Luc Dionne

Écrire District 31

Il faut une discipline de fer pour écrire une quotidienne comme District 31. Luc Dionne, l’auteur d’un des plus grands succès de la télévision québécoise, nous raconte comment il crée les histoires policières qui attirent plus de 1 million de téléspectateurs tous les soirs. Son secret ? Du travail. Beaucoup de travail.

Sa routine de travail

« Je me lève à 4 h 30, 5 h, je me fais un café, je lis les journaux. Je suis collectionneur de montres, alors, avant de commencer à écrire, je fais le tour de mes sites de collectionneur. Quand je me mets au travail, c’est comme si je rentrais au poste de police. Je commence à 5 h 30. C’est l’heure que je préfère. Vers 8 h 30, je vais rejoindre ma conjointe Annie à la cuisine. On jase un peu, puis je reviens travailler jusqu’à l’heure du lunch. J’écris tout l’après-midi, jusqu’au souper. Le soir, je mange souvent en regardant District 31 pis là, je chiale contre tout : j’haïs ce que j’écris, je trouve ça nul à chier, je ne suis jamais content…

« Ensuite, je retourne écrire jusqu’à 21 h environ. Quand ça me prend une minute pour écrire deux mots, je comprends que c’est l’heure d’arrêter et d’aller faire dodo. Je tiens ce rythme-là six jours par semaine, des fois six et demi. Quand j’ai bien écrit, j’ai congé le samedi après-midi et le dimanche. Je termine la saison en mars, je vais reprendre fin mai, début juin. »

Écrire une quotidienne

« J’ai écrit plusieurs séries [Omertà, Blue Moon…] ainsi que des films [Monica la mitraille, Aurore, L’enfant prodige]. L’écriture d’une quotidienne, c’est pas mal la même chose. C’est la discipline qui est différente. Je dois livrer de 37 à 39 pages par jour, 4 jours par semaine, donc de 150 à 160 pages fois 30 semaines. Il n’y a personne qui peut comprendre ce que ça représente, à part Fabienne Larouche et ma conjointe Annie [Létourneau], qui le vit avec moi. Elle m’aide beaucoup ; elle est vraiment la moitié de mon cerveau. Quand je termine un épisode, je le lui envoie, elle me relit, m’indique les coquilles, les répétitions. Elle me corrige, mais elle est surtout ma mémoire. C’est elle qui est garante de tout ce qui s’appelle District 31, qui se souvient du nom d’un personnage, de l’âge d’un autre. Sans elle, je ne serais pas capable de faire ça. Sinon, c’est trop… 160 pages, c’est du sport ! On tourne quatre épisodes par semaine, la machine te pousse. Tu ne peux pas arrêter. Ça m’est arrivé une fois, rendu au mercredi, de me dire : “Je scrappe tout ce que j’ai écrit, j’ai une meilleure idée.” J’ai tout jeté et j’ai recommencé. Mais quand tu écris une quotidienne, tu ne peux pas te permettre de faire ça souvent.

« Quand Fabienne a lu mes premiers textes, elle m’a appelé et m’a dit : “C’est excellent, mais si tu continues avec le nombre de personnages que tu as mis dans un épisode, on va faire à peu près huit semaines et on n’aura plus d’argent.” [rires] Quand je suis dans un creux, Fabienne m’aide beaucoup. Elle m’appelle plus souvent parce qu’elle sait que je suis dans les sables mouvants. Quand je suis découragé, elle sait exactement ce que je ressens. »

La police

« L’an dernier, quand on parlait beaucoup des problèmes du SPVM dans l’actualité, il y avait une synchronicité avec ce que je faisais. Moi, ces problèmes-là, je les connaissais depuis deux ou trois ans. Alors quand j’ai commencé à écrire District 31, je me suis dit : “Tiens, on va mettre ça là-dedans, les guerres de gang…” Est-ce que cette synchronicité était voulue ? Est-ce que, parce que l’histoire était en ondes à la télévision, les gens ont décidé de sortir ? Je ne sais pas, je ne peux pas répondre pour eux… […] Être policier, c’est un métier difficile. Les relations de travail sont difficiles. Moi, ce sont les problèmes dans ce milieu-là, comme l’abus de pouvoir par exemple, qui m’interpellent et me font écrire. Ce sont les zones grises de l’être humain qui m’intéressent. Le reste, c’est accessoire.

« Au tout début de District 31, on a fait une lecture avec les comédiens. Après deux minutes, j’ai tout arrêté et je leur ai dit : “Bon, je suis content, vous savez lire, ça me rassure. Mais on va arrêter ça parce que ça ne sert à rien. À la place, je vais juste vous expliquer c’est quoi une police et comment ça marche dans la police. Moi, quand j’écris mes textes, j’écris l’équivalent de ‘Passe-moi le beurre’. Si vous commencez à jouer ça, ça ne marchera jamais. C’est pas fait pour être joué, c’est fait pour être incarné.” Je leur ai donné une copie du film Polisse de Maïwenn et je leur ai dit : “C’est exactement ça que j’ai écrit.” Ils l’ont regardé et ils ont compris et ils l’ont fait. Et ça a donné le ton de la série. »

Ses sources

« Quand on écrit une série, on a la prétention de décrire un univers. Il faut que tu connaisses cet univers par cœur. Moi, je ne suis pas une police, même s’il y avait des policiers dans ma famille. Je ne suis pas un procureur. Je regarde ce qui se fait, j’observe. Des fois, j’ai besoin de parler à un policier pour un détail hyper précis, pour que ça respecte la réalité, tout en étant conscient qu’on fait de la télé. Faut pas devenir fou non plus. J’ai plusieurs personnes que je peux appeler : une pour les procédures, une pour les renseignements, des cas de sentence, pour me faire expliquer comment ça fonctionne…

« Quant au reste, ce sont des traits de personnalité, des détails que j’ai retenus au fil des ans. Par exemple, un enquêteur m’avait dit un jour : “Moi, à cause de mon métier, dans la vie, je suis hyper suspicieux de tout ce qui se passe dans la maison. Je ne crois jamais ce qu’on me dit. ” J’ai retenu ça, c’est un trait de caractère comme la façon dont les gens s’habillent, la condescendance d’une section de la police par rapport à une autre. Comme les gens du crime organisé qui se sentent un peu au-dessus de tout le monde… [rires] »

L’émotion

« Pour être capable de raconter une histoire, il faut que je puisse la ressentir au plus profond de moi-même. Pour qu’une scène d’émotion soit bonne, faut que je braille. Si je ne la braille pas, c’est pas bon. Souvent, Annie va descendre et me trouver en train de pleurer devant mon ordinateur. »

La mort de Nadine

« C’est un personnage auquel j’étais très attaché. Il y avait beaucoup de moi dans Patrick Bissonnette [joué par Vincent-Guillaume Otis] et il y avait beaucoup de moi dans Nadine. Les défauts de Patrick et les défauts de Nadine ressemblaient aux miens. Et ils avaient le genre de relation que j’idéalise un peu.

« Pour toutes sortes de raisons, il y a donc la moitié du personnage qui m’appartenait et l’autre moitié qui appartenait à la comédienne qui l’incarnait, Magalie Lépine-Blondeau. C’est elle qui a fait quelqu’un de Nadine, avec ses mimiques, ses réactions. Je ne connais pas Magalie, on s’est vus cinq ou six fois. Mais elle et moi, on partageait cette Nadine-là. Magalie voulait faire autre chose dans sa carrière et il faut respecter ça au plus haut point. Mais j’ai trouvé ça dur de laisser partir un personnage qui a marqué la série. Se détacher des personnages qui t’habitent, c’est pas simple, il y a un deuil à faire. Quand j’ai écrit la scène de sa mort, c’était extrêmement violent. Je me souviens, ma mère était à la maison. Je me suis assis à la table pour souper et Annie et elle m’ont regardé et se sont dit : “O.K., il ne faut pas lui parler…” Je n’ai pas été capable de lever la tête du repas. Elles savaient que j’écrivais cette scène. Il y a eu un immense respect de leur part. Sur le coup, c’était hyper difficile, mais, après ça, c’est fait et on passe à autre chose. »

Le succès

« Depuis Omertà, je n’ai jamais ressenti un tel buzz pour quelque chose que j’ai fait. Tout le monde m’en parle. Un jour, je partais en voyage avec des amis. On est à l’aéroport et j’entends : “M. Luc Dionne est demandé au comptoir d’Air Canada.” J’arrive et la dame me demande : “Est-ce que Nadine est vraiment morte ?” Une autre fois, j’étais au resto avec une amie et à la table derrière moi, des policiers parlaient de District 31. Mon amie m’a dit : “Tu te rends compte qu’ils parlent depuis une heure de gens qui n’existent pas ?”

« Pour être capable de gérer le succès, il faut que tu sois capable de gérer l’insuccès. Tu ne travailles pas moins fort quand tu fais un flop. Tu travailles en chien pour faire un flop et s’il y avait une recette, tout le monde la ferait. Il faut prendre le succès avec un grain de sel. Oui, on a des bons chiffres, mais un jour ce sera moins bon. Et un jour, ça va finir. 

« Faut remettre ça dans son contexte. Si c’est bon, c’est aussi parce qu’il y a une gang qui a de l’expérience derrière ça. Il y a une productrice qui fait ça depuis 20 ans et qui connaît la machine et ce qu’elle est capable de faire. Il y a des réalisateurs incroyables, comme Rafaël Ouellet, qui emmènent ton texte plus loin. Il y a des techniciens qui connaissent leur métier et des acteurs incroyables qui ont du plaisir à travailler ensemble. Et tous ces gens-là ne s’assoient pas sur leurs lauriers, ils poussent toujours plus loin. Je vais écrire District 31 jusqu’à ce que je me tanne. Pour l’instant, j’ai beaucoup de plaisir à le faire. Mais si quelqu’un m’avait dit il y a 10 ans “Tu vas écrire une quotidienne sur la police et ça va marcher”, j’aurais répondu : “Es-tu fou ?” »

Dans le cadre du Printemps nordique de la Place des Arts, Luc Dionne participera à une classe de maître sur l’écriture de séries policières le 10 avril prochain, de 19 h à 21 h 30, à la Cinquième Salle, en compagnie de Martin Michaud (scénariste de Victor Lessard) et du scénariste suédois Mårten Klingberg (Beck). Premier arrivé, premier assis.

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