CHRONIQUE

La télépolitique

Cette semaine, j’avais l’impression de vivre au Brésil ou en Argentine, où les débats politiques prennent souvent les accents mélodramatiques de telenovelas, ces feuilletons quotidiens dont raffolent les pays d’Amérique latine.

Nous avons eu droit à une version bien québécoise de cette confusion des genres quand la productrice Julie Snyder, pleurs à l’appui, a dénoncé une mesure fiscale du gouvernement Couillard défavorable à sa boîte, Productions J, qui la forcerait à abandonner la production télévisuelle.

Si on prend un peu de recul, cette sortie avait quelque chose de surréaliste. Une productrice – incidemment conjointe du chef de l’opposition – se plaint d’une mesure fiscale du gouvernement qui pénalise ses émissions – incidemment diffusées sur le réseau que contrôle son conjoint – et en profite pour dénoncer le premier ministre – incidemment encore, le principal adversaire de son conjoint.

Faut-il s’en étonner ? Julie Snyder, une productrice de grand talent, a donné ses lettres de noblesse à la téléréalité au Québec, avec Occupation Double, Star Académie et La Voix. Son conjoint et futur mari, Pierre Karl Péladeau, maintenant chef de l’opposition, est l’actionnaire de contrôle de la chaîne de télé qui a bénéficié de l’énorme succès commercial de ces téléréalités. Il était prévisible que cette culture déteigne sur la nouvelle carrière de M. Péladeau. On a vu des signes depuis son arrivée en politique. Le couple Péladeau-Snyder est le seul acteur du monde politique vraiment « people » que le Québec a connu, comme on le verra sans doute encore à l’occasion de son mariage à la mi-août.

Cela comporte le risque, si on ne fait pas attention, que le devenir politique du Québec soit traité comme un gros Occupation Double. La sortie de cette semaine, avec son mélange des genres, nous en rapproche encore un peu.

Pendant des années, le dossier dont parle Julie Snyder n’avait rien de politique. Il était purement fiscal. Depuis environ 25 ans, il existe un programme d’aide à la production indépendante qui, par définition, s’adresse aux producteurs indépendants des réseaux de distribution. Une indépendance qui se mesure de diverses façons, dont les liens familiaux et conjugaux. Ce n’est pas une mesure sexiste, mais un critère que l’on retrouve dans plusieurs mesures fiscales et dans les règles de gestion des conflits d’intérêts.

Tout indique que l’application de ce critère aux Productions J, quelques années après que Julie Snyder et Pierre Karl Péladeau sont devenus des conjoints, n’était pas politique, mais plutôt une décision bureaucratique reposant sur l’interprétation stricte des règles. C’est agaçant, parce que Productions J, une boîte indépendante, perdait ses avantages fiscaux même si elle faisait la même chose qu’avant en raison des choix conjugaux de Julie Snyder. Par contre, on peut légitimement se demander si, au fil des ans, ces liens conjugaux n’ont pas donné à Productions J un statut que n’ont pas les autres producteurs vraiment indépendants. Bref, c’est un dossier qui n’est pas noir et blanc et qui aurait pu être traité avec finesse.

Ce n’est pas ce qui est arrivé. Le gouvernement de Pauline Marois, juste avant les élections, en 2014, sans dire un mot, a modifié la règle pour une seule personne, Julie Snyder, comme par hasard grande alliée du gouvernement dans le dossier de la charte et comme par hasard conjointe du candidat-vedette du PQ. Un cas de favoritisme assez grossier. C’est à ce moment que le dossier fiscal s’est politisé.

La décision du gouvernement Couillard de revenir à l’application stricte de la règle devenait forcément, elle aussi, politique. Elle ne repose certainement pas seulement sur le purisme fiscal et ressemble à un règlement de comptes politique. Mais j’y vois aussi un calcul : illustrer la confusion des genres qui caractérise la démarche politique du chef péquiste.

Ça a marché. M. Péladeau a qualifié la mesure fiscale de sexiste et a dénoncé la « mesquinerie » du gouvernement Couillard. Ce faisant, il ne défendait pas seulement sa conjointe, mais aussi un modèle d’affaires qui a largement profité au réseau dont il est toujours actionnaire de contrôle. Encore une fois, en mélangeant politique, vie personnelle et business, il ne s’est pas astreint au devoir de réserve qui s’imposait et il nous a entraînés un peu plus loin dans le monde de la télépolitique.

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