Missions de maintien de la paix

Où iront les Casques bleus canadiens ?

Il y a deux ans que Justin Trudeau a annoncé le retour du Canada sur la scène internationale. Mais on ignore toujours quand le déploiement des Casques bleus canadiens aura lieu. Ottawa devrait cependant révéler bientôt la forme que prendra la contribution canadienne aux missions de maintien de la paix des Nations unies.

Casques bleus

Une annonce serait imminente

Le Canada profitera du sommet qu’il organise sur les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU), les 14 et 15 novembre à Vancouver, pour dévoiler quelle sera sa contribution à ces opérations, estiment différents intervenants proches du dossier consultés par La Presse.

Une annonce sera faite « soit avant, soit pendant » cette rencontre des ministres de la Défense des pays qui participent aux opérations onusiennes de maintien de la paix, selon ce qu’affirme avoir entendu Marie-Joëlle Zahar, directrice du Réseau de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal.

Tout comme elle, le directeur du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix de l’Université du Québec à Montréal et professeur à l’Université Laurentienne Bruno Charbonneau croit que le Canada ne serait « pas très crédible » s’il se présentait à cette rencontre sans engagement concret, alors que le nombre de Casques bleus canadiens a atteint un creux historique en septembre, avec 68 militaires et policiers déployés, selon les données de l’ONU.

Le cabinet du premier ministre ne confirme pas officiellement qu’une annonce sera faite d’ici le sommet, mais une source au ministère de la Défense a indiqué à La Presse que cette option n’était pas écartée, tandis qu’une source au ministère des Affaires étrangères a affirmé qu’une annonce était « proche ».

Elle pourrait même être faite dès cette semaine.

Le chercheur Jocelyn Coulon, qui a été conseiller de Stéphane Dion lorsque celui-ci était ministre des Affaires étrangères, rappelle cependant que ce n’est pas la première fois qu’une annonce est dite imminente.

« Ça fait depuis décembre 2016 que le premier ministre a toutes les options devant lui. »

— Jocelyn Coulon

« Ottawa pourrait décider d’attendre encore un peu », surtout si le gouvernement a l’intention de déployer peu de Casques bleus, estime Jocelyn Coulon, qui commence à craindre que « la montagne accouche d’une souris ».

Longue hésitation… causée par Trump ?

Tout juste élu, Justin Trudeau a peut-être été un peu trop enthousiaste quand il a proclamé le retour du Canada sur la scène internationale, estime Marie-Joëlle Zahar, dans la mesure où un tel changement de cap prend du temps à planifier, alors que les « bénéficiaires éventuels s’impatientent de voir le changement enfin arriver », affirme la chercheuse.

Près d’un an plus tard, en août 2016, Ottawa annonçait son intention de déployer de 400 à 600 militaires et 150 policiers dans des missions de paix de l’ONU.

Depuis, silence radio, si ce n’est pour dire que la « réflexion » se poursuit, comme l’a répété Justin Trudeau en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre.

Or, la longue réflexion du Canada cacherait aussi une absence de consensus dans l’entourage du premier ministre, ce qui n’est pas sans exaspérer les fonctionnaires qui planchent sur divers scénarios depuis maintenant deux ans, ont rapporté à La Presse deux sources proches du dossier.

Les chercheurs consultés par La Presse croient qu’Ottawa redoute notamment « un nouvel Afghanistan » ou « une nouvelle Somalie », deux théâtres d’opérations desquels le Canada est sorti écorché, mais tous ne s’entendent pas pour dire si cette crainte est fondée ou non.

Chose certaine, les opérations de maintien de la paix sont aujourd’hui plus risquées, explique Jocelyn Coulon.

« Contrairement à l’époque [du premier ministre Lester B.] Pearson, où la mission traditionnelle était de patrouiller dans une zone tampon entre deux armées, […] aujourd’hui, on intervient à l’intérieur des États, dans des conflits politiques, ethniques, donc nécessairement, il peut y avoir un certain danger », explique M. Coulon.

Mais la longue hésitation du Canada dans ce dossier s’explique aussi par l’élection inattendue de Donald Trump à la Maison-Blanche, croit Marie-Joëlle Zahar.

« Cette décision exige de notre part une sérieuse évaluation de ce qui est dans notre intérêt national, et ça, c’est notamment de ne pas nous mettre les États-Unis à dos », explique la professeure.

Les négociations concernant l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pèsent aussi dans la balance, ajoute-t-elle : « La santé de notre économie, les moyens de l’État, notamment pour déployer des Casques bleus, dépendent de ces négociations, qui aujourd’hui vont mal. »

Quatre thèmes principaux

Quelque 500 représentants de plus de 70 pays et organisations internationales convergeront vers Vancouver, les 14 et 15 novembre, pour participer à la réunion des ministres de la Défense des pays impliqués dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies. La rencontre de cette année tournera autour de quatre thèmes : le bilan des engagements ; l’innovation en matière de renforcement des capacités ; la protection des personnes à risque ; les déploiements rapides.

Casques bleus

Le Mali toujours sur l’écran radar

C’est désormais un secret de Polichinelle : Ottawa envisageait l’an dernier de déployer des Casques bleus au Mali, au sein de la jeune MINUSMA, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali.

L’option serait toujours sur la table, de l’avis de plusieurs observateurs, mais il est probable que le Canada décide de répartir sa contribution dans plusieurs opérations des Nations unies (ONU).

C’est d’ailleurs ce qu’Ottawa avait laissé entendre, en août 2016, lors de l’annonce du déploiement éventuel d’un demi-millier de Casques bleus dans des missions de paix de l’ONU.

Ce sera « un bricolage », prévoit la directrice du Réseau de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal, Marie-Joëlle Zahar, « des petites choses qui pourront aider tout le monde ».

« Je ne pense pas qu’on annoncera 600 soldats dans une même mission. »

— Marie-Joëlle Zahar, Université de Montréal

L’ONU « demande des choses très précises au Mali en termes de contingent spécialisé, de matériel spécialisé, et le Canada a tous ces éléments-là », rappelle le chercheur Jocelyn Coulon, qui était conseiller de l’ancien ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion.

L’ONU a effectivement besoin au Mali, entre autres, de forces spéciales, d’unités médicales, d’aviation tactique, de transport aérien, d’ingénieurs militaires et d’experts en renseignement, a expliqué à La Presse un représentant des Nations unies s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.

Mais il y a également des besoins « presque partout », notamment en Centrafrique et au Soudan du Sud, deux missions complexes, a ajouté ce représentant.

Un apport canadien à la MINUSMA « permettrait de changer la dynamique » au Mali, où l’opération antiterroriste française Barkhane « mine la crédibilité et l’impartialité » de l’opération onusienne de maintien de la paix, estime Bruno Charbonneau, professeur à l’Université Laurentienne et directeur du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix de l’Université du Québec à Montréal.

De plus, le contexte sécuritaire malien fait en sorte que la MINUSMA a elle-même besoin de protection, explique Bruno Charbonneau, qui estime que « 80 % de leur travail, c’est de se protéger eux-mêmes ».

Paris fait d’ailleurs pression sur Ottawa pour que le Canada apporte son aide au Mali, où sont également stationnés quelque 640 militaires allemands.

La nouvelle ambassadrice de la République française au Canada, Kareen Rispal, l’a rappelé lors de son passage à Montréal, à la mi-octobre, insistant sur la nécessité de « stabiliser et pacifier » le Sahel, aux portes de l’Europe.

Place aux femmes

Si c’est le mutisme à Ottawa au sujet de la destination que prendront les Casques bleus canadiens, les ministères concernés rappellent le leitmotiv du gouvernement de Justin Trudeau : des politiques féministes.

Par exemple, en Irak, le Canada a déployé des policiers, mais aussi des policières, pour aider à former et entraîner des femmes irakiennes à devenir policières chez elles.

Ottawa annoncera d’ailleurs la semaine prochaine un plan d’action sur l’engagement des femmes dans les processus de paix et de stabilité.

Et l’Ukraine ?

Dans les couloirs de l’ONU, à New York, « on parle de plus en plus de la possibilité d’une mission [de maintien de la paix en] Ukraine », affirme Marie-Joëlle Zahar. Une telle mission « répondrait aux intérêts canadiens, mais aussi américains » en raison de la relation de Washington avec Moscou, poursuit la chercheuse. Or, un employé de l’ONU s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, puisqu’il n’était pas autorisé à parler publiquement, a confié à La Presse qu’une telle mission « est encore loin » d’être mise sur pied.

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