À quoi rêvent les Québécois ?

La lutte contre la pauvreté, le projet politique qui fait rêver

QUÉBEC — Certains rêvent de voir les politiciens rendre le Québec plus riche, d’autres d’en faire un pays. Mais lorsqu’on sonde les Québécois sur le projet qui frappe leur imaginaire, un seul se démarque : mettre fin à la pauvreté.

Un sondage CROP réalisé pour La Presse est sans équivoque. Presque 40 % des répondants considèrent que l’élimination de la pauvreté est le projet politique qui les fait davantage rêver. C’est loin devant la création de la richesse (18 %), l’amélioration de l’environnement (16 %) et la souveraineté (11 %).

Le résultat de notre enquête sidère Bertrand Castonguay, directeur général de la Société Saint-Vincent-de-Paul (SSVP) de Montréal. Jamais il n’aurait cru que quatre Québécois sur dix rêvent d’éliminer la pauvreté.

« Depuis cinq ou six ans, il y a eu la récession et la crise économique, observe-t-il. Et on parle depuis des mois d’austérité et des programmes du gouvernement Couillard. Si on avait fait le même sondage il y a seulement sept mois, je ne pense pas qu’on aurait eu le même résultat. »

Règle générale, les politiciens et les médias parlent peu de la pauvreté, dit M. Castonguay. La seule exception vient en décembre, lors des guignolées du temps des Fêtes.

Cela ne veut pas dire que les démunis n’utilisent pas les services de la SSVP le reste de l’année. Bien au contraire.

Le quart des Montréalais – près de 500 000 personnes – vivent sous le seuil de la pauvreté. Bon nombre de personnes peinent à joindre les deux bouts même s’ils occupent un emploi. À preuve, 11 % de la clientèle de la SSVP est formée de travailleurs, une proportion qui ne cesse d’augmenter, selon Bertrand Castonguay.

Le fond catholique y est pour quelque chose dans la préoccupation à l’égard de la pauvreté, convient l’analyste Youri Rivest, de CROP. Mais à ses yeux, le résultat est surtout conditionné par les craintes des Québécois à l’égard de leur propre précarité.

« Ce qu’on voit depuis plusieurs années, c’est qu’il y a une réelle préoccupation économique chez les Québécois, notamment à l’égard de leurs finances personnelles, constate M. Rivest. Et maintenant, c’est transposé aux finances de l’État. »

En décortiquant le sondage, Serge Petitclerc, du Collectif pour un Québec sans pauvreté, constate que les résidants des régions, les femmes et les personnes moins scolarisées ont davantage tendance à vouloir éliminer la pauvreté. Ces groupes sont justement plus susceptibles d’avoir du mal à joindre les deux bouts, observe-t-il.

Bon nombre de Québécois ont un cousin, un ami ou une connaissance qui peine à équilibrer son budget. Après tout, entre 10 % et 15 % de la population compose avec un revenu faible.

AVERTISSEMENT

Pour plusieurs, le sondage recèle un avertissement important pour le gouvernement Couillard, qui a fait de la réduction des dépenses de l’État sa priorité depuis son élection.

« Le déficit zéro, ce n’est pas nécessairement un projet de société très stimulant, dit M. Petitclerc. Les gens s’attendent à mieux de leur gouvernement. Ils s’attendent à mieux de leurs élus en général, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Ils rêvent d’un monde meilleur. »

« Les gens ne sont pas fous, renchérit Françoise David, porte-parole de Québec solidaire. Les Québécois sont de plus en plus conscients de ce fameux 1 % qui se sauve avec la caisse pendant que les autres doivent subir les mesures d’austérité. »

À ses yeux, le gouvernement libéral doit non seulement renoncer à ses compressions budgétaires, mais aussi bonifier les programmes d’aide aux démunis.

« Tout ça coûte beaucoup de sous, mais c’est un super bon investissement, dit-elle. Moins il y a de gens pauvres dans une société, plus une société fonctionne bien, plus elle est paisible. Les gens qui sortent de la pauvreté paient des impôts et contribuent à l’économie. C’est tout bénéfice. »

PROGRÈS MINCES

Les gouvernements péquistes et libéraux ont accompli certains progrès au cours de la dernière décennie, conviennent les spécialistes. Des mères monoparentales ont réussi à sortir de la précarité grâce à divers crédits d’impôt et aux garderies à contribution réduite.

Or, la crise économique de 2007-2008 a effacé une bonne partie de ces avancées. Les statistiques démontrent que la proportion de Québécois à faible revenu était la même en 2011 qu’en 2002.

« Il y a eu des bonnes intentions, il y a eu des programmes, convient Céline Bellot, chercheuse à l’Université de Montréal et présidente du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion. On sait qu’il y a eu une amélioration de la situation des familles. Ce qui reste, le creux de la pauvreté qui reste, c’est les populations seules, notamment les hommes seuls. Ce sont ceux pour qui on a eu le moins de réduction de la pauvreté. »

QUEL PROJET POLITIQUE VOUS FERAIT DAVANTAGE RÊVER ?

Mettre fin à la pauvreté : 39 %

Créer de la richesse : 18 %

Réaliser la souveraineté : 11 %

Faire du Québec une société innovatrice : 16 %

Améliorer l’environnement : 16 %

MÉTHODOLOGIE

À la demande de La Presse, la firme de sondage CROP a mené un sondage en ligne sur les rêves et aspirations des Québécois. En tout, 1011 répondants ont rempli un questionnaire soumis via un panel web. La collecte de données en ligne s’est déroulée du 3 au 5 mars 2015.

Sources : CROP, Société Saint-Vincent-de-Paul de Montréal, Statistique Canada

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