Appareils de l’ombre

Propriétaires dans l’ombre

Les structures administratives complexes derrière la propriété de certains bars exploitant de la loterie vidéo échappent complètement à la vigilance de Loto-Québec ainsi qu’à la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ).

C’est notamment le cas de sept bars, dont les deux plus grands exploitants d’appareils de loterie vidéo (ALV) de la région montréalaise, le Royal Palace et le Jilly’s. Tous appartiennent, en partie, à une fiducie privée, la Fiducie Colombe. Ensemble, ces bars détiennent 25 licences ce qui en fait le troisième plus important exploitant d’ALV au Québec, selon le palmarès établi par La Presse.

Or, ni Loto-Québec ni la RACJ ne savent à qui appartient la Fiducie Colombe. Pourtant, la société d’État verse 22 % des revenus générés par les ALV au détenteur de chacune des licences ; la Fiducie Colombe empoche ainsi indirectement avec ses partenaires au moins 2,1 millions de redevances publiques.

Quand la RACJ a émis une licence d’exploitation d’ALV pour chacun de ces bars (Bar du quartier, L’or en bar, Royal Palace, Resto-bar Vegas, Jilly’s, Bar Le Sphinx et L’orient express), elle n’a pas analysé leur structure administrative, ce qui l’aurait conduite jusqu’à la Fiducie Colombe.

« Aucune disposition de la Loi sur les permis d’alcool ne permet à la Régie de vérifier la conformité de personnes autres que […] la compagnie demanderesse, les actionnaires et administrateurs de premier niveau. »

— Janick Simard de la Régie des alcools, des courses et des jeux

Le « premier niveau » signifie, par exemple, pour le Royal Palace, que la vérification s’est bornée au bar ainsi qu’à son propriétaire direct, soit l’entreprise Star divertissement qui est administrée par Philippe Fortier et Suzanne Poirier. Mais la structure de l’entreprise ne s’arrête pas là. Star divertissement est détenue par deux actionnaires : une entreprise à numéro qui est une société d’investissement relevant de Philippe Fortier, et Holding A. Et c’est la Fiducie Colombe qui est l’actionnaire majoritaire de Holding A.

Mystère sur Colombe

De son côté, Loto-Québec qui est propriétaire des ALV, détermine combien de machines elle confiera ou non à tel ou tel bar ayant déjà une licence. Cette décision se prend toutefois sans questionner qui est le propriétaire véritable.

Malgré des semaines de recherche, il a été impossible pour La Presse de déterminer qui est derrière la Fiducie Colombe. Rien n’apparaît au Registraire des entreprises du Québec : les fiducies ne sont pas tenues d’y être inscrites.

Même le gestionnaire des bars Royal Palace et Jilly’s, André J. Côté, qui est également l’administrateur du Holding A (propriété de la Fiducie Colombe) ignore tout de la Fiducie Colombe. Or, la fiducie et lui partagent la même adresse.

« Je n’ai jamais entendu parler de la Fiducie Colombe. Je n’ai aucune idée c’est quoi. […] Même Holding A, c’est nouveau pour moi ». Vous ne savez pas pour qui vous travaillez ? « J’ai pas besoin. J’ai deux personnes ressources. J’envoie mes factures au bar et je ne pose pas de question. Je reçois mon chèque de gestion à tous les mois et c’est tout. Ça ne me dérange pas de savoir qui est là », affirme M. Côté.

Les bars liés à la Fiducie Colombe ont modifié leur structure administrative en octobre dernier, dans la foulée de la publication de notre enquête concernant la loterie vidéo. L’un des actionnaires principaux de ce groupe de bars était Stéphane Bégin dont le nom est disparu au début octobre. La Presse lui a laissé des messages téléphoniques ainsi que directement à son bureau, mais en vain. André J. Côté a indiqué que M. Bégin, qu’il dit connaître « à peine », était « un investisseur silencieux ».

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