Opinion

Québec traîne, les jeunes trans souffrent

Combien de temps réfléchissez-vous avant de cocher la case « homme » ou « femme » sur un formulaire ?

À l’automne 2014, Émilie** a perdu 20 précieuses minutes de son examen d’entrée au secondaire à décider quelle case le surveillant s’attendait à ce qu’elle coche.

Émilie est transgenre. Lorsqu’elle a passé cet examen, elle vivait comme une fille depuis quatre ans.

Pourtant, près de deux ans plus tard, son acte de naissance indique encore qu’elle est un garçon.

Souhaitant reconnaître directement l’impact quotidien désespérant de l’attribution d’un genre erroné sur un acte de naissance, l’organisme montréalais Enfants transgenres Canada a soumis cette semaine une pétition au gouvernement provincial afin qu’il donne aux jeunes trans le droit de modifier leur identité de genre sur ce document crucial. C’est aussi pourquoi Québec solidaire a introduit son propre projet de loi qui, s’il est adopté, mettra en œuvre cette réforme des plus urgentes.

Depuis trois ans, Enfants transgenres Canada, seul organisme national à soutenir les enfants transgenres et leurs familles, a vu le nombre de parents et de jeunes ayant recours à ses services exploser. Or, ce n’est pas parce qu’il y a plus d’enfants trans que dans le passé, mais parce qu’une nouvelle génération de parents affirme l’identité et l’expression de genre de ses enfants plutôt que de chercher à les supprimer.

BIEN-ÊTRE PSYCHOLOGIQUE

Pendant des décennies, la communauté des psychiatres, des psychologues et des pédiatres a considéré la non-conformité sexuelle chez les enfants comme un « trouble » qui devait être soigné. Toutefois, les plus récentes études donnent à penser que cette approche est non seulement incorrecte, mais qu’elle peut être dangereuse. D’ailleurs, les jeunes transgenres ayant l’appui de leurs parents affichent un niveau de bien-être psychologique similaire à celui de leurs pairs cisgenres (non trans).

Mais le soutien parental ne constitue qu’une partie de la solution. En effet, les parents seuls ne peuvent changer le fait que 41 % des transgenres tentent de se suicider à un moment de leur vie. En tant que parents, nous avons besoin de l’aide de notre communauté et de nos élus pour mettre fin à la discrimination sociale qui continue de miner le bien-être de nos enfants.

Manon Massé, de Québec solidaire, a récemment attiré l’attention sur la marginalisation et la stigmatisation sociales dont souffrent les enfants et les jeunes trans. Comme elle l’a souligné, ceux-ci courent un plus grand risque d’intimidation et de harcèlement à l’école que presque n’importe quel autre groupe de jeunes marginalisés dans notre société.

Pourtant, sans directives claires du ministère de l’Éducation, les arrondissements scolaires continueront de proposer des solutions temporaires, ou pire, d’exiger une lettre d’un avocat avant d’accepter de changer l’identité de genre d’un enfant inscrit à l’école.

Il est tout aussi important que le gouvernement adopte immédiatement une loi qui permettra à nos enfants de modifier leur identité de genre sur leur acte de naissance. Cette réforme législative a d’ailleurs déjà été mise en œuvre dans plusieurs provinces canadiennes, dont la Colombie-Britannique, l’Alberta, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse. Pourtant, malgré de multiples requêtes soumises au gouvernement libéral afin qu’il introduise une législation semblable, nos enfants attendent toujours.

Ma propre fille, âgée de 10 ans, passera son examen d’entrée au secondaire à l’automne 2017. En voyant Émilie et tant d’autres enfants et jeunes trans entreprendre le périlleux passage au secondaire, je m’inquiète constamment de ce qui nous attend.

Si le gouvernement est disposé à déposer et à adopter une telle législation à temps, mon enfant ne devra pas subir ce qu’Émilie a subi. Dans les semaines à venir, je presserai donc le gouvernement libéral d’ajouter à son programme de lutte contre l’homophobie en instaurant l’un des plus puissants outils disponibles afin de protéger les enfants et les jeunes transgenres : le droit d’affirmer leur identité de genre sur leur acte de naissance.

*Également directrice de l’Institut Simone De Beauvoir de l’Université Concordia

**Émilie est un pseudonyme.

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