réputées, comme Science, Nature, JAMA ou le New England Journal of Medicine. Il existe également une classification de l’importance des revues appelée « facteur d’impact », mais je ne l’utilise que pour des études controversées dans des revues moins connues. Ensuite, on peut vérifier si les résultats sont statistiquement significatifs, c’est-à-dire qu’ils ont moins de 5 % de risque d’être dus au hasard (le « 19 fois sur 20 » des sondages). On peut interroger les auteurs sur des facteurs confondants dont ils n’ont pas tenu compte, en utilisant le gros bon sens ou alors en lisant la section « discussion » des études, qui souligne souvent les faiblesses relevées par les réviseurs. Enfin, on peut demander des commentaires‎ aux auteurs d’autres études sur le sujet, qui sont généralement citées par l’étude.

— Mathieu Perreault, reporter

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