Distillerie du St. Laurent

Déjouer la « prohibition » canadienne

Jean-François Cloutier et Joël Pelletier vendent leur gin aux algues macérées en Europe, et même jusqu’au Japon. Ils exportent pour le prestige et le défi que cela représente. Ils le font également un peu par nécessité. Ils aimeraient bien vendre l’ensemble de leur production au Canada, mais les lois font en sorte que la tâche relève de l’exploit.

« Il y a un problème de libre circulation entre les provinces, déplore Jean-François Cloutier, 44 ans. Il faudrait que ça change. On a l’impression d’être encore à l’époque de la prohibition. Aux États-Unis, malgré l’explosion du nombre de distilleries, ils n’ont pas ce problème-là. Il y a 3000 distilleries et le marché intérieur suffit amplement. »

Cela dit, les fondateurs de la Distillerie du St. Laurent, à Rimouski, n’ont pas à se plaindre. Au Québec, ils sont présents dans plus de 350 succursales de la Société des alcools. Et leurs ventes à l’étranger représentent désormais entre 5 et 8 % de leur chiffre d’affaires.

Sans nécessairement le savoir, Jean-François Cloutier et Joël Pelletier aident à gonfler la balance commerciale du Québec dans le secteur agroalimentaire.

En effet, selon le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), les entreprises québécoises du secteur exportent pour 8,7 milliards de dollars en produits, contre des importations totalisant 7 milliards. L’excédent commercial est donc de 1,7 milliard.

Le défi d’exporter

À défaut de pouvoir vendre la presque totalité de leur production au Canada, les deux Rimouskois d’origine se sont tournés vers les exportations. Surprise : ils n’ont pas eu à faire les premiers pas.

« Des Français et des Suisses qui nous ont vus sur les médias sociaux nous ont approchés », se félicite Joël Pelletier, 31 ans. Résultat : la Distillerie du St. Laurent exporte dans six pays d’Europe et d’Asie.

Exporter est certes valorisant, voire grisant. Quel distillateur artisanal n’aimerait pas raconter que son gin est prisé à Berlin et à Tokyo ?

Mais exporter est une tâche nécessitant temps et argent, insistent les deux entrepreneurs. Foires alimentaires, représentations, billets d’avion, hôtels, repas au restaurant, échantillons gratuits et, souvent, envoyés par la poste : jouer le jeu de l’exportation est un acte de foi et peut en effet coûter très cher.

Par ailleurs, exporter, peu importe la devise dans laquelle on est payé, n’est pas une sinécure. « Ce n’est pas nécessairement plus payant, rappelle Jean-François Cloutier. Il y a entre autres de coûteux frais de transport à payer. »

Une PME en santé

Aujourd’hui, deux ans après avoir lancé un premier gin sur le marché (elle en a deux actuellement, dont un gin vieilli), la PME compte huit employés, dont cinq à plein temps. La croissance est au rendez-vous. Et la viabilité de l’entreprise aussi, même si pas moins de 43 gins sont actuellement produits au Québec.

Jean-François Cloutier et Joël Pelletier, ayant respectivement fait carrière en architecture navale et en télévision, se sont également lancés dans la production de whiskeys, dont le premier sera prêt en 2020 après avoir vieilli trois ans en barriques.

Avec ce nouveau produit, les fondateurs de la Distillerie du St. Laurent pourront élargir leurs marchés, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Ils pourront ainsi augmenter leurs revenus. Et ils auront accès à plus de liquidités, qui financeront la mise en barriques sur trois, cinq, voire dix ans, d’alcools qui ne rapporteront qu’à long terme.

« Notre objectif est d’avoir une bonne santé financière pour continuer à faire ce qu’on aime. Notre objectif n’est pas l’argent. On a quitté des emplois bien payés. On est là pour le plaisir et la passion », conclut Joël Pelletier.

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