Chronique

La science et la religion

La science a joué un grand rôle dans le virage que nous entreprenons difficilement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est la science qui a démontré l’existence du réchauffement climatique, qui en a attribué la responsabilité, au-delà de tout doute raisonnable, à l’activité humaine, qui a défini les objectifs qui nous permettront d’enrayer le processus.

Mais la bataille est loin d’être gagnée. Le rapport L’État de l’énergie au Québec, de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, publié la semaine dernière, nous le rappelle. « La consommation totale d’énergie stagne depuis 2004, et les émissions de gaz à effet de serre (GES) font du surplace depuis 2010 », dit l’étude. « Le gouvernement donne au Québec des ambitions de réduction des émissions de GES et de consommation de produits pétroliers qui sont bien supérieures à ce que nous réalisons sur le terrain. »

Nous avons donc besoin de la science, là aussi, pour déterminer les meilleures façons de réduire les émissions et atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés dans le sillage de la Conférence de Paris. Mais trop souvent, on oublie la science. On le voit, par exemple, à des interventions fantaisistes et inefficaces du Fonds vert. On le voit aussi à des batailles plus attachées aux symboles qu’aux résultats, où il y a moins de science, et plus de religion.

C’est le cas de ce mouvement, très vivant au Québec, qui voudrait bannir toute production d’hydrocarbures sur le territoire québécois. C’est le sens d’une lettre ouverte publiée dans ces pages le 12 septembre par des groupes environnementaux et des dirigeants syndicaux, ou d’une pétition de 32 000 signatures remise à l’Assemblée nationale par le porte-parole péquiste en matière d’environnement, Sylvain Gaudreault. Cette pétition dénonce les règlements qui encadreront les activités pétrolières, mais réclame aussi « un plan de sortie rapide et complet de la filière pétrolière et gazière au Québec ». Pas un moratoire, une interdiction totale.

Pourquoi ? Au-delà du débat sur les règlements sur l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures soumis à la consultation par le ministre de l’Énergie Pierre Moreau, ce mouvement d’opposition repose sur l’idée qu’il n’est pas cohérent, pour le Québec, de vouloir à la fois réduire sa dépendance aux hydrocarbures et se lancer dans la production de pétrole ou de gaz.

C’est un argument qui relève davantage de la morale que de la logique. 

Car cette bataille, qui porte sur un symbole, ne contribue absolument pas à ce qui devrait être notre premier objectif collectif, qui devrait mobiliser toutes nos énergies, la réduction des GES.

Le rapport de HEC Montréal nous rappelle que la cible du Québec, c’est de réduire de 40 % d’ici 2030 notre consommation de produits pétroliers. En supposant que nous réussissions à atteindre cette cible, on peut exprimer les choses dans l’autre sens, et rappeler que, dans 13 ans, nous consommerons encore 60 % du niveau actuel et qu’il restera ensuite pas mal de chemin à faire. En fait, cela nous dit que nous consommerons une quantité significative d’hydrocarbures pour un bon quart de siècle.

Dans cette longue période de transition, d’où viendront le pétrole et le gaz que nous consommerons ? L’étude de HEC Montréal montre que les choses ont changé. Les trois quarts du pétrole proviennent maintenant du Canada et des États-Unis, surtout des sables bitumineux dans le premier cas, et du pétrole provenant de la fracturation dans le second. Le gaz vient du Canada et de plus en plus des États-Unis avec la production de gaz de schiste.

Et si ce pétrole et ce gaz étaient produits ici, est-ce que cela serait pire sur le plan environnemental ? Évidemment pas. Essentiellement, ce serait le même niveau d’émission de GES. Et ce serait moins hypocrite que notre attitude actuelle, qui consiste à dénoncer les sables bitumineux tout en brûlant le pétrole qui en provient et à dénoncer le gaz de schiste tout en en important des États-Unis.

La seule différence, c’est que dans un cas, l’activité pétrolière et gazière profiterait au Québec plutôt qu’à ceux qui s’enrichissent en nous les vendant. 

En plus, les importations de pétrole et de produits pétroliers représentaient, en 2016, une sortie de 9,79 milliards, de l’argent qui sort du Québec et qui gonfle notre déficit commercial.

Évidemment, tout cela est théorique, parce qu’on ne sait pas si le Québec a un potentiel intéressant. C’est peu probable pour le pétrole, plus possible pour le gaz. Il ne serait cependant pas responsable de se priver de cette possibilité. On peut donc dire que c’est un débat sur le sexe des anges. Mais cette bataille, ce sont les groupes environnementaux qui l’ont lancée et qui lui ont donné les accents d’une croisade religieuse.

Je comprends qu’il n’y a pas que la logique dans le débat public. Les symboles ont un rôle. Quand on voit notre difficulté à réduire notre consommation pétrolière et à modifier nos comportements, il faut trouver les façons de frapper l’imagination, de mobiliser les gens.

Mais cela comporte des dangers. C’est de l’énergie qu’on ne met pas là où ça compte. Ce sont des messages qui engendrent de la confusion au lieu d’aider les gens à mieux comprendre les enjeux énergétiques et environnementaux. Ce sont aussi des batailles symboliques qui nourrissent la satisfaction du devoir accompli, qui créent un faux sentiment de sécurité. Parce que c’est plus facile de signer une pétition, de dénoncer l’industrie pétrolière, de critiquer un ministre que d’abandonner son VUS.

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