À ma manière

Couche après couche

L’aventure : deux mères décident de concevoir et fabriquer des couches lavables. La manière : tenir le coup quand ça sent mauvais.

C’est l’histoire des fils qu’elles ont tissés ensemble. Elle commence avec leurs fils, dont elles étaient enceintes simultanément.

Les fils d’Ariane et d’Anouk.

Anouk Bélanger et Ariane Delorme ont fait connaissance sur internet, dans un groupe d’échange pour mamans, fin 2006, à quelques semaines de leur accouchement. « On a commencé à faire ce que plein de mamans font : prendre des marches ensemble, relate Ariane. Deux mois plus tard, on commençait notre affaire ensemble. Ç’a été un coup de foudre entrepreneurial et amical instantané. »

« Avec des bébés de six semaines dans les bras », précise Anouk.

L’origine

Formées en administration, les deux femmes étaient alors représentantes, Ariane dans le secteur alimentaire, Anouk dans le transport.

« On était toutes les deux du côté vert, explique Anouk : utilisation de produits naturels, des couches lavables plutôt que des couches papier… »

Justement, les couches lavables, en 2007, étaient encore dans l’enfance de l’art.

« Sur le marché, il n’y avait rien qui nous convenait, relance Ariane. Pourquoi on n’invente pas quelque chose qui nous convient ? »

La création

« On avait toutes les deux chacune notre machine à coudre, et on s’est dit : on va s’essayer », raconte Anouk.

Profitant de leur congé de maternité, elles foncent… sur internet, pour recueillir toute l’information qu’elles peuvent trouver sur les textiles, les matériaux absorbants, les techniques de couture, les produits existants.

Croquis, patrons, prototypes : elles accouchent d’une couche de coton surjetée sur son pourtour, fermée par velcro, recouverte d’une pellicule en polyester laminé, qui forme la barrière imperméable.

Elles inventent ensuite la couche tout-en-un évolutive, dont la configuration s’ajuste à l’aide de boutons-pression. « Un bébé de 8 livres à la naissance peut porter la même couche qu’à 2 ans, quand il commence à être propre », décrit Ariane.

Elles décident rapidement de confier la confection en sous-traitance.

L’atelier

Il faut trouver un atelier de couture. Encore une histoire de fils. « Le père de mon conjoint était ami avec quelqu’un dont les fils avaient un atelier, ici à Montréal », raconte Anouk.

Coup de chance, l’atelier vient de perdre un contrat et accepte de fabriquer le produit des deux jeunes entrepreneures de Blainville. En un an, ce qui n’était pour l’atelier qu’un contrat d’appoint en vient vite à occuper l’essentiel de ses activités. Le nombre de ses couturières passe de trois à huit en un an.

Les fournisseurs

Elles doivent aussi se fournir en matériaux.

« On a été obligées de se tourner vers la Chine », constate Anouk.

Alors qu’une jeune mère rêve habituellement du moment où bébé fera ses nuits, elles doivent s’adapter au fuseau horaire chinois. Anouk passe souvent « de longues nuits pour travailler avec [ses] fournisseurs ».

Mais la qualité est inconstante. Peu à peu, elles rapprochent leurs fournisseurs, d’abord aux États-Unis, puis au Canada, où les manufacturiers diversifient de plus en plus leur production.

« On est vraiment fières de dire que maintenant, 95 % de nos produits sont achetés localement, même à Montréal. »

— Anouk Bélanger

Financement

Les banquiers ne se ruent pas pour prêter main-forte à deux jeunes mères qui veulent fabriquer des couches lavables. « On s’est arrangées avec ce qu’on avait », précise Ariane.

« On est parties avec 5000 $ », indique Anouk.

« Ce n’est pas beaucoup pour acheter de la matière première », commente Ariane.

Après quelques années, et sur la foi d’un bilan très propre, elles ont pu arracher un premier prêt. « Il a fallu quand même fonctionner pendant cinq ans par nos propres moyens. »

Diversification

Leurs nouveaux produits sont souvent inspirés de leurs propres besoins. Le fils d’Anouk tardait à être propre durant la nuit, ce qui, de fil en aiguille, a donné lieu à la gamme de couches de nuit.

La deuxième fille d’Ariane avait à la naissance un gabarit d’oiseau. « Deux jours plus tard, on était installées sur mon comptoir de cuisine à préparer une couche parce qu’elle était toute petite. »

C’est ainsi qu’est née la gamme pour nouveau-nés.

Elles constituent peu à peu un réseau de boutiques indépendantes au Québec, en Ontario, dans l’Ouest et jusqu’en Suisse.

Mais leur rythme est infernal. « On est dans l’écologie, relate Anouk. On n’est pas du genre à aller acheter des choses toutes cuisinées. Le soir, on arrivait à la maison, on voulait être capables de cuisiner. Après l’histoire et le dodo, on devait retourner travailler. »

La chute

Puis, c’est la chute. Vers 2012, de nombreuses boutiques de produits de maternité ferment leurs portes.

« On voyait les ventes baisser et l’argent qui sortait », se remémore Ariane.

La fermeture menace. « Il y a eu beaucoup de larmes qui ont été versées, et beaucoup de matins où on s’est dit : est-ce que c’est aujourd’hui qu’on met la clé dans la porte ? »

La crise dure près d’un an et demi. Ariane vient d’accoucher de sa dernière fille. « On n’avait plus d’énergie », dit-elle.

« J’ai eu une période où l’angoisse a pris le dessus sur ma vie. Je n’étais plus capable de manger. Ce qui était le plus dur, c’est de ne plus être capable de dormir plus qu’une heure et demie d’affilée. »

— Anouk Bélanger

Ces femmes déterminées et ambitieuses doivent accepter que leur entreprise ne se tissera pas sans accroc. « Ç’a été un grand échec pour nous, reconnaît Ariane. Il a fallu faire ce deuil, puis se dire : c’est assez, on est capables de se relever, on l’a toujours fait. »

Le redressement

Elles déménagent dans un local presque deux fois plus petit. La gamme est revue, des imprimés s’y ajoutent.

Elles font la tournée de leurs points de vente, contactent de nouveaux détaillants.

Chaque boutique doit être gagnée « pouce par pouce », indique Anouk. « Des couches lavables, ç’a besoin d’être vu, ç’a besoin d’être touché. » Bref et paradoxalement, il faut bien sentir le produit.

Mais surtout, « il a fallu se mettre en tête qu’il n’était pas normal de faire des journées de 17 ou 18 heures ».

Puis, comme si les étoiles se réalignaient, « l’eau est venue au moulin ».

Nouveau départ

Elles ont appris leur leçon : elles ne peuvent pas tout faire. L’automne dernier, elles ont lancé la gamme redessinée de leurs protège-dessous lavables. La conception de l’emballage et du nouveau logo a été confiée à une graphiste « qui [leur] ressemble beaucoup ».

Leur site web a été refait en décembre, cette fois par un spécialiste. Chacun ses talents.

Omaïki fêtera ses 10 ans en 2017 – l’ajout d’un deuxième chiffre est une étape aussi importante pour une entreprise que pour un enfant.

Ariane et Anouk voient… large. « Dans les prochaines années, on veut pouvoir dire qu’Omaïki, c’est la propreté de 0 à 99 ans. »

Omaïki (et ses propriétaires) en quelques chiffres

Fondation : 2007

Propriétaires-fondatrices : Anouk Bélanger et Ariane Delorme

Ariane : trois enfants de 3 à 9 ans

Anouk : deux enfants de 9 et 11 ans

Employés : 4

Couturières en sous-traitance : de 6 à 8

Production : 

2010 : 16 000 couches

2011 : 12 000 couches

2016 : 20 000 couches

2017 : si la tendance se maintient, augmentation de 33 %

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