On a longtemps réduit l’aliment à une somme de nutriments : glucides, lipides, protéines, fibres, calories, etc. Chercheur en alimentation, Anthony Fardet estime que ce « réductionnisme » a mené à la fabrication d’aliments ultratransformés et à la hausse des maladies chroniques. Pour vivre en santé, il faut plutôt avoir une vision globale de l’alimentation et revenir aux vrais aliments. La Presse l’a joint en France.
L’espérance de vie allonge, mais on vit longtemps malade. En 2015 au Canada, l’espérance de vie des hommes était de 79,8 ans, dont 69 ans en bonne santé, et celle des femmes était de 83,9 ans, dont 70,5 ans en bonne santé, selon Statistique Canada. C’est semblable en France ?
En France, l’espérance de vie théorique augmente régulièrement, mais l’espérance de vie en bonne santé n’augmente pas. Entre 2008 et 2010, la femme française a même perdu un an de vie en bonne santé, puisque son espérance de vie en bonne santé a décliné de 64,6 ans à 63,5 ans. C’est énorme. Il y a un truc qui ne va pas. Les gens sont atteints de maladies chroniques de plus en plus tôt. Et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît que la mauvaise alimentation est la première cause de mortalité dans le monde.
À quelles maladies chroniques l’alimentation ultratransformée est-elle liée ?
Les études ont montré des associations – ce n’est pas une cause et des effets, ce sont des corrélations – entre la consommation d’aliments ultratransformés et le diabète de type 2, l’obésité, l’excès de poids qu’on appelle adiposité chez les plus jeunes, le syndrome métabolique, l’excès de cholestérol dans le sang, les cancers totaux et les cancers du sein, l’hypertension et le syndrome de l’intestin irritable. Évidemment, il faudra faire d’autres études. Mais aujourd’hui, on a suffisamment d’éléments pour mettre les gens en garde. C’est ce qu’on appelle le fameux principe de précaution.
On peut se leurrer en pensant ne pas manger d’aliments ultratransformés. Dans votre livre, vous montrez que le yogourt aromatisé à 0 % de matières grasses et le hamburger végétarien sont des produits ultratransformés, avec de longues listes d’ingrédients et d’additifs. La définition est vaste, ce qui explique que presque la moitié des calories consommées par les Canadiens provient d’aliments ultratransformés ?
Tout à fait. C’est important : le concept d’aliment ultratransformé va beaucoup plus loin que la junk food ou la malbouffe. Ça englobe aussi des aliments qui nous sont présentés comme bons pour la santé, mais qui en fait ne le sont pas. C’est pour ça que les industriels sont furieux. Tant que les gens pensaient que la malbouffe, c’était les sodas et les barres chocolatées, ça ne gênait pas grand monde. Maintenant, on dit aux gens : vous voyez, les yaourts Taillefine, les céréales de petit-déjeuner, les pains de mie complets, en fait, c’est ultratransformé. Ça ne vaut rien. Ça énerve énormément l’industrie, parce qu’on a démasqué ses tromperies.
Même si on n’est pas malade, consommer des aliments ultratransformés pose problème ?
Si vous en consommez de temps en temps, il n’y a aucun risque pour la santé. Lorsqu’ils constituent la base de votre alimentation, ils deviennent délétères pour quatre raisons établies aujourd’hui :
1) Ce sont des calories vides, c’est-à-dire des produits généralement très raffinés et pauvres en fibres, vitamines, minéraux et antioxydants.
2) Plusieurs de ces produits sont hyperglycémiants, c’est-à-dire qu’ils élèvent beaucoup le taux de sucre dans le sang. À la fois parce qu’ils contiennent beaucoup de sucres ajoutés et parce que leur matrice, c’est-à-dire la structure de l’aliment, est déstructurée, ce qui rend les sucres plus rapidement accessibles.
3) Ils sont pour la plupart peu rassasiants. Il y a un lien entre le fait de mastiquer et la production de l’hormone de satiété. Beaucoup de ces aliments sont visqueux ou liquides, comme des sodas et des yogourts à boire, ou alors très friables, puisque ce sont des aliments reconstitués ou fractionnés. On les mastique moins que les vrais aliments. Ils sont aussi souvent riches en sucres et en gras. De tous les nutriments, le sucre et le gras sont les moins rassasiants. Les plus rassasiants, ce sont les fibres et les protéines, qu’on trouve en plus grande quantité dans les vrais aliments.
4) Ils contiennent des composés nouveaux pour l’organisme. Ces molécules non naturelles sont divisées en trois catégories : additifs, composés néoformés, c’est-à-dire formés à très haute température ou à très haute pression, et arômes artificiels. Ces molécules ont des effets cocktails, des effets sur la microflore, etc. On sait peu de choses. Avant de donner autant de molécules artificielles à l’organisme, il faut peut-être réfléchir un peu.
Vous parlez du cracking ou craquage des aliments, qu’est-ce que c’est ?
On craque quelques aliments en une multitude d’ingrédients. Ensuite, ces ingrédients sont recombinés pour obtenir des aliments ultratransformés.
Prenez un grain de blé. Le premier niveau de fractionnement, c’est : son de blé, germe de blé, farine blanche raffinée. Ensuite, la farine blanche, vous pouvez la séparer en amidon et en gluten. Avec l’amidon, on peut créer de l’amidon modifié, qu’on voit dans de nombreux produits alimentaires. Si on fait une étape supplémentaire, on peut casser les molécules qui constituent l’amidon en dextrine et en polydextrine. Si on va encore plus loin dans le fractionnement, on obtient un sirop de glucose. Si on rajoute une enzyme, on obtient du sirop de glucose-fructose. Et si on hydrogène le glucose, on obtient des polyols ou sucres alcools, qu’on retrouve dans les gommes à mâcher. Donc vous voyez, on peut aller très, très loin. Aujourd’hui, vendre les éléments séparés est plus rentable que vendre l’élément de départ.
Vous proposez trois règles d’or pour vivre en meilleure santé, longtemps.
Oui, c’est la règle des trois V : végétal, vrai, varié. La première règle, c’est de ne pas dépasser 15 % de calories animales par jour, donc 2 à 3 portions de produits animaux. La deuxième règle, c’est ne pas dépasser 15 % de calories ultratransformées par jour, c’est-à-dire 1 à 2 portions. La troisième règle, c’est de manger varier de vrais aliments. Parce que manger varié des aliments ultratransformés n’a aucun intérêt.
Ces trois règles ont deux caractéristiques. Elles sont d’abord scientifiques : toute la science concourt vers un régime protecteur universel, riche en produits végétaux, non-ultratransformés, donc de vrais aliments, variés et, si possible, bios, locaux et de saison. La deuxième caractéristique, c’est que ces règles sont holistiques. Je les ai élaborées non seulement pour protéger la santé humaine, mais aussi pour le bien-être animal et l’environnement.
Les propos d’Anthony Fardet ont été édités en raison d’un espace limité.
Halte aux aliments ultra transformés ! Mangeons vrai
Anthony Fardet
Éditions Thierry Souccar