Opinion : Aide médicale à mourir

Hélène L. s’est laissée mourir de faim

Dans la nuit du 30 juillet dernier, Hélène L. est morte au 14e jour du jeûne total qu’elle avait lucidement et librement décidé.

Morte dignement de faim et de soif. En 2016. À Québec.

Elle était à la veille de son 70e anniversaire. Depuis 20 ans, elle surveillait jour et nuit cette sclérose en plaques qui l’enfermait progressivement dans son corps. Il ne restait que sa main gauche pour manger, se laver, se déplacer, écrire aussi, mais si péniblement. Cette main gauche faiblissait.

À chacun de ses 15 déplacements quotidiens, du lit à la chaise, au fauteuil, à la chaise, aux toilettes, et retour, etc., comme ses jambes ne la portaient plus, elle risquait des chutes graves dont elle ne pouvait se relever seule. Elle en avait déjà quatre à son crédit. Et sans cette dernière main gauche, cela signifiait alors la dépendance totale aux mains d’étrangers dans un CHSLD, sans espoir, alors que son intelligence demeurait intacte.

Cet avenir, elle n’en voulait pour rien au monde. Une vie consistant à pisser, chier dans sa couche, attendre qu’on la lave, qu’on la gave, fixer le plafond… et se souvenir, pendant des années, à raison de 1440 minutes par jour.

Depuis des années, les médecins « ne pouvaient plus rien faire pour elle ».

L’aide médicale à mourir qu’elle implorait lui avait été refusée « parce qu’elle n’était pas en fin de vie », comme l’exige la loi…

Ce qu’elle souhaitait – et était-ce trop demander ? –, c’était de pouvoir planifier sa mort, dire calmement adieu à ceux qu’elle aimait, et donner librement le signal de l’injection libératrice. On le lui a refusé.

À la place – et au nom de quoi ? – on l’a obligée à mourir de faim durant 14 longs jours et interminables nuits.

FIN DE VIE ?

Elle n’était donc pas en fin de vie ? Mais c’est quoi, être en fin de vie ? S’agit-il uniquement de la vie biologique animale ? On parle bien, ici, de la vie d’une personne humaine ! D’une personne faite pour aimer, rire, serrer ses petits-enfants dans ses bras, planifier, enfin faire tout ce que vous faites vous-même par vous-même ! Mais Hélène L. ne pouvait plus faire cela, elle se disait déjà socialement et moralement morte.

Même à quelques jours du décès, nous avons fait une ultime tentative d’accès à cette aide médicale à mourir. Quatre médecins sondés (car la loi québécoise impose un deuxième médecin chargé de confirmer ou non l’opinion du médecin traitant) ont eu peur d’un blâme de la Commission sur les soins de fin de vie (à laquelle siège un des plus féroces opposants à l’aide médicale à mourir) s’ils osaient « interpréter la loi » ; et j’avoue que ces craintes étaient fondées. On m’a dit que « si elle avait eu la chance (!) d’avoir un cancer agressif, là, ç’aurait été différent » !

Découragée, elle a essayé de faire déclarer inconstitutionnelles les lois québécoise et fédérale.

Mais aller en cour, c’était si coûteux financièrement, si incertain. Et si lointain : des mois, des années d’appels et de contre-appels, d’arguties juridiques. Hélène L. a perdu confiance. Il y avait urgence, car il faut savoir que pour elle, l’été et ses chaleurs étaient un véritable enfer. N’en pouvant plus, elle a choisi de définir elle-même sa fin de vie puisque personne d’autre n’avait le courage de le faire. Ce courage, il en a fallu pour cesser toute nourriture ET toute goutte d’eau.

INACCEPTABLE AGONIE

Elle avait peur de ne pas avoir cet autre courage de tenir jusqu’au bout. C’était le seul moyen humainement digne à sa portée. Mais quelle horreur ! Elle m’a fait l’honneur de me demander de l’accompagner durant cette inacceptable agonie…

La veille de sa mort, Hélène L. m’a chargé de vous transmettre son histoire afin que sa mémoire et son sacrifice servent la cause de tous ceux et celles « qui ne sont pas en fin de vie, mais qui n’en peuvent plus de mourir comme (pire que) des chiens ».

Elle voulait que ces lois soient réécrites, pour éviter à d’autres ce qu’elle venait de vivre. « Je ne savais pas qu’il serait aussi difficile d’avoir le droit de mourir », disait-elle.

Et moi non plus, qui avais eu récemment l’occasion d’offrir ce « cadeau » de l’aide médicale à mourir à quatre personnes ; je ne savais pas que je serais obligé d’en priver une personne qui se mourait à petit feu depuis 20 ans…

Moi aussi, je veux qu’elles soient changées, ces lois. Je lui ai promis d’y contribuer.

Repose en paix, Hélène.

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