Santé

Le syndrome du bien-être

Jogging, méditation, aliments sans gras, yoga… Le culte du bien-être serait-il devenu une tyrannie ? C’est la question que soulèvent les auteurs du livre Le syndrome du bien-être. Entrevue avec Carl Cedeström, enseignant-chercheur à la Stockholm Business School, joint à Stockholm, qui a signé le livre avec André Spicer, professeur à la Cass Business School de Londres.

Pourquoi avoir écrit ce livre, très à contre-courant, sur le syndrome du bien-être ?

On a voulu mettre l’accent sur la transformation du bien-être en impératif moral. Cette quête du plaisir et du bien-être est devenue un impératif moral. Présent dans toutes les sphères de notre vie, ce bien-être se retourne contre nous. Ce syndrome résulte de la croyance selon laquelle nous sommes des individus autonomes, et nous devons nous perfectionner sans cesse, et c’est là qu’émerge le sentiment de culpabilité et d’angoisse. Le caractère idéologique du bien-être se manifeste particulièrement par le jugement dépréciatif dominant porté à l’égard de ceux qui ne prennent pas soin de leur corps. Ils sont diabolisés et perçus comme des individus faibles et paresseux.

Le bien-être est-il un concept individuel ?

On doit, aujourd’hui, prendre soin de soi, être en santé, faire de l’exercice, bien s’alimenter, être heureux et montrer à tout le monde à quel point tout fonctionne à merveille et qu’on nage dans le bonheur. Ce qui est inquiétant, c’est que la santé était autrefois un concept collectif, pour le bien de la collectivité, et qu’aujourd’hui, il est devenu un concept individuel. Le sport et la santé, c’est une façon d’être, une façon de s’exprimer, de se mettre en valeur. C’est une identité très forte chez une personne. Être responsable de ses actes et développer son potentiel s’inscrit dans la logique du néolibéralisme.

Ce syndrome va au-delà des bienfaits du sport ?

Oui. Le syndrome du bien-être passe aussi par la productivité et la performance. Le syndrome du bien-être est aussi un concept social et politique. Nous vivons dans une société où les problèmes sociaux tels que la pauvreté ou le chômage sont devenus des problèmes individuels, à cause de cette obsession du bien-être qui est une quête très individuelle. Comme si trouver du travail n’est qu’une simple question de volonté qui ne se résume qu’à l’individu et qui ne serait plus l’affaire de la société et de la collectivité. C’est comme si les gens au chômage ou les gens pauvres le restent parce qu’ils ne font pas assez de méditation ou ne sont pas assez optimistes, et ont échoué devant la modernité de la vie d’aujourd’hui.

Quelles sont les solutions ?

Il faut apprendre à dire non. Quand faire de l’exercice devient une obligation dans notre travail, c’est là qu’il faut vraiment s’inquiéter. Il y a des entreprises en Suède comme Kalmar Vatten (société d’eau potable) où les employés doivent obligatoirement faire du sport au moins une fois par semaine. Le directeur des ressources humaines vérifie la présence des employés à la salle de sport, car ça fait partie de la politique de l’entreprise. Ça n’a pas de sens. On ne peut pas admettre ce genre d’obligation. Le culte du bien-être est intimement lié à l’éthique contemporaine du travail, son emprise idéologique s’étend bien au-delà, en raison de la disparition des frontières entre vie privée et vie professionnelle.

Le bien-être est omniprésent et a toutes les vertus ?

Combien de fois on entend des choses comme : pour être un bon PDG, il faut savoir courir des marathons ou faire de la méditation ? C’est absurde et les gens croient à tout ça ! Est-ce que Winston Churchill était un mauvais premier ministre parce qu’il aimait boire du champagne et du cognac et qu’il fumait le cigare ? Ce n’est pas parce que tu fais de la méditation que tu seras une meilleure personne ! C’est délirant ! Certaines universités américaines ont mis en place des contrats de bien-être où les jeunes volontaires s’engagent à ne pas consommer d’alcool ni de drogue durant toute leur scolarité dans l’optique de mener une vie plus épanouie ! On en est là.

Le syndrome du bien-être

Carl Cederström et André Spicer

Éditions L’Échappée

27,95 $

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