DÉMOGRAPHIE

Mercure en hausse, bébés en baisse

Il fait chaud et vous courez actuellement les piscines, la crème glacée et l’air conditionné. Mais il y a une chose que vous omettez de faire : des bébés. Les Québécois sont en effet moins fertiles en périodes de canicule, a découvert La Presse en épluchant les statistiques. Un constat déjà connu des démographes, qui ont aussi découvert avec étonnement que les bébés conçus en pleine chaleur réussissent mieux dans la vie. Explications.

13 juillet 1987. Les Québécois étouffent sous une chaleur qui, depuis cinq jours, se fait sans cesse plus accablante. Le mercure atteint 34 degrés à Montréal, sans même parler d’indice humidex. Et avec des minimums de 25 degrés, les nuits ne parviennent plus à rafraîchir qui que ce soit.

Neuf mois plus tard, les salles d’accouchement de la province sont étonnamment tranquilles. La natalité chute de 12 % dans l’ensemble du Québec, selon des calculs de La Presse effectués à partir des données fournies par l’Institut de la statistique du Québec. Et le même phénomène s’observe pour toutes les canicules que nous avons étudiées.

Nos observations ne sont pas scientifiques. Mais des démographes, tant français qu’américains, ont documenté le phénomène de façon formelle : les couples font moins de bébés pendant les vagues de chaleur.

« C’est vrai autant dans les pays tempérés que les pays tropicaux, et la science est encore en train de comprendre pourquoi. Plusieurs raisons sont invoquées et il s’agit probablement d’un mélange de plusieurs d’entre elles », explique Joshua Wilde, professeur adjoint d’économie à l’Université de la Floride du Sud.

Avis aux couples intéressés : avec la température qui demeurera élevée demain, le moment n’est pourtant pas si mal choisi pour plonger sous la couette avec l’espoir d’engendrer descendance. Car si moins de bébés naissent neuf mois après une grande chaleur, ceux qui naissent sont généralement plus forts que les autres.

« Ça, ç’a été une surprise totale, admet Joshua Wilde, qui a publié la découverte avec Bénédicte Apouey, chercheuse à l’École d’économie de Paris. Il y a plein d’études qui montrent que si un séisme ou une famine survient pendant que vous êtes dans l’utérus, vous vous en tirez généralement moins bien dans la vie. Je croyais que les pics de chaleur auraient le même effet. »

En poussant leurs études, les chercheurs ont fini par percer le mystère. Voici les principales hypothèses expliquant les liens entre conception et vagues de chaleur.

LES CANICULES ET LEURS EFFETS SUR LA NATALITÉ NEUF MOIS PLUS TARD

Du 9 au 13 juillet 1987 : - 12 %

Du 23 au 25 juillet 1987 : - 2 %

Du 21 au 24 juillet 2001 : - 4 %

Du 6 au 9 août 2001 : - 5,6 %

Du 11 au 14 août 2002 : - 10,9 %

Notes : Notre méthode est adaptée de celle présentée par le démographe Arnaud Régnier-Loilier dans « Évolution de la saisonnalité des naissances en France de 1975 à nos jours ».

Les canicules sont celles enregistrées à Montréal et définies comme des périodes de trois jours ou plus pendant lesquels la température maximale de jour dépasse 30 degrés et le minimum de nuit reste au-dessus de 20 degrés.

La baisse est calculée en comparant le nombre de naissances au Québec pour une date donnée avec le nombre de naissances à la même date un an plus tôt et un an plus tard. Les statistiques de naissances les plus récentes datant de 2011, il n’a pas été possible de calculer l’effet des canicules après l’été 2010.

Sources : Service météorologique du Canada et Institut de la statistique du Québec.

LA FAUTE DE MONSIEUR

Si moins de bébés sont conçus en pleine canicule, c’est peut-être à cause de monsieur – ou, plus précisément, de ses testicules. Ceux-ci ne pendent pas à l’extérieur du corps pour rien : la production de spermatozoïdes est optimale à 1 ou 2 degrés Celsius sous la température corporelle. Quand le mercure grimpe, la qualité des spermatozoïdes diminue. Mais madame n’est peut-être pas complètement exempte de blâme. Certains chercheurs croient en effet que la chaleur pourrait dérégler l’ovulation. « Nous en savons encore très peu là-dessus », dit cependant Joshua Wilde, de l’Université de la Floride du Sud.

LA LIBIDO FOND AU SOLEIL

L’autre explication est plus simple. En pleine canicule, les couples trouvent peut-être qu’il fait déjà assez chaud et collant comme ça sans aller en rajouter par de torrides étreintes. À l’aide de sondages, les chercheurs Joshua Wilde et Bénédicte Apouey ont montré que quand il fait chaud, l’activité sexuelle des femmes diminue de 0,29 % chaque fois que le mercure grimpe de 1 degré. Les recherches sur l’internet liées à du contenu sexuel déclinent aussi pendant les vagues de chaleur. Bref, quand ça surchauffe, la libido fond.

LA SÉLECTION NATURELLE

Joshua Wilde pointe un autre facteur important : la survie des embryons. « S’il y a une conception et qu’il fait très chaud, cela induit un stress sur le corps de la femme et il est plus probable que l’embryon soit perdu », explique-t-il. Cet effet explique peut-être justement pourquoi les bébés qui naissent neuf mois après une canicule ont moins de handicaps et de meilleures perspectives d’avenir que les autres. « La sélection naturelle est exacerbée et seuls les embryons les plus forts survivent », explique M. Wilde. Ces embryons deviennent plus tard des enfants et des adultes avantagés.

L’EFFET CLIMATISEUR

Il semble cependant que cette sélection naturelle soit aidée par une certaine sélection « sociale ». Les scientifiques ont en effet montré que les enfants nés neuf mois après une canicule ont généralement des parents mieux éduqués et plus riches que la moyenne. Pourquoi ? Parce que les gens riches et éduqués sont plus susceptibles de posséder un climatiseur et de ne pas travailler physiquement. Après une journée de canicule, ils sont donc moins fourbus et, l’air frais de la maison aidant, plus enclins à sauter au lit ensemble au son du doux ronronnement du climatiseur.

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